.
.Comportement
et lien social
Claude
Gauvard
Vue partielle
du manuscrit
de la BN NAF 4811 fol.13v° reproduit à
partir de l'édition de de l'ouvrage de
Claude Gauvard, "De grace especial" Crime,
état et société en France...Paris,
Publ. de la Sorbonne, 1991
Collaborations
De
nombreuses collaborations ont permis le rayonnement
des recherches de l'axe sous des formes diverses
: Les invitations au séminaire de professeurs
étrangers et de chercheurs d'autres universités.
ces collaborations ont pu avoir des prolongements
sous la forme de publications d'articles parus
en particulier dans la Revue historique
ou d'aide à l'édition et à
la traduction d'auteur étrangers comme
David Niunberg ; organisation ou participation
à des colloques : le colloque international
: Le Petit peuple ou encore celui sur La
justice en l'an mil, organisé par l'Association
pour l'histoire de la justice qui a assuré
le lien entre chercheurs et praticiens de la justice.
Les
relations avec les institutions françaises
à l'étranger
sont
très régulières avec l'École
Française de Rome et la casa Velasquez
(dont quatre chercheurs de l'axe sont membres)
et la Mission française en allemagne (envois
réguliers de boursiers et participation
à l'École doctorale d'été).
Les
implications dans les revues scientifiques et
les oeuvres de vulgarisation.
Les
liens avec l'Institut universitaire de France
Mme
Gauvard, membre senior (1997) et participation
aux activités de l'institut, en particulier
à la Revue Le Temps des savoirs,
paris : Odile Jacob |
Autres
membres
V.
Beaulande
C.
Bellanger
P.
Boucheron
O.
Canteaut
H.
Carrier
M.
Charageat
F.Collard
J.
Demade
T.
Dutour
K.Fianu
F.Foronda
E.
Gonzalez
S.
Hamel
A.
Lacour
O.
Mattéoni
J.Mayade-Claustre
F.
Minciaroni
J.
Morsel
C.Piel
C.
Pons
B.
Sère
V.Toureille |
PRÉSENTATION
GÉNÉRALE
Ce
thème regroupe les études sur les formes
de comportements individuels et collectifs tels qu'ils
peuvent être analysés par les historiens,
essentiellement pour la fin du Moyen Âge (XIIIe-XVe
siècles). On entend par comportements les attitudes
qui insèrent l'individu dans la société,
l'obligent à définir des normes, et par
liens sociaux ce qui permet aux individus et aux groupes
sociaux de tenir ensemble. La recherche s'inspire à
la fois de l'approche anthropologique et juridique pour
étudier les formes d'échanges (parenté,
reproduction, alliances) ou de rejet (marginalité).
Elle débouche sur une double réflexion,
politique et sociale. Du point de vue politique, les
comportements sont analysés par rapport à
la sujétion, en particulier dans le royaume de
France qui est le champ privilégié de
la recherche, sans être exclusif (études
sur l'Angleterre, l'Empire, la Castille et le royaume
d'Aragon). Le but est de s'interroger sur les formes
du consensus qui caractérisent la société
de la fin du Moyen Âge, en particulier sur la
notion d'unanimité réelle ou fictive qui
est employée par la royauté, en sachant
que cette société comporte des déséquilibres,
des instabilités, voire des désordres.
Mais, et c'est là l'un des acquis de la recherche
qui est menée depuis quelques années,
loin de s'opposer, équilibres et déséquilibres
coexistent et se confortent. Du point de vue social,
les comportements sont analysés par rapport à
la discipline des meurs dont les mots d'ordre sont développés
par l'État comme par l'Église, mais aussi
par les villes. Dans la société de la
fin du Moyen Âge qui reste fondée sur une
opposition entre les nobles et les non-nobles, les groupes
sociaux montrent des attitudes différentes face
à l'idéal de paix. Il est mieux assimilé
par les non-nobles que par les nobles qui sont attachés
aux pratiques des guerres privées et de la vengeance
et qui tendent même à faire de ces pratiques
l'une des caractéristiques des privilèges
nobiliaires. Les modèles de
«
civilisation des meurs » tels qu'ils ont été
mis en avant par N. Elias ou par M. Weber doivent donc
être critiqués. Les non-nobles ont, incontestablement,
répondu de façon favorable au pouvoir
et ils ont peu à peu intériorisé
les normes qu'ils ont appelées « naturelles
« et pris en main leur propre discipline des meurs.
Comment
se produisent ces transformations ? Le pouvoir a-t-il
imposé ses normes d'en haut ? Qui définit
les normes ? Une étude fine des rapports entre
le discours théorique et la pratique est indispensable
pour comprendre la mise en place de la civilisation
des meurs car il faut distinguer entre un discours des
pouvoirs apparemment très coercitif et une réalité
très souple. C'est-à-dire la loi et l'application
de la loi, la coutume ou le droit et son application,
la justice et les négociations de paix. Ces questions
débouchent tout naturellement sur une étude
de la vulgarisation des ordres, sur l'information politique,
et sur l'existence des rumeurs et des stéréotypes.
Le lien social est alors saisi dans sa constitution
capillaire.
Le cadre
collectif de cette recherche est le séminaire
que Claude Gauvard dirige à l'Université
de Paris-I depuis plusieurs années sur le thème
« Le lien social à la fin du Moyen Âge»,
le mardi de 17h à 19h, par quinzaine .
DEPUIS
1994 : HISTORIQUE
Les
recherches collectives ont été orientées
vers les rapports entre rites et justice. Les travaux
des différents membres, qui utilisent aussi bien
les sources écrites que les images, ont surtout
porté sur les rapports entre le droit et la société
(coutumiers, contrats, jugements, expression de la peine),
les gestes et les codes (application de la peine, rituels
diplomatiques, comportements dans les hôtels princiers),
l'affectivité et les émotions (dans le
domaine judiciaire, les négociations de paix,
la société de cour, la famille et la vie
religieuse), les ruptures et les exclusions (cf. séminaire).
Plusieurs séances ont abouti à la tenue
de journées d'études qui ont donné
lieu à publication :
Les rituels
judiciaires, 3 décembre 1996 et 3 juin 1997,
séances publiées.
Le cri
au Moyen Âge, 29 février 2000 (UMR
9963, Villejuif et Institut universitaire de France),
Publication en cours (Publications de la Sorbonne),
sous la direction de D. Lett et N. Offenstadt.
Plusieurs
séances de l'Ecole doctorale de Paris-I publiées
dans la Revue Hypothèses
(Publications de la Sorbonne) ont permis à certains
membres de l'UMR de préciser les structures du
lien social en en confrontant les points de vue des
médiévistes avec ceux des historiens des
autres périodes : Rites et rituels, Hypothèses
1997 ; Sociabilité des intellectuels, Hypothèses
1998 ; Ces obscurs fondements du pouvoir, Hypothèses
2000. Les membres de l'axe ont aussi travaillé
en étroite relation avec les spécialistes
de l'édition, de la codicologie et de la prosopographie,
dans le cadre de l'UMR, et en particulier lors du Colloque
Saint-Denis et la royauté
.
TRAVAUX
: SITUATION DE 1997 À 2000
Les
travaux s'articulent autour de plusieurs thèmes:
Les cours
princières (J. Paviot)
La justice
(C. Gauvard-R. Jacob))
Rituels
et lien social (N. Offenstadt)
Comportements
affectifs, parenté et lien social (D. Lett)
Magie, divination,
poison (J.-P. Boudet)
Etant donné
l'évolution des recherches, s'y ajoutent deux
nouveaux thèmes :
Le don (Yann
Potin). En effet, le don se détache de l'histoire
des gestes ou de la Cour pour se développer dans
un champ de recherche spécifique. Les recherches
en cours montrent qu'il est au ceur des comportements
politiques et du lien social. Son histoire ne peut être
dissociée, à la fin du Moyen Âge,
de celle de la pratique de la thésaurisation,
de l'inaliénabilité du domaine en ce qui
concerne le don royal, de la dette, et des signes de
la reconnaissance.
L'information
(C. Gauvard). Ce thème était en filigrane
dans les recherches sur l'acculturation et les rituels.
Il convient de le développer de façon
systématique, en raison des thèses en
cours.Actuellement la recherche collective la plus avancée
porte sur les rituels, et en particulier sur les rituels
judiciaires qui combinent les approches relatives à
la justice et aux rituels. Mais les autres thèmes
ne sont pas délaissés comme le montrent
les thèmes traités au séminaire.
