.
1998-2000

Lecture sociale des choix anthroponymiques
L'héridité du nom...

 2001-2004

Présentation générale
...problématique de l'identité
Pertinence du problème...
État de la recherche Hypothèses ...
Principes généraux ...
.

Anthroponymie ; une collection...

Les taxinomies sociales
Les taxinomies ...
La raison graphique

Les signes de l'identité personnelle

. . LAMOP..Annuaire...Séminaires...Colloques...Bibliographie...Créations...Actualités...
 
La production des identités sociales
au Moyen Âge
Patrice Beck, Monique Bourin, Pascal Chareille et Joseph Morsel 

L'axe III du LAboratoire de Médiévistique Occidentale de Paris a pris en 1997 la suite du GDR 955 qui arrivait à son terme. Pendant trois ans il a développé les programmes en cours et a abordé le thème nouveau de l'isonymie. Ces programmes se poursuivront au cours du prochain plan quadriennal. Mais les études sont maintenant suffisamment avancées pour qu'il paraisse judicieux de les inclure dans un ensemble plus vaste, dont l'approche anthroponymique n'était qu'une de voies d'accès, l'analyse des processus de production des identités sociales au Moyen Age.


.
BILAN DES ANNEES 1998-2000

1. Lecture sociale des choix anthroponymiques :
Dans le système anthroponymique actuel, les choix des prénoms des enfants sont des marqueurs sociaux d'une grande précision. Qu'en était-il à la période médiévale, pour le nom aussi bien que pour le surnom qui est déjà souvent hérité, mais encore aussi susceptible de transformation ? Pouvoir lire les signes d'appartenance sociale à travers l'anthroponymie renverrait à une perception des formes de la distinction sociale en matière d'identité. 
Il pouvait paraître aisé de commencer cette étude systématique en partant d'une analyse des différences entre l'anthroponymie des serfs et celle des libres. C'est ce qui est tenté dans le volume V de Genèse de l'anthroponymie médiévale : Serfs, dépendants et domestiques :la difficile lecture anthroponymique des statuts juridiques et sociaux à paraître au début de l'année 2001 aux Publications de l'Université François Rabelais (Tours), à la suite des volumes précédents. Au fil des mois, ce volume s'est notablement enrichi par rapport à son objectif premier. Pascal Chareille a mis en place des procédures statistiques fines afin de comparer de manière « robuste » l'anthroponymie des libres et celles des serfs. 
On sait à quel point l'anthroponymie des esclaves noirs d'Amérique est spécifique. On pouvait s'attendre à un phénomène équivalent, qui aurait pu s'atténuer au fur et à mesure que s'effectuait l'intégration des serfs dans l'ensemble de la seigneurie et de la communauté villageoise. Rien de tel n'est apparu, car même sur les très longues listes des polyptiques carolingiens, on ne voit aucune différence anthroponymique notable entre colons libres et serfs. On pouvait aussi penser que l'apparition des surnoms et leur développement en un surnom plus ou moins hérité serait aussi marqués par des différences notables de chronologie et de typologie selon le statut des parents. Et notamment que l'inscription du servage dans des formes de plus en plus réelles entraînerait une proportion croissante de surnoms de lieu, remplaçant des surnoms patronymiques. Là aussi les résultats sont surprenants.

Introduction :
M. Bourin (Université de Paris 1) et P. Chareille (Université de Tours) : Anthroponymie et stratification sociale.
P. Chareille (Université de Tours) : Méthodologie de la comparaison : noms des libres, noms des dépendants.
A l'époque carolingienne : 
L. Feller (Université de Valenciennes) : L'anthroponymie de la servitude en Italie centrale aux VIIIè-IXème siècles.
V. Mottu et P. Chareille (Université de Tours): Libres et serfs dans le polytpique d'Irminon : une anthroponymie différente?
M. Sauzet et P. Chareille (Université de Tours): L'anthroponymie servile dans le polyptique de Wadalde (Saint Victor de Marseille)
Au ceur du Moyen Age :
M.I. Carzolio (Université de Buenos Aires) : Antroponimia servil en el Noroeste hispanico. Los siervos de Celanova, Sobrado y Samos. 
C. Savoie (Université de Tours) et Patrice Beck : L‘anthroponymie de la dépendance d'après le Livre des serfs de Marmoutiers (958-1269)
 Pavel Gabdrakhmanov ( Académie des Sciences, Moscou), Comportement anthroponymique dans les familles des sainteurs en Flandre de la fin du XIIe et du début du XIIIe siècle.
Généalogies commentées :
N. Taylor (Université de Harvard) : Monasteries and Servile Genealogies : Guido de Suresnes and Saint Germain des Prés in the Twelfth Century.
R. Durand (Université de Nantes) : Dénomination d'esclaves au Portugal (fin 9ème-début Xème)
Le nouveau servage :
P. Freedman (Université de Yale) : Servile Names in Catalonia, 1180-1283
M. Mousnier (Université des Antilles) : Dépendants du Languedoc occidental (milieu XIème-fin XIIIème siècles) : aspects anthroponymiques.
F. Menant (ENS Ulm) : L'anthroponymie des serfs du Liber Paradisus
Patrice Beck et Pascal Chareille : titre à préciser Bourgogne XIVè-XVème
P.H. Billy (CNRS Toulouse): Les noms des serfs en Valois au XIIIème siècle
F. Michaud (Université d'Orléans) : Les dépendants de la Sainte Chapelle de Bourges à Genouilly (seigneurie de Graçay) en 1466.
La stigmatisation anthroponymique :
A. Stella (CNRS Lyon) : La dénomination comme marqueur de la soumission.
Conclusion :
M. Bourin et P. Chareille : l'unanimité sociale de l'anthroponymie médiévale et ses nuances : nobles, libres et dépendants.