Au lien conjugal qui a été l'objet d'étude
du séminaire 1999-2000, succèdent «Les
bons sentiments», en 2000-2001, séminaire
qui privilégie une recherche sur l'amitié
(vocabulaire, liens avec la parenté, signification
politique). Plusieurs travaux sont achevés, aussi
bien collectifs qu'individuels. Deux thèses des
membres rattachés à cet axe ont été
soutenues en 2000 : celle de
Valérie Toureille sur Vol et brigandage dans
le Nord du royaume vers 1450 -vers 1550 (2 décembre
2000) et celle de Nicolas Offenstadt sur Les gestes
de paix pendant la guerre de Cent ans (4 janvier
2001). Leur publication est prévue. La thèse
de Véronique Beaulande, L'excommunication
dans la province ecclésiastique de Reims du IVe
concile de Latran au concile de Trente (Reims, 22
décembre 2000), qui souligne la différence
entre la théorie et la pratique judiciaire, celle
de Boris Bove, sur Les échevins parisiens
au début du XIVe siècle (Poitiers,
13 décembre 2000),qui met l'accent sur les rapports
de parenté au sein des élites et tente
une définition de l'honorabilité, celle
de Louis de Carbonnières sur la Procédure
devant la Chambre criminelle du Parlement de Paris au
XIVe siècle (Paris II, 14 novembre 2000),
qui ouvre sur les méthodes du Parlement au pénal,
montre que notre axe entretient des rapports étroits
avec les membres d'autres centres de recherches.Trois
projets sont en cours de préparation qui réuniraient
l'ensemble des équipes du thème :
" Les gestes
profanes.Il semble que les gestes religieux ont été
relativement bien étudiés (J.-Cl. Schmitt,
H. Martin, N. Bériou), en particulier par les
spécialistes des études liturgiques, mais
les gestes profanes demandent une étude renouvelée
par rapport aux travaux déjà anciens des
folkloristes (R. Vaultier, Cl. Gaignebet). La diversité
des approches historiques des membres de l'axe devrait
permettre de mieux les définir par une analyse
du vocabulaire et des images, par une typologie des
gestes qui comprendrait les gestes affectifs, les gestes
politiques, les gestes professionnels et les gestes
magiques. Enfin, une large place devra être faite
à l'évolution de ces gestes profanes trop
souvent considérés comme immobiles et
décrits dans le temps long. A terme, on peut
espérer définir ce qu'est un espace public
médiéval, du moins en France à
la fin du Moyen Âge.
" L'amour
et l'amitié : voir les travaux sur l'affectivité
et le rapport de Didier Lett.
" L'honneur.
Ce thème est le champ privilégié
des recherches personnelles de Claude Gauvard, mais
il peut donner lieu à des débats de façon
à analyser le sentiment de l'honneur dans sa
dynamique chronologique, par rapport aux états
de la société et comme constitutif du
lien social.
Genre
et comportement
Responsable
: Didier Lett
Membres : Martine
Charageat
Caroline Jeanne
Comportements
masculins et comportements féminins. Les rapports
sociaux de sexes au sein de la famille, de la parenté
et de la société.
De l'intérêt
de l'histoire du genre pour l'histoire des comportements
médiévaux :
On ne peut s'intéresser
aux comportements médiévaux sans faire
intervenir la notion de "genre" (gender),
c'est-à-dire de "sexe social". Dans
la suite des travaux de déconstruction impulsés
par Michel Foucault, tout historien sait aujourd'hui
qu'il n'existe pas d'objets naturels... et de sexe fondé
sur la nature. La différence homme/femme ne procède
donc pas seulement d'un fait biologique mais relève
d'une construction sociale et culturelle, objet d'histoire
à part entière. Comme "on ne naît
pas femme, on le devient" (Simone de Beauvoir,
Le deuxième sexe, 1949), on ne naît
pas davantage homme. La "valence différentielle
des sexes" (Françoise Héritier) n'est
pas un invariant culturel. L'articulation entre sexe
et "genre" se modifie en fonction du système
symbolique propre à chaque société
(voir à ce propos les travaux de G. Herdt, Third
sex, third gender, beyond sexual dimorphism in culture
and history, New York, 1994).
Sur un plan historiographique
et épistémologique, la gender history,
définie comme l'histoire du rapport entre les
sexes, doit beaucoup à la women's history.
Cette dernière a permis en effet de "mettre
en lumière les catégories du féminin
et du masculin jusqu'ici étouffées sous
un neutralisme sexuel ne profitant qu'au monde masculin"(Cécile
Dauphin, Arlette Farge, G. Fraisse et alii..., "Culture
et pouvoir des femmes : essai d'historiographie",
Annales ESC, mars-avril 1986, 2, p. 274), incitant
l'historien (ou certains d'entre eux) à prendre
des distances à l'égard d'une histoire
androcentrée et hétérocentrée.
Poser le genre comme catégorie d'analyse, c'est
refuser de faire une histoire "un peu bizarre,
irréelle et bâtie de guingois" (Virginia
Woolf, A Room of One's Own, paru en 1929, traduit
en français par Clara Malraux en 1951) parce
qu'elle a oublié la moitié de l'humanité
et parce qu'elle a négligé le rapport
des sexes. Non seulement "l'histoire c'est la science
des hommes dans le temps" (March Bloch,Apologie
pour l'Histoire rééd. 1974, p. 36)
mais c'est aussi la science des hommes et des femmes
et de leur relation (leur interaction telle que le définit
E. Goffman) dans le temps.
Les derniers siècles
médiévaux se situent en amont de la profonde
mutation du XVIIIe siècle étudiée
par Thomas Laqueur (La fabrique du sexe. Essai sur
le corps et le genre en Occident, (éd. originale,
1990), 1992) où l'essor de la biologie et de
la médecine entraîne une "sexualisation
du genre" ou une "biologisation de la différence
des sexes" (M Perrot, Les femmes ou les silences
de l'histoire, Paris, Flammarion, 1998, p. 387).
Les hommes du Moyen Age ont d'abord pensé la
notion de genre en terme d'identité culturelle.
L'identité physique y apparaît secondaire
en ce sens qu'elle procède complètement
du système idéologique en place. A partir
du moment où n'existe pas de pensée de
la biologie et de la médecine autonome par rapport
au discours totalisant de l'Église, le genre
domine le sexe. La femme médiévale possède
un sexe inversé plus que différent de
celui de l'homme. La distinction des sexes est de degré,
non pas encore d'espèce.
Pour comprendre
l'histoire de la construction sociale des catégories
du masculin et du féminin, il convient d'être
attentif aux écarts entre discours (émanant
presqu'exclusivement des hommes) et pratiques, de mesurer
comment les discours ont eu ou non un impact sur les
comportements. La question n'est pas tant de savoir
si les hommes et les femmes au Moyen Age sont différents
mais de tenter de montrer comment ils apparaissent différents,
autrement dit qu'est-ce qui apparaît comme du
masculin ou du féminin, à quel moment
le scripteur a recours à ces catégories
? Le discours médiéval donne à
voir une domination totale de l'homme sur la femme :
il s'agit d'un imaginaire, d'un mode de représentation
du monde (la domination d'un sexe sur l'autre) qui,
bien entendu, influe considérablement sur la
réalité mais n'est pas la réalité.
Aussi, faudra-t-il toujours faire la part des représentations
et du social. C'est pourquoi centrer son attention sur
genre et comportement, c'est s'intéresser autant
au féminin/masculin qu'aux femmes et aux hommes.
L'identité masculine ou l'identité féminine
est le produit de l'imaginaire, des modes de pensée...mais
aussi du réel.
Problématiques
générales pour une histoire "genrée"
des comportements médiévaux :
1) L'appartenance
à l'un ou à l'autre sexe détermine
des attitudes, des croyances, des comportements différents.
Le but est donc de distinguer l'homme être sexué
(vir) qui n'est pas une femme de l'homme être
humain (homo) qui peut être un homme ou
une femme. Il faut se persuader que les femmes ne sont
pas des hommes comme les autres. Une catégorie
de sexe ne se définit pas en soi mais dans et
par sa relation à l'autre sexe. Il convient donc
toujours de voir comment se définit et se représente
chacun des deux sexes, mettre en lumière les
catégories du masculin et du féminin,
comparer et mettre en relation la situation des femmes
et celle des hommes, montrer comment évoluent
condition masculine et condition féminine.
Différences
et distinctions ! Mais également similitudes.
A la suite de ces analyses, ne peut-on pas arriver à
conjoindre le féminin et le masculin pour saisir
ce qui est foncièrement anthropologique (qui
tient à l'être humain, qu'on soit homme
ou qu'on soit femme). Il existe un code de comportements
partagé par les deux sexes. "Non seulement
une histoire de la différence sexuelle mais aussi
une histoire des similarités sexuelles et des
relations entre différence et similarité"
(Fr. Thébaud, Ecrire l'histoire des femmes,
Paris, ENS Editions, 1998, p. 129).
2) Il faut également
analyser le mode de relation entre les hommes et les
femmes : "Ébruiter l'histoire de la confrontation
entre l'homme et la femme, de leurs rencontres et de
leurs conflits" (Arlette Farge, : "L'histoire
ébruitée" dans L'histoire sans
qualités. Essais, Ch. Dufrancatel et Alii
(Dir.), Editions Galilée, Paris, 1979, p. 15-39
(ici p. 37-38) ; "Prendre en considération
à part égale le masculin et le féminin
dans toute analyse historique et penser que les rapports
qu'ils entretiennent peuvent être moteurs d'histoire"
(P. Schmitt-Pantel, "La différence des sexes,
histoire, anthropologie et cité grecque"
dans M. PERROT (Dir.), Une histoire des femmes est-elle
possible ?, Rivages, Paris, 1984, p. 98-119, p.