Cette analyse des formes sociologiques du choix anthroponymique doit prendre en compte les pratiques aristocratiques pour lesquelles les renseignements sont plus abondants et les recherches plus nombreuses. Pourtant il est évident que beaucoup de ces recherches, notamment anciennes, sont dangereuses parce que loin de s'intéresser à la pratique anthroponymique pour elle-même, en analysant, outre l'hérédité éventuelle du nom et du surnom, la richesse et la variété individuelle des formes de l'identité noble et en en cherchant le fonctionnement, les études ont surtout des objectifs généalogiques et cherchent bien au contraire à formuler une identité unique pour chaque membre des lignages observés. 


2. L'hérédité du nom et des circonstances du changement du nom de famille.
Le problème est fort compliqué. Les premières études ont porté surtout sur la période de formation de l'anthroponymie à deux éléments, et ont fait apparaître des transmissions très précoces, telles que les fratries portent le même surnom et qu'on le suit également de père en fils. Il faudra cependant vérifier ces premières constatations et surtout, il faudra en développer l'étude pour les siècles de la fin du Moyen Age où la richesse de la documentation permet d'appréhender les changements, mais où épidémies et migrations rendent aussi, sans doute, les occasions de mutations anthroponymiques très nombreuses. Attachement à un patronyme, volonté de changement, acceptation d'une nouvelle dénomination par la société englobante à la suite d'une migration, les solutions sont nombreuses et elles renseignent sur les processus d'identification. Ce thème a donné lieu à deux séminaires à l'Ecole Française de Rome, sous la direction de Jean Marie Martin et François menant et à la parution des textes qui y ont été présentés dans le tome 110-1-1998 p.79-270. Une présentation de ces travaux en cours a été publiée dans la Rivista Italiana di onomastica (RIOn), V, 1999, 2, p. 363-371.

PROGRAMME  2001-2004

A) Présentation générale (J. Morsel)
1. Le développement considérable de la problématique de l'identité dans les sciences humaines
La question de l'identité a pris une importance considérable dans les sciences humaines depuis les années 1980. En 1987, la revue L'homme et la société a d'ailleurs consacré un numéro à la « mode des identités ». L'évolution se manifeste de manière emblématique à travers la revue Actes de la Recherche en Sciences Sociales : en 1980, un numéro spécifiquement consacré à l'identité traite essentiellement du régionalisme (l'identité juive étant en outre l'objet d'un entretien " c'est-à-dire une forme scientifiquement mineure) ; dix ans plus tard, en 1990, c'est à la femme qu'est consacré un numéro entier de cette revue…
Deux démarches dominent principalement le champ des sciences sociales quant au traitement de l'identité. D'une part, l'identité est devenue un objet « naturel » des sciences sociales, notamment aux Etats-Unis puis, par contrecoup, en Europe : on étudie en particulier l'identité nationale ou ethnique, l'identité culturelle ou l'identité sexuelle de tel groupe ou en tel lieu ou à telle époque, comme s'il s'agissait d'une donnée factuelle, d'un objet préexistant à la recherche scientifique. Ou alors, c'est la référence identitaire elle-même qui est mise en question, c'est-à-dire la raison pour laquelle elle est devenue un discours omniprésent dans les sociétés occidentales " y compris des chercheurs occidentaux. Alors que la première tendance a comme conséquence principale de voir se multiplier des emplois incontrôlés de la notion d'« identité », qui n'est souvent qu'un pur mot d'ordre, une sorte de « fourre-tout » destinée simplement à justifier l'existence de groupements de recherche, la seconde tendance se maintient le plus souvent à un niveau essentiellement épistémologique et débouche rarement sur des résultats pratiques en termes de recherche de terrain…

2. Pertinence du problème des identités pour les médiévistes
Se pencher sur le problème de l'identité au Moyen Âge n'est pourtant pas une démarche gratuite ni une simple manière de transférer un thème à la mode dans le champ de la médiévistique. Le problème de l'identité a d'ailleurs été classiquement traité (et est encore en cours de traitement) sous deux aspects principaux : l'émergence du sujet (celui qui dit « je » dans l'autobiographie, ou qui se désigne comme l'auteur de l'ouvrage ou du tableau) et les procédures d'identification des personnes, qui relèvent de pratiques souvent très différentes de celles qui ont cours dans notre société. Jusqu'à présent, l'on s'est le plus souvent contenté de « traduire » dans notre système d'identification des personnes les données fournies par les documents (par exemple ce personnage qui se désigne comme « le pénitentier d'Amiens » que nous traduisons par « Jean de Sains »), sans s'interroger suffisamment sur les enjeux méthodologiques d'une telle pratique. D'une manière générale, les médiévistes sont confrontés à plusieurs ensembles de problèmes, sur lesquels la réflexion d'ensemble et les propositions concrètes font défaut :