101.
La question est
moins de montrer (c'est tellement facile ! ) la misogynie
de l'époque médiévale que de s'interroger
sur les raisons qui ont incité une société
(les hommes) à développer autant un imaginaire
où il y a une place si importante du rêve
de la domination d'un sexe sur l'autre et comment le
paysage social a été profondément
marqué par ce rêve, les conséquences
sur le jeu social du déséquilibre discursif
des rapports de sexes.
3) Le fait de
réduire pendant des siècles, l'histoire
de l'humanité à l'histoire des hommes
a masqué l'histoire des hommes en tant qu'homme.
L'histoire du genre ouvre donc également de vastes
perspectives à une histoire du masculin et de
la masculinité (cf. essor des Men's Studies).
Cette histoire doit aussi permettre de rendre l'homme
visible en tant que être sexué (vir).
Comme l'histoire des femmes avait proposé d'examiner
les lieux et les temps de rencontres entre les femmes,
là où les femmes affirment leur identité
de femme, il faut aussi étudier (ce qui n'a pratiquement
jamais été fait) les lieux et les temps
où les hommes se voient, se montrent comme des
hommes et défendent leurs intérêts
d'hommes.
4) Il faut être
vigilant à ne pas enfermer la gender history
dans une théorie globalisante qui expliquerait
tout mais réintégrer la pertinence d'autres
types de relations socioculturelles et de confronter
le rapport de sexes avec ces autre types de relations.
Il conviendra donc de ne jamais perdre de vue que le
genre est un critère de distinction parmi d'autres
et qu'il convient, dans toute analyse, de ne jamais
oublier les autres critères opératoires
(âge, génération, ordre, classe,
condition sociale, appartenance urbaine ou rurale, religion,
nation, parenté...etc) et surtout d'analyser
les articulations du genre à ces autres formes
de distinction, de voir en quoi l'un domine les autres
; éviter le piège qui consisterait, à
chaque fois, à affirmer que la notion de genre
est déterminante pour analyser les relations
sociales. Les écarts de comportements homme/femme
ne doivent pas nécessairement être analysés
par rapport à une identité féminine
et masculine : ils peuvent relever d'autres principes
de différenciations.
De
nombreux membres de notre sous-axe ont centré
leurs travaux sur le couple, la famille ou la parenté.
C'est pourquoi, dans les années qui viennent,
nous pensons en faire le terrain privilégié
pour l'étude de "genre et comportements",
sans pour cela négliger les rapports de genre
dans l'ensemble du corps social.
Genre et
système de parenté :
Dès 1978,
Claude Lévi-Strauss notait l'existence d'une
"correspondance frappante" entre parenté
et rapport de sexes" (Paroles données,
édité chez Plon en 1984). Une question
essentielle est en effet de savoir s'il existe un rapport
entre les systèmes de parenté et les relations
entre les sexes. Ainsi, peut-on se demander si un régime
matrilinéaire est vraiment plus favorable aux
femmes, leur accorde un statut plus enviable qu'un système
patrilinéaire ? La participation symbolique de
la femme à la conception explique-t-elle un meilleur
statut social ? Jack Goody a montré comment le
processus de production et la transmission de la propriété
dans une société donnée construit
les groupes domestiques et les relations à l'intérieur
de ceux-ci.
Différence
de taille avec ce que l'on observait dans le système
romain classique, pendant toute la période médiévale,
la filiation et la transmission de biens matériels
et symboliques se réalisent aussi bien par les
hommes que par les femmes. Il s'agit d'une parenté
dite cognatique ou indifférenciée ou bilatérale
où chaque individu se rattache à la fois
à la lignée de son père et à
celle de sa mère. La conséquence est qu'en
Occident, en théorie, une fille peut succéder
à son père à la tête d'une
seigneurie ou d'un royaume et les transmettre à
ses enfants (fils ou fille). A partir des Xe-XIe siècles,
ce système indifférencié subit
une très forte inflexion patrilinéaire,
phénomène sensible d'abord dans les milieux
aristocratiques ("le temps du lignage") et
se diffusant "de haut en bas" (Georges Duby).
Le système de la fin du Moyen Age demeure cognatique
mais dans la transmission des biens, la prééminence
des hommes sur les femmes s'accentue et on assiste à
l'essor d'une transmission préférentielle
aux fils (aîné) perçu, en tant qu'homme,
plus à même d'assurer les charges, de perpétuer
un nom, un héritage, une renommée. "Le
genre est la clé de la distinction entre agnation
et cognation. Tandis que la cognation représente
une conception de la parenté indépendante
du genre, l'agnation fonde la parenté sur l'homme"
(G. Potama, Annales 1993, p. 1025). La redécouverte
de l'ensemble du corpus aristotélicien à
partir du XIIe siècle tend à renforcer
ce système de domination masculine. La parenté
de la fin de l'époque médiévale
serait-elle alors de plus en plus dépendante
du genre ? On assiste, dans les modes de représentations
(textes ou images) des systèmes de parenté,
à une accentuation de la différence entre
les éléments masculins et les éléments
féminins.
Genre et
famille
M. Perrot, Les
femmes ou les silences de l'histoire, Paris, Flammarion,
1998, p. 386) écrit : "par sa nature duelle,
la famille instaure la communication entre le public
et le privé, puisqu'aussi bien elle appartient
aux deux". L'histoire du genre doit permettre de
changer le regard que l'on porte sur la famille en oubliant
que la femme a, naturellement, une fonction de
reproduction et d'élevage des petits enfants
et l'homme une capacité à agir dans l'espace
publique.
Au sein de la
famille, il est fondamental de mettre l'accent sur les
différences d'apports éducatifs selon
le sexe de l'enfant ou encore sur les spécificités
des fonctions paternelles et maternelles.
Genre et
couple :
Georges Duby voyait
la cellule conjugale comme "le champ clos où
les deux sexes se font la guerre". Michelle Perrot
(Les Ombres de l'Histoire... p. 355) abonde dans
ce sens lorsqu'elle affirme que la famille serait le
lieu de plus forte subordination de la femme, de tensions
les plus visibles entre homme et femme, où cette
dernière serait peu protégée par
le droit. N'a-t-on pas là un "effet de source"
? Pour un couple qui se bat et qui laisse des traces
dans la documentation, combien se taisent ou s'aiment
en silence ?
Pour qui veut
étudier les relations de genre à l'intérieur
du couple, la première précaution à
prendre est de savoir ce que lhistorien désigne
par ce terme très contemporain de « couple ».
Lhistoriographie et les sources rendent difficile
lisolement de la cellule conjugale en tant que
telle, face à la structure familiale. Le couple
désigne lhomme et la femme qui mènent
une vie commune par décision mutuelle. Cette
cohabitation peut avoir lieu dans le cadre des liens
du mariage, réalisés parfaitement ou non
selon les rites de la doctrine canonique matrimoniale.
La vie commune peut également se dérouler
selon les « règles » du
concubinage, lesquelles sont abordables très
partiellement à partir des sources notariales,
judiciaires et législatives. On peut alors se
demander quand et dans quels termes un homme et une
femme se considèrent-ils et sappellent-ils mari
et femme ? La reconnaissance de leur couple par
les autres coïncide-t-elle avec leur propre définition?
Cette dernière correspond-elle à celle
des conjuges établie par l'Église ?
Nest-elle pas en soi révélatrice
des perceptions différentes de la réalité
conjugale selon les genres ?
On le voit, la
cellule conjugale offre un poste d'observation privilégié
pour l'étude des relations de genre, pour observer
comment les hommes ont tenté de contrôler
la valeur de reproduction des femmes. Pierre Bourdieu
a montré que cette domination n'est pas un invariant
historique, mais "le produit d'un travail incessant
(donc historique) de reproduction auquel contribuent
des agents singuliers (dont les hommes avec des armes
comme la violence physique et la violence symbolique)
et des institutions, famille, Église, État,
École" (La Domination masculine...,
Seuil, 1998, p. 40-41). Dans ce domaine, le passage
d'une histoire des femmes à une histoire du genre
permet de sortir de la dialectique subordination/oppression.
Il y a aussi, dans ce jeu de domination, des compromis,
des acceptations, des formes inconscientes de reproduction
sociale. Pour les faire émerger il convient de
mesurer le degré dacceptation et de passivité
de la femme-épouse-mère. Les indices de
refus ou de contournement de la domination masculine
doivent être au carrefour de plusieurs analyses,
celle des moyens (droit, justice), des motivations,
des lieux et temps de leur manifestation et de leurs
voies/voix dexpression.
Pour analyser
cette domination, il convient également d'être
particulièrement attentif à la terminologie
: à l'emploi de dominus ou miles
(catégories sociales) s'opposent ceux de domina,
mater pueri ou uxor sua, faisant de la
femme un être toujours subordonné ("fille
de" puis "épouse de"), comme si
le statut d'une fille puis d'une épouse était
strictement relatif au père puis au mari, alors
que celui de l'homme paraît être absolu.
La femme est donc bien plus souvent désignée
par un terme de parenté que l'homme ne l'est
; le féminin est davantage liée à
la famille et à la parenté que ne l'est
le masculin.
L'obligation de
soumission de l'épouse se voit dans les conseils
donnés par les pédagogues aux filles en
âge de se marier, aux très nombreux portraits
d'épouses idéales. Elle se perçoit
aussi dans la manière dont évolue la représentation
de la création d'Eve de plus en plus figurée
sous domination de l'homme à partir du XIIe siècle
(voir R. Zapperi, L'Homme enceint, l'homme, la femme
et le pouvoir, Paris, PUF, 1983 et, en dernier lieu,
J. Cl. Schmitt (Dir.), Eve et Pandora. La création
de la femme, Paris, Gallimard, 2002). Elle se perçoit
encore dans la difficulté pour la femme à
transmettre des biens symboliques (nom, ressemblance..),
en corrélation avec le glissement d'une théorie
galéniste de la production de la personne à
une conception aristotélicienne ou le "sperme"
féminin ne joue plus de rôle. Elle se perçoit
enfin en analysant les images des calendriers agricoles
représentant le couple paysan au travail où
l'on observe une forte répartition sexuée
des activités. Aux hommes (les plus représentés)
sont dévolues les activités de production
(labours, semailles, moisson, culture de la vigne),
aux femmes, les travaux de transformation (filage, tissage)
ou les activités dans ou proche de la maison,
tandis que moisson et fenaison (travaux non spécialisés)
sont à la fois masculines et féminines.
Dans les enluminures, l'action principale est toujours
masculine, comme si le labeur féminin ne pouvait
être qu'une activité d'appoint. Et surtout,
l'appropriation par les hommes des outils leur permet
d'exercer une domination sur les femmes. Le travail
féminin est réalisé sans outils
ou avec des instruments très simples.
Il convient enfin
pour comprendre cette domination, d'être attentif
aux termes d'adresse (groupes nominaux qui marquent
presque toujours le début de discours, renvoyant
exclusivement à la deuxième personne (lallocutaire)
dans le discours direct) qui circulent entre mari et
épouse car ils délimitent des frontières,
pour une société donnée entre supériorité/infériorité,
distance/intimité ou formality/unformality.
Sans bien savoir ce qu'ils sont dans la réalité,
dans la littérature en tout cas, ils proviennent
directement du mode de relation vassal-seigneur donc
d'un modèle profondément masculin, guerrier,
virile. L'épouse se trouve alors vis-à-vis
de son mari dans la même position que le vassal
à l'égard de son seigneur. Majoritairement
l'épouse désigne son mari par "Mon
seigneur...", "mon sire", termes qui
incluent les notions d'autorité et de supériorité
hiérarchique. Le mari, comme le "suzerain"
donne à son épouse du "M'ami(e)".
Le décalque d'un échange verbal féodo-vassalique
dévoile des liens entre partenaires inégaux.
A l'intérieur
de la cellule conjugale, il convient également
d'étudier les jeux de séduction, les rapport
amoureux et érotiques ainsi que les conflits.
La notion de conflit conjugal reste encore floue pour
lhistorien. Les contours ne sont pas aisés
à dessiner car il nest pas évident
que la société médiévale
le reconnaisse systématiquement et partant, lui
accorde une attention et une expression particulières.
Genre et
relation adelphique :
Dans les textes
narratifs, la relation frère-sur est très
souvent valorisée. A l'âge adulte, elle
est d'autant plus forte que la relation mari-femme est
distendue (exemples des fabliaux). Il convient de s'interroger
sur les raisons de cette grande valorisation. Comme
la relation compère-commère, il s'agit,
dans la société chrétienne médiévale,
du seul lien familial entre un homme et une femme de
la même génération dégagé
de contacts charnels. Au Moyen Age, la communauté
des chrétiens est pensée comme un ensemble
de frères et soeurs, sur le mode de la germanité.
Françoise
Héritier dans ces travaux récents (en
particulier, La mère et les deux surs)
a montré combien le rapport de germanité
est au centre des questionnements sur les problèmes
majeures de la parenté (inceste, échange...)
: "C'est le lieu primordial où s'expérimentent
l'identité et la différence au sein d'une
équivalence". La germanité paraît
en effet être un lieu de rapport de sexe particulièrement
égalitaire. La féodalisation des termes
de parenté (observée plus haut dans le
cadre de la cellule conjugale) n'est pas opérante
dans les relations frères-surs. Tout se
passe comme si, dans la relation adelphique (ou en tout
cas dans sa représentation) la valence différentielle
des sexes perdait de sa pertinence.
Bibliographie
Par ailleurs,
Didier Lett est un des responsables du Séminaire
pluri-périodes sur le genre de l'Université
Paris I
Hommes, femmes, masculin, féminin.
Les usages du genre en histoire
.
.
Cours
et la culture curiale
Jacques Paviot
Depuis
le dernier rapport, le groupe d'études sur la
cour a reçu quelques modifications et se compose
maintenant de Patrick Boucheron, Elizabeth Gonzalez
et Jacques Paviot, dont les rapports d'activité
suivent, et d'Olivier Canteaut.
Patrick
Boucheron : les cours d'Italie du nord
Après avoir étudié
la politique édilitaire et monumentale des ducs
de Milan dans leur capitale pour les derniers siècles
du Moyen Âge, s'intéresse notamment à
la place des architectes, artistes et ingénieurs
dans les cours princières d'Italie du Nord au
XVe siècle. Le riche corpus des correspondances
et des lettres de nomination permet de reconstituer
le jeu de la commande et de la recommandation, qui fait
de la circulation des artistes, de cour en cour, mais
également de la cour à la ville, et parfois
même pour les ingénieurs sur l'ensemble
d'un territoire, un enjeu politique et diplomatique
déterminant. La place des artistes dans le système
de cour est également abordée du point
de vue des mutations induites dans la théorisation
de la création artistique, mais aussi des possibilités
nouvelles de légitimation de pouvoirs toujours
en quête d'«avant-garde» pour
défendre leurs fragiles prérogatives.
Elizabeth
Gonzalez : la cour des ducs d'Orléans
Elizabeth Gonzalez devrait bientôt
terminer la thèse entreprise sur l'hôtel
des ducs d'Orléans au XVe siècle. Cette
étude permettra de souligner le rôle central
joué par une institution située au coeur
de la cour. Elle permettra également de dresser
le profil des serviteurs ayant été au
service des Orléans au cours de ce siècle.
Près de 2000 d'entre eux ont ainsi été
entrés dans la base de données constituée
et parmi eux, 289 titulaires de l'office de chambellan
font l'objet d'une notice biographique détaillée
qui montre leur place stratégique au sein d'un
hôtel princier.
Jacques Paviot, la cour des
ducs de Bourgogne
Jacques Paviot a poursuivi son
étude des États de France (les Honneurs
de la Cour) d'Éléonore de Poitiers,
en procurant aussi une nouvelle édition du texte.
Un tel texte permet d'étendre l'étude
aux rapports entre les ordonnances de l'hôtel
et le cérémonial de cour, ou encore à
la place et l'image de la femme dans une telle cour.
Parallèlement, il s'intéresse à
la production artistique à la suite de la peinture,
la rédaction de manuscrits avec l'exemple de
David Aubert, la poésie avec celui de Jacques
de Luxembourg qui permet aussi d'aborder les liens entre
les cours princières en France. Une étude
de l'ordre de la Toison d'or met en relief les liens
entre prince et noblesse régionale, entre politique
et chevalerie. Pour l'avenir, un certain nombre de membres
du LAMOP et de collègues travaillant sur les
ordres de chevalerie à la fin du Moyen Âge,
est apparue à Elizabeth Gonzalez et Jacques Paviot
la nécessité de comparer le développement
de ces ordres en Europe à la fin du Moyen Âge.
Le thème qui nous semble central est celui du
lien, entre prince et noblesse, entre prince et cour,
entre prince et hôtel. Les personnes qui ont déjà
donné leur accord ou pressenties sont :
" Elizabeth
Gonzalez (LAMOP), le Porc-Épic et la cour d'Orléans
;
" Frédérique Lachaud
(Paris IV), l'éperon comme affiliation à
la chevalerie;
" Olivier Mattéoni (Paris
I - LAMOP), l'Écu d'or et la cour de Bourbon
;
" Werner Paravicini (Institut
historique allemand), les ordres allemands ;
" Jacques Paviot (Paris IV - LAMOP),
Toison d'or et ordre de Saint-Michel ;
" Bertrand Schnerb (Lille III),
Aspects politiques de l'ordre de la Toison d'or
" Malcolm Vale (Oxford), L'ordre
de la Jarretière.