a) les documents fourmillent de désignations (verbales et/ou iconiques) de personnes, traitées le plus souvent comme des données brutes : noms propres, titres, catégories sociales, armoiries, etc. Or, il s'agit à chaque fois de procédures d'identification qui révèlent moins une identité préexistante qu'elles ne la construisent par la sélection et l'élimination de tel ou tel trait social (sexe, parenté, appartenance sociale, etc.) ;
b) le plus souvent, de multiples formes d'identification d'une même personne se chevauchent, s'articulant les unes aux autres ou s'ignorant : une femme pourra ainsi dans un même document être identifiée en même temps par son nom de baptême (qui en fait une chrétienne) et le nom de son époux (qui en fait une femme mariée), sceller avec sceau aux armes de son père (qui en fait une fille) et le nom de son père ou de son mari, tout en étant qualifiée de gentille dame (ce qui en fait une aristocrate) : doit-on isoler et donner la priorité à une forme par rapport aux autres ? Que doit-on faire lorsque les textes désignent une femme du nom de son mari, mais que son sceau la présente seulement comme fille de son père?
c) les individus sont également le plus souvent rattachés à des catégories sociales (« clerc », « chevalier », « serf », « noble », etc.), comme mode complémentaire (ce qui ne veut pas dire secondaire) d'identification, qui ne prennent cependant leur sens qu'au sein de l'ensemble de la taxinomie sociale puisque par exemple la qualification de quelqu'un comme 
« chevalier » ne trouve son sens que par rapport au « clerc », au « moine », au « vilain », au « jeune », à l'« écuyer », à la « dame », etc. Or, là encore, les textes ne révèlent pas des identités sociales, ils les construisent, en leur donnant en outre l'apparence du naturel et/ou de l'ancien. Si nous nous contentons de reprendre les termes de cette taxinomie (si nous disons sans plus « untel est chevalier », parce que des documents disent « untel, chevalier »), nous réifions et naturalisons ladite taxinomie par la caution de notre discours scientifique, au lieu d'en restituer le sens ;
d) les personnes étant identifiées à la fois individuellement (nom, etc.) et catégoriellement (clerc, etc.), se pose alors le problème de l'articulation des modes d'identification entre eux : chacun relève-t-il de sa logique sociale propre, ou alors les formes d'individuation sont-elles indissolubles de manifestations de l'appartenance à des catégories sociales. Dans ce cas, aucune forme d'identification ne pourrait être étudiée en tant que telle, mais uniquement par rapport aux autres formes, individuelles ou collectives ;
e) des transformations dans les modes de désignation des individus comme dans les catégories sociales sont manifestes, mais quel est leur sens : ces transformations renvoient-elles à des transformations profondes de la société (évolution des systèmes de parenté pour ce qui est des noms, évolution des systèmes de domination pour ce qui est des qualifications sociales comme « chevalier », « serf », etc.), dont elles seraient le reflet ? Sont-elles plutôt des instruments de ces transformations sociales, en permettant l'objectivation de schémas sociaux abstraits ? Ou alors n'ont-elles éventuellement aucun rapport, les changements de désignation ne renvoyant qu'à des changements documentaires ?

3. État de la recherche médiévale
Du point de vue théorique, il n'existe pas de réflexion globale et abstraite sur le problème de l'identité sociale (individuelle ou collective) au Moyen Âge, c'est-à-dire fondamentalement sur le rapport entre les signes (verbaux et/ou iconiques) et les rapports sociaux qui leur donnent naissance et qu'ils informent. On en est pour cela réduit à recourir aux travaux des sociologues (É. Durkheim, P. Berger et Th. Luckmann, P. Bourdieu, L. Boltanski, A. Derosières, M. Godelier, etc.), qui posent pour nous le problème majeur de l'anhistoricité . Par ailleurs, aucun de ces modèles ne permet de prendre en compte une dimension essentielle pour la compréhension des identités sociales : nous n'avons affaire qu'à des représentations hautement formalisées de ces identités, qu'elles soient textuelles ou iconographiques. C'est en effet uniquement par l'intermédiaire de ces formalisations que nous avons accès aux identités, ce qui impose de comprendre le sens social de celles-ci avant de pouvoir interpréter les discours et les pratiques sociales qu'elles présentent. Or, les réflexions sur le sens social de l'usage médiéval de l'écriture et des images reste encore largement insuffisantes et contraignent, là encore, à recourir aux travaux de disciplines voisines, cette fois l'anthropologie (notamment les travaux de J. Goody) ; en la matière toutefois, un certain nombre de médiévistes sont à l'euvre et fournissent des bases de travail très utiles (M. Clanchy, B. Stock, L. Kuchenbuch, etc.). Un aspect connexe de ce problème est celui du choix des langues écrites (latin, français « du roi », parlers régionaux), sur lequel travaille en particulier S. Lusignan.
Par ailleurs, tous les secteurs (correspondant chacun à une forme d'identification) ne sont pas également traités. Si l'anthroponymie médiévale a connu depuis les années 1980 un profond renouvellement lié au programme "Genèse médiévale de l'anthroponymie moderne" et à ses prolongements, il n'en va pas du tout de même de la sigillographie, que l'on peut considérer comme sinistrée en France (elle est presque complètement laissée de côté, au mieux considérée comme une science auxiliaire) comme à l'étranger (les quelques médiévistes qui s'en occupent sont très rares : B. Bedos-Rezak aux États-Unis, V. Vahl et A. Stieldorf en Allemagne, etc.). L'héraldique a connu son heure de gloire avec M. Pastoureau, dont les travaux se sont cependant orientés avant tout vers les aspects symboliques (sens des couleurs et figures) et plus secondairement vers les aspects identitaires ; surtout, on ne voit actuellement aucune relève se préparer. L'histoire de la signature a fait l'objet de quelques travaux récents mais au demeurant peu nombreux (B. Fraenkel en 1992, C. Jeay en 1999), tandis que sont négligés les signets des notaires. Pour ce qui est du problème des taxinomies sociales, J. Batany, Ph. Contamine, B. Guenée et J. Le Goff avaient proposé en 1967 un « Plan pour l'étude du vocabulaire social de l'Occident médiéval », mais on a relativement peu progressé depuis du point de vue d'une réflexion globale : on ne dispose guère que d'études menées ponctuellement sur tel ou tel élément de ces taxinomies (J. Given sur l'« hérétique », R. Wenskus (dir.) sur le « paysan » allemand, J. Morsel sur « la noblesse » allemande ou « les bourgeois parisiens », etc.).
Enfin, du point de vue des structures de recherche : il n'y a pas à notre connaissance d'unité spécifiquement consacrée au problème de l'identité médiévale. Un cas particulier est celui du GRHIS (« Groupe de Recherche en Histoire ») de l'Université de Rouen, qui vient d'adopter comme programme "Identités et pratiques sociales" (après s'être consacré durant de nombreuses années à l'histoire de la sociabilité " une évolution symptomatique du phénomène général signalé plus haut). La démarche du GRHIS dépassant le cadre de l'histoire médiévale et se focalisant sur les pratiques sociales plutôt que sur les modes de construction formalisée des identités sociales, il s'agit donc de deux perspectives différentes et complémentaires (ce que manifeste la collaboration ponctuelle avec le GRHIS de l'un des participants au présent programme, J. Morsel).