Olivier
Canteaut
Son doctorat entrepris sous la
direction de Claude Gauvard porte sur Gouvernement
et hommes de gouvernement sous les derniers Capétiens
(1314-1328). Point de départ de cette étude,
les mentions hors-teneur portées au bas de chacun
des actes émis par la chancellerie royale nous
font connaître les commanditaires réels
des décisions prises au nom du roi. Leur analyse
quantitative permet en outre une étude de leur
activité respective. De là, il s'agira
de comprendre le fonctionnement des rouages politiques
et administratifs du gouvernement royal, mais aussi
de cerner les équipes dirigeantes par le biais
d'une étude prosopographique.
.
.
Les
cultures de pèlerinages
Denise Péricard-Méa
Comment
le pèlerinage (en particulier celui de Saint-Jacques)
modifie les liens que le pèlerin entretient avec
son entourage ? Lors du grand pèlerinage, le
«marcheur de Dieu» rompt toutes ses attaches
antérieures (avec sa famille, sa parenté
et son voisinage). Cette rupture n'efface pas le souvenir
des liens. Comment la distance influe-t-elle sur la
nature des relations que le pèlerin continue
d'entretenir avec ses proches, géographiquement
éloignés. Dans le même temps, le
pèlerin crée des liens nouveaux (souvent
éphémères) avec ceux qui ont choisi
le même itinéraire que lui. Enfin, lors
de son retour du grand pèlerinage, à l'intérieur
des confréries d'anciens pèlerins, d'autres
relations se nouent ou s'entretiennent. Beaucoup plus
répandue que la relation avec Compostelle, la
relation à saint Jacques se lit dans les multiples
pèlerinages locaux qui lui sont consacrés:(concurrents
ou compléments de Compostelle). S'y côtoient
d'anciens pèlerins, des futurs pèlerins
et la masse de ceux des simples dévots à
saint Jacques. Ce sont eux qui ont constitué
la grande masse du patrimoine jacquaire, tant architectural
que mobilier, littéraire ou archivistique. Des
sources émiettées demandent une coopération
dans la recherche, coopération amorcée
largement dans le cadre du LAMOP
et prolongée par la création d'un
site Saint Jacques et Compostelle qui s'articule
autour de quelques pistes de recherche :
" Le sanctuaire de Compostelle
s'est imposé dans des contextes tributaires de
la politique européenne et comment s'est constitué
au fil des siècles un stock de documents médiévaux
vrais ou faux.
" Etude du légendaire commun
à toute l'Europe.
" Constitution d'un dictionnaire
biographique des pèlerins ( ceux qui sont allés
réellement à Compostelle, ceux dont on
peut le supposer et ceux qui ont été inventés
à différentes époques)
" Inventaire et étude du
patrimoine jacquaire français : tombeaux de saint
Jacques,reliques, textes, monuments, pèlerins,
livres de miracles, confréries, etc… Cette recherche,
personnelle à l'origine, se met maintenant au
service de la Structure de recherche. Cette dernière
doit la systématiser et la prolonger au delà
de la période médiévale. Le petit
pèlerinage ou la procession sont souvent des
moyens de renforcer les liens entre les membres d'une
même communauté. Qu'il soit grand ou petit,
le pèlerinage, en dernier instance, privilégie
la relation avec Dieu.
.
Les
usages du don
Yann
Potin
Membres
: Patrick Boucheron, François Foronda, Julie
Mayade-Claustre
Perspectives
de recherches
«
Avant même de produire des biens ou des enfants,
c'est le lien social qu'il importe d'édifier
[au travers du don] » .
Alain Caillé
résume ici brièvement ce que fut l'apport
" considérable mais discuté " de l'euvre
de Marcel Mauss quant à la saisie des significations
sociales du don. La circulation des objets, des biens,
des titres, des honneurs ou des privilèges participe
au conditionnement et à la structuration des
relations sociales qu'elles quelles soient : interdépendance
ou domination, solidarité ou amitié, alliance
ou conflit.
La société
médiévale semble avoir précisément
placé au ceur de son système de valeur
féodal une idéologie du don, relayée
par la théologie de l'aumône. Mauss lui-même,
fut sans doute un des premiers à établir
un lien privilégié entre société
féodale et pratique du don. L'Essai sur
le don se referme en effet sur l'image de la Table ronde
et de la sociabilité idéalisée
des romans arthuriens. L'engagement politique
de Marcel Mauss "conseiller de Jaurès et de Blum
" détermine en grande partie cette assimilation
entre sociétés proto-marchandes et idéal
de relations sociales pacifiques . Si la pratique du
don demeure la caractéristique fantasmatique
des sociétés dites traditionnelles, l'évaluation
concrète de l'efficacité du modèle
anthropologique reste à établir ; et ce
d'autant que les frontières classiques entre
les catégories du don et du marché ne
cessent aujourd'hui d'être remises en cause .
Trois perspectives de recherche, qui correspondent à
la déclinaison de trois acceptions possibles
de l'expression « usages du don », nous
semblent pouvoir êtres envisagées, afin
d'éclaircir cette collusion systématique
:
" Une évaluation
des usages historiens potentiels des théories
anthropologiques du don.
" Une étude
des usages politiques et sociaux de l'idéologie
chrétienne et féodale du don dans la société
médiévale.
" Des analyses
concrètes et quantitatives de la part du don
au sein des pratiques socio-culturelles des différents
groupes qui constituent cette même société.
La discussion
sur le don finit par constituer une branche à
part entière de l'anthropologie au cours du XXe
siècle. Elle peut être saisie comme une
longue exégèse " alternativement sereine
et polémique " du texte de Mauss . Le corpus
bibliographique disponible paraît démesuré,
surtout lorsqu'il est étendu aux travaux d'outre-Atlantique.
Il importe donc de le prendre en charge collectivement
et de placer au ceur de la recherche commune une réflexion
d'ensemble sur le statut des théories du don
face aux travaux des historiens sur les sociétés
dites pré-capitalistes, en y consacrant éventuellement
des études spécifiques et en organisant
des rencontres avec des anthropologues. Le problème
de l'application et de l'historicité de ces modèles
théoriques, bien que sans cesse posé et
discuté au sein de la communauté historienne,
n'a pas trouvé encore de règles de fonctionnement
tempérées. L'historien semble en effet
sans cesse osciller entre un usage sauvage et incontrôlé
de l'anthropologie " qui confère de confortables
profits symboliques au discours mais fragilise ses fondements
méthodologiques " et une critique acerbe et radicale,
qui tend à la xénophobie disciplinaire.
Après
Marc Bloch, Georges Duby a montré que les «
attitudes mentales » du monde pré-féodal
et féodal étaient gouvernées par
« les nécessités de l'oblation»
: « une intense circulation de dons et de contre-dons,
de prestations cérémonielles et sacralisées,
parcourt d'un bout à l'autre le corps social
» . Des travaux récents ont mis en valeur
l'effectivité de l'idéologie chrétienne
et féodale du don entre les XIe et XIIIe siècles,
notamment perceptibles au travers des échanges
entre les morts et les vivants . En revanche, l'examen
du devenir de cette idéologie au cours des XIVe
et XVe siècles, alors que la société
féodale est en cours de déstructuration
et que l'État se développe, demande à
être fait.
Cette dernière
perspective de recherche correspond plus exactement
aux différents travaux des membres du sous-axe.
Dans le cadre des séminaires de l'École
doctorale de l'université Paris I, une demi-journée
intitulée « Donner et recevoir »,
coordonnée par Julie Mayade-Claustre, membre
du sous-axe est prévue le 28 avril 2001 Elle
permettra de faire un premier inventaire des champs
de recherche en la matière.
Yann
Potin
Le trésor
est une figure lexicale et institutionnelle généreuse.
Synonyme de richesse absolue dans les textes littéraires
et doctrinaux, il concentre les différentes formes
d'objectivation de la valeur. La Sainte-Chapelle de
Paris offre, dans la seconde moitié du XIIIe
siècle, une image exemplaire de cette polarisation
: auprès des reliques de la Passion et des saints,
l'État royal conserve ses joyaux, ses archives
et ses livres. Au XIVe siècle, les trésors
peuplent l'ensemble des résidences royales, avec
une mention spéciale pour le Louvre qui accueille
les principales collections d'orfèvrerie et "
depuis 1364 " la librairie du prince. Il s'agirait de
savoir ce qui explique et légitime la réunion
de ces objets, très hétérogènes
dans leur matérialité comme dans leur
fonction. Ils sont tous le signe d'une transcendance
de la valeur strictement économique, dans la
mesure où ils n'ont pas à proprement parler
de prix. Le dénominateur commun est sans doute
ailleurs. Chargés de symboles et de références
au passé, ils sont les supports de la mémoire
politique et sociale du pouvoir, de ses origines sacrées
mais aussi des ses actes profanes.
Les inventaires
et les comptes permettent d'étudier la formation,
l'organisation et la gestion de ces dépôts.
La Chambre des comptes cherche à garder le contrôle
de cette trésorerie particulière, en tentant
d'imposer l'inaliénabilité des trésors.
Le gouvernement par le don propre au roi, s'oppose à
cette logique patrimoniale. Les trésors, y compris
les archives, demeurent pour celui-ci le vivier sans
cesse renouvelé d'une libéralité
politiquement instrumentalisée. Les dons ne laissent
pas toujours de traces documentaires visibles : il faut
tenter de les saisir aux marges des registres de compte
et d'inventaire ou parmi les rares mandements royaux
conservés. Attribut privilégié
et obligé du pouvoir dans l'imaginaire politique
depuis le haut Moyen Âge, le trésor
domine implicitement la scène des relations curiales.
En tant que mémorial et réserve des échanges
et des dons entre le roi et sa cour, il conserve activement
le souvenir des relations de domination et de fidélité.
Les dons renouvellent, actualisent ou contredisent sans
cesse les liens sociaux que le pouvoir tissent avec
ses serviteurs, ses alliés et même ses
ennemis.
Patrick
Boucheron
[Voir le
sous-axe « Sacré, souveraineté et
théories politiques », dans l'axe «Genèse
de l'État moderne »].
François
Foronda
[Voir pour
une présentation de la recherche et une liste
des publications le sous-axe « Rituels
»]
Julie
Mayade-Claustre
Sa thèse
se donne pour objectif de comprendre ce qui se trouve
derrière la notion de dette à la fin du
Moyen Âge, à travers l'étude de
l'action du roi de France en matière d'endettement
des personnes privées. Il s'agit notamment d'étudier
le sens et les mécanismes des grâces royales
octroyées aux débiteurs, les lettres de
répit, à partir de l'exemple de la prévôté
de Paris. Quel est ce don royal particulier qu'est la
grâce en matière de dette ? Ne crée-t-il
pas une obligation, qui vient redoubler celle contractée
par le débiteur envers son créancier ?
L'obligation, ainsi transférée par la
grâce sur la personne du roi, peut apparaître
comme une notion pertinente pour saisir la relation
qui se noue entre le roi et ses sujets. L'anthropologie
du don peut ainsi aider à comprendre la construction
politique à l'euvre dans le royaume de France
à la fin du Moyen Âge : la construction
de l'Etat moderne n'emprunterait-elle pas les chemins,
déjà battus, des mécanismes de
don-contre-don ?
Pour
une présentation détaillée de ce
thème et notamment sur la question bibliographique
voir ici
Les
rituels
Nicolas
Offenstadt
Le
programme «rituel» s'est structuré
depuis 1995 autour de rencontres régulières
de ses membres confrontés à d'autres collègues
sur un thème d'une certaine ampleur qui permette
à la fois l'intégration des différentes
recherches et des avancées historiographiques
précises. En 1996-1997, plusieurs séminaires
ont été organisés sur les rituels
judiciaires. Ils ont donné lieu à la publication
d'un volume .Le second thème d'étude,
à partir de 1998, traite des cris au Moyen Âge
en leurs différents aspects. En collaboration
avec le sous-axe «Comportements
affectifs, parenté et lien social»
(Didier Lett), plusieurs séances, dans le cadre
du séminaire de Claude Gauvard et Robert Jacob,
ont tenté de faire le point sur ce que l'on savait
du sujet tout en proposant de nouvelles perspectives
d'analyse. Les participants ont d'abord cherché
à recenser le vocabulaire du cri, les situations
au cours desquelles on criait. Après l'étape
du recensement vint celle de l'analyse. Ils ont alors
étudié les formes du cri, les sons et
les gestes rituels qui les accompagnaient. Le groupe
a travaillé sur l'opposition entre « cri
spontané « et « cri normé
« pour finalement constater sa faible valeur heuristique.
Les fonctions sociales du cri ont été
mises à jour et commenté. Les résultats
de l'ensemble des travaux devraient être publiés
aux Publications de la Sorbonne à la fin de l'année
2001. Les thèmes et contributions
finales sont les suivants :
-
Didier Lett et Nicolas Offenstadt : Bilan
des recherches sur le cri au Moyen Âge.
-
Christine Bellanger : Le cri dans l'image.
-
Florence Chave : Le cri du possédé
-
Pascal Collomb : Cri et liturgie
-
Thierry Dutour : Le cri public à Dijon.
-
Murielle Gaude : Le cri des funérailles.
-
Isabelle Guyot-Bachy : Le cri de guerre
-
Sébastien Hamel : Le cri public à Saint-Quentin
-
Robert Jacob : Le cri primal
-
Christopher Lucken : Cri et littérature
-
Valérie Toureille : Le cri du vol
Deux
historiens d'autres périodes ont bien voulu donner
des éléments de comparaisons :
-
Violaine Sebillotte : Le cri en Grèce ancienne
-
Fabrice Virgili : Le cri dans la France de la Libération
(1944-1945).
-
Claude Gauvard : Conclusions et perspectives.
Ces
recherches sur le cri vont amener plusieurs membres
de l'axe à orienter leurs travaux vers l'information
à la fin du Moyen Âge, notamment en ses
aspects rituels.
François
Foronda : Parler au roi en Castille au XVe siècle.
Ce sujet
peut être considéré comme une tentative
pour approcher la notion d'autorité, en interrogeant
certains de ses aspects, spécialement la question
des médiations, des interventions et des processus
décisionnels. En d'autres mots, il s'agit de
souligner les mécanisme infra ou extra-institutionnels
qui font fonctionner le pouvoir monarchique. C'est l'accès
au roi, à sa personne mais aussi aux organes
de gouvernement qui définit l'ampleur thématique
du projet doctoral, en considérant le pouvoir
sous le primat d'une relation dont l'objectif est d'amplifier
le consensus politique autour de l'institution royale.
.
.
La
justice
Claude
Gauvard et Robert Jacob
La
participation aux activités collectives des chercheurs
rassemblés par le LAMOP s'effectue surtout à
travers le séminaire d'histoire médiévale,
intitulé depuis 1998 « Communication
et lien social », dont Robert Jacob assume
la direction en collaboration avec Claude Gauvard (université
de Paris 1). Ce séminaire a été
successivement consacré aux liens de la parenté
et de la famille (1999-2000), aux «bons sentiments»
(2000-2001) et devrait être orienté, en
2001-2002, vers la rhétorique. Il constitue un
lieu de rencontre privilégié avec des
étudiants de troisième cycle et des chercheurs
en thèse, ce qui donne l'occasion de participer
à la direction de leurs travaux. En marge du
séminaire ont été organisées
deux tables rondes, la première sur les rites
de la justice (juin 1997), dont les actes viennent de
sortir de presse, la seconde sur «le cri»
(janvier et juin 1999).
I Le jugement
Procédures
pénales, décisions judiciaires, formes
d'exclusion. Il est pour cela nécessaire de travailler
en collaboration avec des juristes, de réfléchir
à la différence entre la théorie
et la pratique judiciaire médiévales,
de comprendre dans quelle mesure le jugement est porteur
d'exclusion.Cette étude est menée en collaboration
avec des chercheurs français mais aussi étrangers,
spécialistes de l'Histoire de la criminalité
et du droit pénal, aux Etats-Unis, en Allemagne
et en Autriche. Un bilan comparatif doit être
établi avec l'ensemble des spécialistes
de l'Europe du N.W. en novembre 2001 à Avignon.
Rencontre organisée par l'Université de
Florence, l'Ecole française de Rome et l'Université
Paris-I-Institut universitaire de France sur les pratiques
judiciaires.
La réflexion
sur le jugement et son obéissance suppose aussi
une étude sur les moyens dont dispose la justice.
Aucune synthèse n'est actuellement disponible.
Claude Gauvard a esquissé un premier bilan pour
la partie médiévale dans, Histoire
de la police en France (en collaboration), col.
Bouquins, Lafont à paraître, avec le concours
des Hautes Etudes de la Sécurité Intérieure.
II Les types
de crimes et de criminels
Claude Gauvard
dirige des thèses de doctorat d'histoire sur
ce thème. En particulier, F.
Minciaroni (Cours manoriales anglaises),Valérie
Toureille, pensionnaire de la Fondation Thiers, (Vol
et brigandage en France du Nord, vers 1450-vers 1550,
thèse soutenue), C.
Pons, allocataire de recherche, Paris-I, (L'adultère
en France du Nord à la fin du Moyen Âge),
A. Lacour (Les guerres privées en Vermandois
dans la première moitié du XIVe siècle).
Martine
Charageat
Elle prépare
une thèse intitulée Les crimes de meurs
dans le royaume d'Aragon, de Jaime 1er au Concile de
Trente. Ce travail de recherche est mené
principalement à partir d'archives judiciaires
dont l'essentiel provient des archives diocésaines
de Saragosse. Elles permettent d'étudier, au
travers des conflits matrimoniaux, les comportements
des hommes et des femmes dans le domaine des rapports
conjugaux et extra-conjugaux, ainsi que face et à
l'intérieur du système judiciaire. Martine
Charageat a animé un séminaire à
la Casa Velazquez (le 29 juin 1999) intitulé
«Matrimonio y sexualidad : normas, practicas y
transgresiones en la Edad Media y principios de la Epoca
Moderna»
Julie
Mayade-Claustre.(cf.supra)
Le but principal
de sa recherche est d'évaluer l'action de la
justice à l'égard des débiteurs,
et en particulier d'éclairer, d'un côté,
l'usage de la contrainte par corps par la justice royale
et, de l'autre, celui des lettres de répit par
la chancellerie royale.