4. Hypothèses préliminaires
L'étude de la production des identités sociales repose sur les hypothèses suivantes, susceptibles d'être validées ou infirmées au cours des recherches menées :

a) toute réalité est socialement construite, a fortiori les identités sociales (homme, femme, clerc, laïc, noble, non-noble, citadin, paysan, et tous les autres termes des taxinomies sociales médiévales) et les formes sociales d'identification des personnes (anthroponymie, héraldique, sigillographie, etc.) ;
b) les identités sont le produit indissociable des rapports sociaux qui les incorporent et des représentations qui les formalisent ; 
c) les identités sociales et les formes d'identification personnelle observables dans les sociétés médiévales ne peuvent donc pas être considérées comme des instruments de description (par les contemporains, puis par les historiens) du monde social en question : ils servent à sa construction et à sa prescription, c'est-à-dire également à la production et à la reproduction des rapports sociaux qui fondent la société considérée ;
d) l'évolution des identités sociales et des formes d'identification des personnes ne peut donc être considérée comme le « reflet » d'un changement « ailleurs » dans la société (rapports matériels, production écrite, etc.), mais comme un facteur important de l'évolution sociale globale, en actualisant et en cristallisant la mise en place de nouveaux rapports sociaux et en organisant les actions et les rapports de force autour de ces neuds de l'imaginaire social ;
e) l'histoire de la production des identités sociales spécifiques et de leur articulation avec d'autres notions (éventuellement antérieures, mais dont le sens relatif se modifie en conséquence) est donc un impératif à la connaissance de la société médiévale, non seulement du point de vue de ses « mentalités » (son imaginaire social collectif) mais aussi de son fonctionnement social général.

5. Principes généraux des opérations du thème III

" reprendre la série des travaux d'anthroponymie médiévale menés dans le cadre du LAMOP (thème à part entière dans le précédent état quadriennal) pour en poursuivre les enquêtes, tout en les intégrant à une réflexion plus vaste sur le problème de l'identité sociale ;
" étendre l'aire géographique au-delà de la sphère française et méditerranéenne (pour ce qui est de l'anthroponymie) et mener les enquêtes taxinomiques et sémiotiques sur l'ensemble de l'Occident médiéval ;
" mener une réflexion théorique à la fois sur les notions (identité, identification) et les aspects épistémologiques (rapports avec l'écriture et l'iconographie, rapports entre idéel et matériel) ;
" articuler chercheurs français et chercheurs étrangers travaillant sur des thématiques parallèles, mais dans des perspectives différentes ou avec des postulats particuliers ;
" poursuivre une collaboration avec les Archives Nationales et développer une collaboration avec l'École Nationale des Chartes.

Tout ceci débouche sur le projet de trois programmes spécifiques mais interdépendants.