Kouky
Fianu
Elle a entrepris
une recherche sur Faussaires et falsification dans
le royaume de France (XIVe-XVe siècles).
Cette étude des procès impliquant la falsification
permet d'interroger le discours des autorités
publiques et d'en dégager les arguments utilisés
pour affirmer le rôle croissant de l'écrit
dans la pratique judiciaire, mais aussi sa forme cohésive
dans la société en général.
III L'acculturation
juridique
Cet aspect
recoupe en partie la recherche menée sur les
rituels judiciaires. L'acculturation juridique intéresse
surtout Claude Gauvard qui, dans ses travaux tente de
mener une analyse des réactions de l'opinion
devant l'utilisation du droit et les décisions
des juges. Du point de vue pénal, il s'agit de
comprendre comment les justiciables acceptent le jugement
prononcé par les autorités judiciaires
et quels liens la décision des juges entretient
avec la vengeance. Cette recherche tente aussi de donner
sa place à l'infrajudiciaire et de mieux étudier
le recul de la vengeance .Cette partie de la recherche
de l'axe s'enrichit d'une réflexion chronologique
ample, d'une réflexion méthodologique
pour distinguer pauvres, marginaux et criminels, et
d'une réflexion sur les méthodes judiciaires
médiévales. Dans cette perspective, plusieurs
rencontres ont été ou vont être
organisées, en partie financées par l'Institut
universitaire de France :
" Le
petit peuple dans l'Occident médiéval
: novembre 1999, Montréal, colloque organisé
par P. Boglioni, R. Delort et C. Gauvard. Une grande
attention a été portée aux mots
qui désignent les couches inférieures
de la société, donc aux critères
de distinction sociale. Le colloque débouche
sur une meilleure compréhension de l'honorabilité.
" L'enquête
au Moyen Âge : printemps 2003, Rome. En collaboration
avec André Vauchez et l'Ecole française
de Rome. Il s'agit d'étudier les principaux secteurs
où s'affirme l'enquête, religieux, administratifs,
judiciaires, pour mesurer sa place du point de vue du
développement des pouvoirs et de l'acculturation
politique. Pourquoi l'enquête ? Qui réclame
l'enquête ? Quelles sont les limites de son exercice
?
.
Robert
Jacob
Au cours
des dernières années, les recherches de
Robert Jacob ont été réorientées.
Le domaine de l'histoire de la famille, sans jamais
être abandonné, est passé au second
plan par rapport à deux thématiques nouvelles
que les circonstances l'ont appelé à développer
en priorité et qui resteront au centre de ses
préoccupations dans les années qui viennent.
Il s'agit d'abord du rôle du jugement de Dieu
dans la formation de la fonction de juger en Europe
occidentale. Une hypothèse de travail, énoncée
il y a une dizaine d'années, amenait à
réévaluer la part qu'il a prise dans la
genèse des cultures judiciaires médiévales.
Il poursuit l'exploitation à travers diverses
études sur les rites, l'image et les pratiques
de la justice.
En second
lieu, la nécessité de repenser les rapports
entre histoire du droit et histoire sociale, particulièrement
sensible pour un juriste qui a choisi de s'intégrer
à un laboratoire d'histoire sociale, l'a conduit
à reconsidérer la problématique
de ce que l'on pourrait appeler les «formes premières»
du droit. Entendons les formes que le droit peut prendre
dans des sociétés sans Etat ou dans lesquelles
l'État naissant ne saurait prétendre encore
au monopole de l'émission des normes juridiques.
Le concept de «droit coutumier», par lequel
les sciences juridiques, depuis le XIXe siècle,
tendent de rendre compte de cette première émergence,
me paraît très insuffisant. C'est pourquoi
il en a entrepris une critique systématique,
démarche qui s'est révélée
à l'épreuve d'assez longue haleine. A
sa suite se pose la question de savoir par quelles voies
pourrait se renouveler l'appréhension des formes
archaïques du droit, dès lors que serait
reconnue l'insuffisance de l'idée de coutume.
L'alternative qu'il propose se trouve dans une anthropologie
historique de la parole d'autorité comme constitutive
de la norme. Exposons brièvement ces différents
thèmes.
1. Le jugement
de Dieu et la fonction de juger dans l'espace européen.
Le projet
d'une histoire du jugement de Dieu de la fin de l'Antiquité
au XIIIe siècle s'est dessiné au début
des années quatre-vingt-dix, à l'occasion
d'un premier groupe de contributions qui s'efforçaient
de situer la pratique du serment judiciaire dans la
perspective de l'anthropologie comparative. Il s'est
poursuivi à travers une série d'études,
en particulier : - une analyse d'ensemble de la procédure
et des mécanismes de la décision judiciaire
à l'époque franque, visant à y
montrer la prégnance du serment et la montée
en puissance de l'ordalie ,
" une étude
de la formation de l'ordalie de la croix, épisode
déterminant puisqu'il marque l'avènement
du judicium Dei comme modalité paradigmatique
de la décision de justice, en conséquence
immédiate de la politique judiciaire des carolingiens
,
" l'étude
du lexique de l'acte de juger en moyen français,
qui témoigne de la distinction entre une «grande
justice» (divine) et une «petite justice»
(humaine), distinction qui s'estompe au XIIIe siècle
avec le recul de l'ordalie et la rationalisation de
la justice ,
" l'examen
de la permanence de l'idée de jugement de Dieu
dans la genèse médiévale de la
déontologie judiciaire .
Par ailleurs,
la réflexion sur le jugement de Dieu nourrit
aussi les recherches qui se poursuivent dans les deux
domaines connexes, de l'image et des rites de la justice
d'une part, de l'histoire comparée de la formation
des systèmes juridiques et judiciaires européens
de l'autre. La suite attendue des recherches devrait
comprendre:
" un essai
sur la théodicée et les rites judiciaires
du bas empire romain, - un essai de chronologie des
rituels de l'ordalie médiévale,
" une étude
des rapports entre ordalie et légitimité
politique au haut Moyen Âge
" l'examen
des projections de l'idéologie carolingienne
du jugement de Dieu dans la littérature, en particulier
dans la littérature hagiographique.
L'idéal
serait de mener à bien ces études et,
à un horizon encore indéterminé,
de les réunir en un livre de synthèse
sur l'histoire du jugement de Dieu.
2. La coutume,
mythe de l'enfance du droit.
La réflexion
critique sur la coutume a fait l'objet d'interventions
au séminaire d'histoire médiévale
de l'université de Paris 1 en 1997 et surtout,
en 1999-2000 et 2000-2001, d'un séminaire tenu
à l'École des Hautes Études en
Sciences Sociales au titre d'une «conférence
complémentaire». Les premiers résultats
ont donné lieu à deux publications, très
partielles, l'une et l'autre sous presse .Schématiquement,
les conclusions pourraient se résumer ainsi.
Le concept moderne de coutume naît avec l'école
allemande du début du XIXe siècle (Historische
Rechtsschule), qui, dans le contexte très
particulier de son éclosion, en vient à
voir dans la coutume le «stade de l'enfance»
(Jugendzeit, Kindheitsstufe) de tout système
juridique. L'idée se diffuse ensuite dans tout
le champ de l'histoire et de l'anthropologie juridiques,
tandis que les administrations coloniales en font une
pierre d'angle de la régulation normative qu'elles
imposent aux colonisés. Or, le concept repose
sur des équivoques, aujourd'hui de plus en plus
fréquemment dénoncées, qui imposent
une reconsidération systématique. En fait,
l'école allemande s'est bornée à
conférer un statut scientifique et universel
à une construction intellectuelle, le «droit
coutumier» qui n'avait été auparavant
qu'un instrument forgé par la doctrine savante
de l'Europe médiévale aux fins de donner
relevance à la sécrétion de normes
en dehors des corpus écrits. L'histoire de cette
construction intellectuelle impose de remonter assez
haut. C'est à la rhétorique grecque qu'il
est revenu de systématiser, aux fins de l'argumentation,
l'antithèse de la «loi écrite»
et de la «loi non écrite», puis de
faire de la coutume un des stéréotypes
de la seconde. Longtemps tenu à l'écart
de la jurisprudentia romaine, ce topos y pénètre
à la fin de l'empire, après avoir déjà
imprégné le langage des Pères de
l'Église. Dès l'aube du Moyen Âge,
la coutume est partout présente dans les sources
appelées à constituer les deux grands
corpus romain et canonique.
C'est aux
temps scolastiques que s'élabore la théorie
classique de la coutume, comme être mixte de droit
et de fait, à la fois social et juridique, un
instrument mis à la disposition des élites
de l'Église et de l'État pour habiliter,
tout en la contrôlant, la création de normes
en dehors des textes. L'histoire de la coutume au Moyen
Âge central est alors, non celle de l'émergence
de normes auparavant enfouies au fond de la conscience
populaire, mais d'un processus d'interaction entre appareils
d'États et pratiques sociales. Une histoire d'ailleurs
très différente en Angleterre, en France
et en Allemagne, tant par le degré de reconnaissance
du «droit coutumier» que par les configurations
dissemblables qu'il épouse. Dans ce concert,
la France de Saint Louis apparaît comme le laboratoire
par excellence de la doctrine savante des commentateurs.