B) Programme 1 : Anthroponymie
Le programme d'études anthroponymiques poursuivra le développement les thèmes indiqués ci-dessus. La soutenance prévue de la thèse de Pascal Chareille permettra de faire le bilan des méthodes statistiques les plus adaptées aux traitements anthroponymiques.
Les études de cas minutieuses demeurent une méthode indispensable, complément nécessaire aux vastes enquêtes reposant sur de vastes données synchrones. Notre intention est de pousser l'étude, jusqu'ici restée en retrait, des deux derniers siècles du Moyen Age, pour y disposer de sources plus abondantes et observer le comportement d'un système désormais en place, mais nullement gelé par la législation étatique.
Disposant déjà de bases de données régionales abondantes pour diverses régions, notre projet est d'y ajouter quelques autres régions et d'observer le devenir des patronymes:

" définir des patronymes spécifiques tout en réfléchissant à l'échelle de la spécificité (locale, régionale, micro-régionale) et en observer le fonctionnement. Cette recherche sera l'objet d'une collaboration avec des généticiens de l'université de Paris VII, autour des phénomènes d'isonymie (homonymie du surnom) et de leur gestion par les individus et la société.
" l'isonymie peut être utilisée comme marqueur de migrations, ce qui implique de vérifier dans quelles circonstances et pour quelles raisons le surnom survit à la migration ou s'y perd 
" elle permet aussi d'analyser la fréquence des surnoms en une aire d'interconnaissance à définir : la très rapide diffusion de certains patronymes est-elle le fait du hasard biologique ou a-t-elle parfois d'autres raisons, parmi lesquelles la notabilité, dont il convient de préciser les contours. Pour des causes démographiques (si les familles notables ont plus d'enfants que les autres) ou par attachement à un surnom associé au prestige familial ? Comment se gèrent alors les évolutions de la fortune, ascension sociale ou déchéance ?


C) Programme 2 : Les taxinomies sociales (J. Morsel)
Si l'on peut admettre sans difficulté avec Marc Bloch que l'histoire a pour objet premier le changement social, il n'en reste pas moins que la simple appréhension du changement qu'il convient d'expliquer est loin d'être chose facile. Dans la mesure où, par définition (puisque l'histoire commence avec l'écriture) comme en pratique, le matériau essentiel de l'historien est le document écrit, l'étude du changement social se fait à travers l'étude du changement « langagier » : le changement lexical (apparition/disparition de termes sociaux), le changement sémantique (modification du sens d'un terme) et le changement discursif (modification implicite ou explicite de la manière dont on parle de tel ou tel aspect social). Le phénomène à travers lequel ces changements sociaux se laissent le mieux problématiser est celui des catégories sociales du discours médiéval, qui servent à formaliser les rapports sociaux à l'aide de jeux d'oppositions lexicales (par exemple chevalier/paysan, chevalier/moine, clerc/laïc, paysan/citadin, homme/femme, jeune/vieux, etc.).
Pour ce qui est des trois formes de changement linguistique évoquées, leur traitement reste largement « impressionniste » chez les médiévistes, bien que les techniques d'analyse et les instruments statistiques et informatiques existent désormais. Le problème le plus grave n'est toutefois pas vraiment au niveau de la mesure mais de l'interprétation du changement lexical et/ou sémantique : que signifie et quelle est la portée de changements observables au niveau des catégories sociales opératoires dans telle société ? Les deux positions principales qui s'affrontent admettent, l'une, que le changement linguistique renvoie à un changement social effectif dont il est la manifestation textuelle, le « reflet » ; l'autre, que le changement linguistique ne renvoie qu'à des changements internes à la production textuelle et donc qu'on ne peut rien en déduire quant à l'apparition/disparition éventuelle de telle ou telle catégorie sociale. Ainsi, pour reprendre des exemples qui ont engendré de vigoureux débats historiographiques :

" que signifie le remplacement du terme mancipium par le terme servus en Occident vers l'an mil : la substitution définitive, à cette époque-là, du servage à l'esclavage ? Ou un simple changement dans la rédaction des documents écrits ? Le même problème se pose avec la généralisation du terme milites : témoigne-t-il de la naissance de la chevalerie au XIe siècle, ou celle-ci est-elle d'origine carolingienne ?
" lorsqu'en Espagne, en France, en Angleterre et dans l'Empire, les rois et princes commencent à désigner les Juifs à partir des environs de 1200 comme « nos Juifs » et à les traiter tamquam servi (« en tant que serfs »), cela signifie-t-il qu'ils sont devenus des serfs (alors que la mention du servage régresse partout à la même époque), ou que l'on fait « comme si » ils étaient des serfs, afin de manifester leur caractère « à part » ? En ce cas, quelles sont les incidences concrètes de ces changements sur le statut des Juifs ? 
" que conclure de l'apparition vers 1430 du terme adel (« noblesse ») dans certaines régions de l'Empire : que la noblesse n'existe pas avant le XVe siècle ? Que l'aristocratie se dote alors, face à d'autres acteurs sociaux (villes, princes), d'un discours homogène qui a eu en retour des effets sociaux importants ? Ou alors que ces modifications terminologiques n'ont finalement rien changé à l'affaire et ne relèvent que de l'apparition de locuteurs nouveaux (citadins, auteurs de traités politiques inspirés d'exemples romains, etc.)  ?

Derrière cette question s'en cache une autre : dans la mesure où les historiens n'ont accès, pour ce qui est des discours sociaux, qu'à des sources écrites (ou éventuellement iconographiques), et non pas au langage courant, se pose alors le problème d'un phénomène de filtrage spécifique, ou plus exactement de mise en forme particulière de l'information en fonction de représentations sociales et d'évaluations du dicible. Ce problème du rapport entre l'écrit (conservé) et le dit (envolé) correspond au vieux problème du rapport entre le texte et la réalité : ce que nous dit le texte, qui prétend parler de la réalité, est-il la réalité ? Y a-t-il une réalité en dehors du texte, que celui-ci (indépendamment des conditions de conservation des sources) ne nous permettrait pas d'atteindre, les textes n'étant pas seulement des lucarnes infimes sur un réel infini, mais encore des lucarnes munies de verres déformants ?
Ce problème du rapport entre le texte et le réel a pris un tour particulièrement crucial au début des années 1990 avec ce qu'on appelle désormais le linguistic turn. Il s'agit essentiellement de l'application au champ historique de thèses développées pour le champ littéraire et fondées sur la proposition cardinale de J. Derrida selon laquelle « il n'y a pas de hors-
texte », dont on infère que le texte est une entité close sur elle-même, perpétuellement réinterprétable et sans rapport avec une réalité (y compris l'auteur) qui lui serait extérieure . La réaction a jusqu'alors principalement porté sur la réaffirmation d'une articulation spécifique de l'idéel et du matériel, des discours et des pratiques " l'idéel étant lui-même constitutif du réel, mais retraitant pour ce faire des matériaux issus des rapports sociaux concrets. La réaffirmation de cet aller-retour entre l'idéel et le matériel, appuyée en particulier sur les travaux de certains sociologues (É. Durkheim et après lui P. Berger et Th. Luckmann, P. Bourdieu) et sur la philosophie du discours de M. Foucault, est un des grands acquis de la réflexion récente en histoire sociale.
Toutefois, le défi épistémologique posé par le linguistic turn à l'activité historique reste encore irrésolu et incontournable, pour diverses raisons. En premier lieu, la spécificité de l'écriture dans cet aller-retour n'a pas été ne serait-ce même qu'envisagée. Or, elle se situe précisément à la charnière des deux « mondes », parce qu'elle est une mise en forme matérielle de l'idéel : le document écrit est matériellement produit, il est conservé matériellement et donne une matérialité aux idées, réflexions et assertions dont il est le support. Les travaux de l'anthropologue anglais J. Goody  qui insistent sur la fonction spécifique de l'écriture en tant que moyen d'abstraction et d'articulation logique de l'idéel social, n'ont de ce point de vue guère été reçus et mis à profit par les médiévistes, alors même que la société sur laquelle ils travaillent était précisément caractérisée par une articulation très particulière de l'écrit et de l'oral.
Par conséquent, ce programme sur les taxinomies sociales devra comporter nécessairement deux faces : l'étude des taxinomies sociales et l'étude de la 
« raison graphique » qui permet d'en comprendre l'évolution.

a) les taxinomies sociales
Leur étude devrait être orientée dans deux directions. D'une part, il s'agit de comprendre leur sens de manière globale, en rapport avec l'ensemble des représentations et des rapports sociaux. En France, la réflexion des médiévistes a peu progressé depuis les travaux animés par G. Duby autour des « trois ordres » à la fin des années 1970. La consultation des chercheurs étrangers ayant travaillé sur les problèmes d'identité sociale taxinomique (P. Freedman à Yale, G. Algazi à Tel Aviv, N. Kopossov à Petersburg, B. Jussen à Göttingen/Dresde, etc.) est ainsi tout autant incontournable que celle des anthropologues (F. Weber) et sociologues (A. Desrosières).
D'autre part, l'examen de taxinomies binaires (par opposition, par exemple, à celles qui structurent le tout social en trois ordres, voire les dix ordres de Berthold de Ratisbonne), qui sont de très loin les plus couramment utilisées dans les documents est nécessaire pour dépasser ne niveau de connaissance « impressionniste » qu'on en a encore trop souvent. Les binômes les plus significatifs pour la période retenue (XIIe-XVe siècles) sont en général considérés comme étant ceux de clercs/laïcs, chrétiens/juifs, nobles/non-nobles, hommes/femmes, jeunes/vieux. Ces binômes ont tendance à se chevaucher, voire à se croiser et se combiner : leur sens ne peut en aucun cas être étudié isolément mais uniquement en tant que fragment de l'ensemble articulé des binômes. En outre, il importe de hiérarchiser les binômes, puisque certains modes de classement peuvent être secondaires par rapport à d'autres (tandis qu'ils sont fondamentaux dans notre société).
Tout ceci rend l'enquête difficile, fondée sur une succession d'approximations. Une première étape consistera à déterminer le champ lexical et sémantique de certaines catégories sociales, en fonction des travaux disponibles ou en cours, avant de passer à une échelle plus systématique. Cette approche reposera sur le recours aux instruments statistiques disponibles et pourra guider des travaux d'étudiants. Les catégories actuellement envisageables sont :