3. Droit
et parole : pour une anthropologie historique de la
parole normative
Dissipée
l'illusion coutumière, il faudrait envisager
d'ouvrir de nouvelles voies d'accès aux phénomènes
de normativité, ou, comme on voudra, au «prédroit»
ou au droit d'avant le couple Etat-écriture.
(Il ne s'agit pas, bien entendu, d'étudier le
contenu des énoncés normatifs, mais leur
mode de formation et de validation, ce qui correspond
à la notion traditionnelle de «source»
du droit.) Dans cette perspective, Robert Jacob propose
de développer l'étude des rapports de
la norme et de la parole, thématique dont l'intérêt
est suggéré par quantité d'éléments
mais qui a été très rarement abordée
par les historiens du droit (sans doute en raison de
la prégnance de la coutume ou d'un de ses avatars,
la «tradition orale»). Dans un premier temps,
il a posé le problème en creux, à
partir du non-droit et de ses représentations
médiévales comme exclusion d'une parole
sociale. Il en est résulté deux articles
respectivement consacrés au rituel de l'exclusion
et aux représentations de l'exclu, banni ou fou
. Il espère revenir sur ces questions aussi bien
dans le champ des études médiévales
que dans celui de l'anthropologie comparée, tant
il est clair que l'association de la norme et de la
parole est sensible dans quantité de cultures,
tout en ayant été très peu étudiée.
.
Magie,
divination, poison
Jean-Patrice
Boudet
membres
: Franck Collard et Nicolas Weill-Parot
Rapport
d'activités 1996-2000
L'édition
critique du Recueil de Simon de Phares a paru
en 1997, le commentaire en 1999. Jean-Patrice Boudet
également collaboré à l'Histoire
culturelle de la France, t. I, Le Moyen Âge,
Paris, Seuil, 1997, et co-dirigé, avec Hélène
Millet et au sein de l'UMR, une anthologie commentée
de l'euvre d'Eustache Deschamps . Je propose, dans un
article publié en 2000 au sein d'un recueil d'études
offert à Jean-Louis Biget une nouvelle
interprétation de la série de tapisseries
de la Dame à la Licorne, fondée sur la
conception des six sens exprimée en particulier
par Jean Gerson: article en ligne.
Les recherches actuelles portent essentiellement sur
la magie rituelle à la fin du Moyen Âge
et Jean-Patrice Boudet prépare un ouvrage de
synthèse sur l'astrologie, la divination et la
magie en Occident (XIIe-XVe siècles). Dans ce
cadre, il a notamment réalisé une enquête
globale sur cette sorte de théurgie chrétienne
qu'est l'ars notoria, et élaboré une édition
et une étude critiques des condamnations de la
magie prononcées par la Faculté de théologie
de l'Université de Paris en 1398. J'ai reçu,
en 1997, la médaille de bronze du CNRS.
Projet de
recherche 2000-2004
Dans le
cadre d'une habilitation à diriger des recherches,
Jean-Patrice Boudet compte consacrer mes travaux dans
les prochaines années aux domaines suivants :
I.
L'élaboration d'un ouvrage de synthèse
intitulé Astrologie, divination et magie en
Occident (XIIe-XVe siècles), ouvrage qui
devrait être structuré autour des huit
points suivants :
" Inventaire
et typologie des sources : judiciaires, normatives,
doctrinales, techniques, scientifiques, historiographiques
et littéraires ; les livres et textes de magie,
conservés et disparus.
" Inventaire
et typologie des techniques, des pratiques et des rituels
: une large palette entre classification des sciences
et anthropologie religieuse.
" Nature
et surnature : agents naturels (astres, pierres, simples,
etc.) et interlocuteurs surnaturels (esprits, anges
et démons).
" Les acteurs
: les théoriciens, les praticiens et leurs juges
; l'opposition litterati et illitterati et l'idée
d'» infra-monde clérical » (Richard
Kieckhefer), hommes et femmes.
" Leurs
motivations : le pouvoir, la maladie, l'amour et la
haine, la fuite dans le rêve et l'utopie.
" La promotion
sociale, politique et culturelle de deux moyens de prédiction
: astrologie et géomancie.
" Les condamnations
de la magie et de la divination (1277,1398,1494…)
" La genèse
médiévale de la chasse aux sorcières
: chronologie (1250-1500), géographie, tentative
d'interprétation
II. En
plus des deux communications sur le Liber sacratus
et les who's who démonologiques, actuellement
en cours de rédaction, je compte travailler sur
quatre dossiers relatifs à la magie, à
l'astrologie et à la symbolique de l'État
:
" «
Le plus ancien manuscrit de la Clavicule de Salomon
» .
" «
Magie et illusionnisme à la fin du Moyen Âge
: les Annulorum experimenta du Pseudo-Pietro d'Abano
».
"
« Giovanni da Legnano et la genèse de son
interprétation astrologique du Grand Schisme
d'Occident ».
"
« Le roi-Soleil dans la France médiévale
», en préparation pour le colloque sur
Le Soleil et la Lune au Moyen Âge, Micrologus,
Vicence, septembre 2001.
III.
Dans le prolongement de ma collaboration au Lexique
de la langue scientifique (Astrologie, Mathématiques,
Médecine...). Matériaux pour le Dictionnaire
du Moyen Français (DMF) " 4, j'ai enrichi dans
de notables proportions mon lexique de la langue scientifique
et technique en moyen français, relatif à
l'astronomie, à l'astrologie, à la divination
et à la magie. Ce lexique sera intégré
au Dictionnaire de la Langue scientifique du Moyen
Âge, dirigé par Claude Thomasset, professeur
de littérature française médiévale
((Université Paris IV).
IV.
Enfin, j'ai entrepris, en collaboration avec Luc Ferrier,
une traduction française du Liber judiciorum
de l'astronome-astrologue Raymond de Marseille (v. 1140),
dans le cadre de la publication, par les soins de Charles
Burnett et d'Emmanuel Poulle, des euvres de Raymond
de Marseille, à paraître aux Presses du
CNRS.
Nicolas
Weill-Parot, maître de conférences à
l'Université de Paris VIII, est conseiller scientifique
de ce programme.
.
L'information
Claude
Gauvard
Avec
Nicolas Offenstadt, Kouky Fianu, Xavier Nadrigny
L'ouverture
de ce thème est lié aux recherches les
plus récentes de divers doctorants et, de façon
générale, à celle que Claude Gauvard
mène sur l'opinion publique, parallèlement
aux recherches sur la justice. Cet aspect a donné
lieu à des publications sur la circulation des
nouvelles et la rumeur. Plusieurs communications resteront
inédites, celle qu'elle a faite en janvier 2000
à l'Ecole nationale de la magistrature sur Quelques
manifestations de l'opinion publiques à la fin
du Moyen Âge ou celle que j'ai faite sur Information
et pratique du pouvoir en France à la fin du
Moyen Âge, dans le cadre des rencontres des
pays francophones (mai 2000). La communication faite
lors de la journée d'études de l'Ecole
doctorale d'Histoire (mai 2000) sur La rumeur et
les gens de guerre est publiée dans Hypothèses
2000.
Plusieurs
maîtrises ont été consacrées
à l'étude de l'information, en prenant
pour source les registres de délibération
des villes : Châlons, Troyes, Reims, Amiens. La
thèse de l'Ecole nationale des chartes de Xavier
Nadrigny a repris ce sujet pour la ville de Toulouse
et ses résultats sont très encourageants.
Son auteur a pu mesurer la vitesse d'arrivée
des nouvelles, le poids budgétaire des nouvelles,
les conséquences de l'information pour le développement
d'une hiérarchie des villes et leur constitution
en réseau. Ces thèmes méritent
d'être approfondis et, pour Toulouse, Xavier Nadrigny
envisage de poursuivre son étude dans le cadre
d'une thèse de doctorat d'Histoire. Il reste
aussi beaucoup à faire pour étudier les
rituels de l'information et les hommes qui en sont chargés.
De ce point de vue, le thèmes de l'information
recoupe celui des rituels, comme le montre la table-ronde
sur le Cri, ainsi que les travaux de Nicolas Offenstadt.Outre
cette publication qui met l'accent sur les rituels de
communication, cet axe sera amené à participer
à deux rencontres internationales :
" Comment
construire une histoire de l'information ? ateliers
de Bordeaux, 8-9 juin 2001, qui unit des spécialistes
historiens de l'Antiquité jusqu'à nos
jours et des anthropologues. La rencontre doit insister
sur les mots qui désignent l'information, le
rôle du pouvoir et les espaces d'information.
Information
et nouvelles : colloque de Montréal-Ottawa,
dir. Michel Hébert et Kouky Fianu, mai 2002.
J'assurerai l'introduction du colloque et plusieurs
membres de notre axe y feront une communication.
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