" « les vilains », catégorie qui connaît apparemment des évolutions divergentes selon les régions, vraisemblablement en fonction des spécificités locales du système seigneurial. Il s'agira notamment de comprendre les effets de la mise en place d'un référent communautaire spatialisé sur des rapports seigneuriaux conçus comme personnalisés, enfin de restituer la logique des cas où, inversement, c'est moins le référent villageois que des désignations personnelles et seigneuriales 
(« les hommes de tel seigneur », « les pauvres hommes ») qui s'imposent, comme en Haute-Allemagne, sans pour autant empêcher la genèse de la catégorie globale du « vilain » (bauer). Cet examen croisera donc la route de l'équipe travaillant sur les « chartes de franchises », qui pourra donc procéder au relevé des notions dans le corpus traité ;
" « les bourgeois » constitue apparemment le pendant urbain de la catégorie précédente et peut donc être envisagée parallèlement, comme contribution au problème de la spatialisation des catégories sociales aux XIIe-XIIIe siècles . Toutefois, cette catégorie a connu ensuite une évolution particulière, par rapport à une autre catégorie sociale, celle des « nobles », du moins dans certaines régions d'Occident (la France, l'Allemagne, et ailleurs ?) ;
" « les nobles » n'ont également pas fait l'objet d'études lexicales et sémantiques précises, sauf quelques rares exceptions. Le sens et l'évolution de la catégorie restent donc tout à fait obscurs, en dépit des nombreux travaux portant sur l'aristocratie laïque médiévale. Les travaux se sont en général portés plutôt sur le terme « chevalier », sur le sens duquel les avis restent partagés, mais l'absence d'intérêt pour la catégorie « les nobles » pose le problème de l'usage du terme « noblesse » pour le Moyen Âge ;
" « les Juifs », en France, en Angleterre, en Espagne et dans l'Empire, sont une catégorie sur laquelle travaillent nombre de chercheurs français (G. Dahan, D. Iogna-Prat, B. Leroy, D. Sansy), allemands (A. Haverkamp et ses élèves) et américains (D. Nirenberg entre autres) et qui permet notamment de définir en creux la chrétienté : ils prennent peu à peu la place de ceux qui servaient autrefois à définir les limites des communautés villageoises ou urbaines, les « étrangers ». En revanche, on ne sait rien de précis sur l'évolution de leur désignation, par les chrétiens comme par eux-mêmes.

Ces approches devront tenir compte du rôle particulier joué par les divers types de documents écrits : d'une part l'efficacité « constructive » spécifique des différents types de documents (l'examen du cas franconien par J. Morsel a ainsi montré que les chartes ne mentionnent jamais la notion de « noblesse », au contraire de celle de « lignage », absente quant à elle des documents qui se préoccupent de la « noblesse » " et il se pourrait qu'il en aille de même au moins en France) ; d'autre part l'importance relative de ce point de vue des différentes parties d'un même document (les préambules des chartes, des capitulaires et ordonnances, des chroniques, etc., paraissent utiliser un vocabulaire social différent du reste du document). Ceci débouche sur le lien entre construction des catégories sociales et pratique écrite.

<

b) la raison graphique
Étant donné que la réflexion autour de ces problèmes se déroule essentiellement hors de France, le travail sur cet aspect épistémologique ne peut guère se faire en dehors de collaborations avec des équipes étrangères, notamment les deux Sonderforschungsbereiche de Münster (SFB 231 : « Träger, Felder, Formen pragmatischer Schriftlichkeit im Mittelalter ») et de Freiburg/Br. (SFB 321 : « Übergänge und Spannungsfelder zwischen Mündlichkeit und Schriftlichkeit »), le Forschungsgruppe de Zurich (« Geschichte der Schriftlichkeit und der Verschriftlichung »), le groupe de Cambridge (R. McKitterick, B. Stock), ainsi que des chercheurs isolés (M.T. Clanchy à Londres, L. Kuchenbuch à Hagen, A. Petrucci à Pise, etc.). En France, ce sont avant tout le Centre d'Études sur l'Écriture de l'Université de Paris VII (où A.M. Christin et d'autres développent une approche en partie historique, mais surtout culturaliste comparée de la pratique écrite) et les chercheurs du groupe 
« Culture écrite du Moyen Âge tardif » (CÉMAT, axe du LAMOP) qui entrent en ligne de compte.
La collaboration avec L. Kuchenbuch depuis plusieurs années dans le cadre de l'axe du CRESMO (axe 2 du LAMOP jusqu'en 2000) a permis de développer en parallèle une discussion jusqu'alors informelle autour du problème du « texte », notion-clé du linguistic turn mais remise en cause tant du point de vue de l'histoire de la littérature  que de l'histoire des pratiques et représentations médiévales de l'écriture . Une table-ronde sur le problème du « texte » est d'ores et déjà prévue pour avril 2001 à Göttingen (‘Textus' im Mittelalter. Komponenten und Situationen des Wortgebrauchs im schriftsemantischen Feld), organisée principalement par Ludolf Kuchenbuch, à laquelle participera J. Morsel.
Toutefois, il serait souhaitable que cette problématique sorte du cadre anglo-saxon et allemand dans laquelle elle est jusqu'alors principalement cantonnée, mais aussi de sa dimension presque exclusivement abstraite : le problème du « texte » est aussi un problème de réduction au seul niveau textuel d'un document doté d'une matérialité qui a un sens dans la société considérée. Ceci devrait être fait sous la forme de tables rondes organisées dans le cadre du LAMOP et réunissant des chercheurs travaillant tant sur la logique sociale de l'écriture (M. Bourin, C. Wickham, L. Kuchenbuch, J. Morsel, groupe de Paris VII, R. Sablonier de Zurich, etc.) que sur la matérialité et la visibilité du document écrit (notamment dans le cadre du CÉMAT, mais aussi de l'École des Chartes).
La prise en compte de divers types de documents ainsi que d'éventuelles spécificités locales étant impérative pour une bonne compréhension du sens social du recours médiéval à l'écriture, l'ensemble des membres du LAMOP, y compris étrangers, pourrait être mis à contribution sur la base d'un questionnaire préalablement défini et permettant d'une part de repérer les travaux portant sur le thème en question, d'autre part de différencier les types de document en fonction de leur dénomination médiévale, de l'usage qui en était explicitement prévu, des pratiques de conservation qui leur étaient affectées. C'est la compréhension du discours que la société médiévale porte sur elle-même qui pourra ainsi être approchée.

D) Programme 3 : Les signes de l'identité personnelle
Outre son nom, la personne disposait d'un certain nombre d'autres signes lui permettant de manifester son identité : ses armoiries, son sceau, éventuellement son monogramme ou, plus tard, sa signature, son signet s'il était notaire. Bien que pour nous, le nom soit censé renvoyer directement à l'individu, il n'est en aucun cas certain que le nom ait précisément été considéré comme la manifestation la plus personnelle de l'identité. L'inhumation de défunts avec la matrice de leur sceau, ou alors la destruction de celle-ci à la mort de la personne, ou encore la généralisation au XVe siècle en Allemagne du syntagme « sceau inné » (angeborenes insiegel) pourraient ainsi être considérées comme des manifestations de cette très étroite proximité entre la personne et le sceau : seule la personne l'utilise, au contraire du nom, dicible même en l'absence ou après la mort de la personne mentionnée. De manière générale, le sceau sert à manifester la présence de la personne, il est au premier chef un instrument de 
« re-présentation », ce que n'est pas (en tout cas pas dans la même proportion) le nom.
Par ailleurs, le sceau associe le plus souvent une image au nom de son détenteur : il s'agit souvent d'armoiries, mais pas uniquement (on rencontre même exceptionnellement sur certains sceaux féminins, au lieu d'un motif iconique, l'initiale du nom de baptême). Ainsi, dans la plupart des cas, le sceau réalise la mixtion de deux codes, l'un linguistique (le nom), l'autre héraldique (le blason), dont les fonctions sont toutefois différentes : autant le nom seul contribue la plupart du temps à identifier la personne elle-même (même si c'est parfois de manière relative, comme « fils de untel » ou « épouse de untel »), autant les armoiries servent souvent à replacer la personne dans un groupe parental plus vaste (l'usage des « brisures » n'étant ni systématique ni continu). Toutefois, l'adoption occasionnelle d'« armes parlantes » montre clairement qu'on a moins affaire à une opposition qu'à une mixtion. Lorsque les armoiries sont absentes, on a le plus souvent affaire à des motifs mettant en scène un personnage de même sexe que le détenteur (sauf si le personnage représenté est un saint ou un personnage biblique), censé manifester l'identité sociale du sigillant (roi, chevalier, dame noble, évêque, clerc, etc.).
On perçoit ainsi la richesse et la complexité du mode d'identification personnelle mis en euvre par le sceau. Or, la sigillographie scientifique, fondée notamment sur le recours aux instruments statistiques adaptés au traitement des nombreux caractères des sceaux (forme, taille, date, légende, motifs, etc.), est actuellement au point mort. La sigillographie est pratiquée actuellement uniquement par des généalogistes et antiquaires, ou alors au coup-par-coup par les médiévistes (en tant que science auxiliaire), ou alors uniquement du point de vue de son apparition et de sa diffusion. La question du remplacement du sceau par d'autres modes de manifestation de la présence, notamment la signature (qui combine nom et idéogramme), n'est pas sans poser de nombreuses questions, désormais déconnectées de l'aporie de l'alphabétisation.
L'étude pratique de l'identification sigillographique doit être reprise (voire même commencée), sur la base des énormes quantités de sceaux qui 
« dorment » dans les dépôts d'archives. Afin de traiter ce matériau abondant (on parle de 3 millions de sceaux conservés en Europe) et polysémique (cf. M. Pastoureau, Les sceaux, Turnhout, 1981 : « Le sceau est probablement l'une des sources les plus rigoureuses et les plus riches d'informations que le Moyen Âge nous ait laissées ») et de permettre la comparaison des résultats, il convient de définir un protocole (que les travaux pratiques permettront d'améliorer). L'archiviste allemand W. Vahl (Fränkische Rittersiegel, Neustadt a.d. Aisch, 1997) a fourni une contribution remarquable à la description formelle et informatisée des sceaux, susceptible de servir de base à des travaux plus modernes. Par ailleurs, des travaux de recherche sur des corpus restreints confiés à des étudiants (maîtrise ou DEA ) ont montré la pertinence de l'analyse factorielle pour la compréhension du sens social des choix formels. Le nombre somme toute fort restreint de médiévistes travaillant actuellement sur les sceaux rend d'autant plus nécessaire le 
« recrutement » précoce de jeunes médiévistes sur ce thème et leur encadrement par le LAMOP.
Les hypothèses quant au sens social et à l'évolution des modes d'individuation aux XIIIe-XVe siècles doivent faire l'objet d'un atelier co-organisé par le Centre d'études médiévales (UMR 5594), le LAMOP et l'École Nationale des Chartes et préparatoire à un numéro de la revue Médiévales de 2001, qui se tiendra à Paris en janvier 2001. Seront abordés le problème de l'individuation par le sceau et de ses rapports avec les autres modes, notamment la signature (B. Bedos-Rezak, Maryland ; J. Morsel, LAMOP ; C. Jeay, École des Chartes), celui de l'individuation par les techniciens du latin (B. Grévin, Paris), celui des empreintes digitales pour l'historien actuel (M. Pastoureau, EHESS) et celui de la nomination des animaux domestiques (idem).

.
le 14 mars 2001