Le
Prélèvement seigneurial
Formes et fonctions du
prélèvement seigneurial
.
responsables
.
Pascual Martinez Sopena et Monique
Bourin
Sachsenspiegel, Heidelberger Bibliothek. COD PAL GERM 164 (Fø9 v0)
La problématique de ce programme a été
élaboré au cours de l'action intégrée du Ministère
des Affaires Etrangères Picasso. Sa réalisation de sa première
phase a été grandement facilitée par un crédit
spécial de la DRI pour la collaboration franco-espagnole.Les orientations
principales de ce second programme sont voisines de celles qui ont présidé
à l'organisation du travail sur le marché de la terre.
On y retrouve :
- l'attention à la comparaison entre les
divers discours historiographiques nationaux
- le désir de comparer les régions
à partir d'un cadre défini dans des questionnaires préalables
- le souci d'utiliser des approches d'autres
disciplines, notament ethnographiques.
D'où la définition, au terme du
séminaire de Noirmoutier (1998) du programme général
suivant.
Définition
d'un problématique
quelques thèmes fondamentaux:
- qu'est-ce que la seigneurie banale? Quels droits
et pouvoirs en font partie? En évaluer la consistance, pour échapper
au jugement très fragile et imprécis de force/faiblesse.
- l'opposition banal/foncier est évidemment
une vision purement épistémologique. Toute seigneurie est
un mixage de droits de l'un et l'autre type. Il reste utile d'analyser
chaque seigneurie en fonction de cette grille.
Dans plusieurs des pays (à l'exception
de la France et de la Catalogne), surtout pour la moitié septentrionale
de l'Europe, l'historiographie admet que le concept de seigneurie
banale n'est pas opératoire. A confirmer et vérifier.
- observer la taille de la seigneurie et non
pas seulement la proportion de droits fonciers et banaux. Le nombre de
sujets et celui de tenanciers est une caractéristique essentielle
- scruter avec un soin particulier les périodes
de changement dans les formes du prélèvement seigneurial
: effet de la documentation ou réalité ? Ce qui revient à
étendre le problème méthodologique posé jadis
à propos de la mutation de l'an mil : la perception d'une accélération
de l'évolution, voire d'un brusque changement est-elle le simple
effet d'un changement de la documentation ; il faut alors poser la question
du pourquoi de ce changement dans la documentation.
Ainsi dans le Sud-Ouest de la France, la seigneurie
semble un système stable entre 1050 et 1250, soumis à une
évolution rapide en quelques décennies à ce moment-là.
La dynamique du changement est-elle perceptible
dans les milieux seigneuriaux, notamment lorsqu'apparaît le concept
de budget dans l'entreprise seigneuriale ? Dans quel rapport avec une éventuelle
influence de la culture savante ?
Apprécier
la valeur des sources de notre connaissance du prélèvement
seigneurial :
En Italie centrale et septentrionale du moins
et avant le milieu du XIIIème siècle, le prélèvement
est généralement connu au moment où il est contesté
et souvent réduit.
D'autre part, certaines sources indiquent une
sorte d'idéal, du maximum possible. Lorsque la réalité
est accessible, comme dans les livres de comptes du Frioul, on s'aperçoit
que les revenus réels sont à peine la moitié de ce
qui est « légal ».
Les documents de la Gascogne pyrénéenne
laissent ainsi dans l'ombre, jusque vers 1250, l'essentiel de la population
des tenanciers; seuls les intermédiaires sont visibles. L'impression
d'un appesantissement des charges sur leurs épaules est sans doute
un leurre : on ne perçoit pas qu'il est répercuté
à l'échelon inférieur.
La
coutume :
En Angleterre : réputée immuable,
et pourtant semble-t-il, un incessant changement.
En Italie : elles sont réputées
rédaction d'un état ancien, et sont en fait la mise par écrit
d'un changement.
L'atmosphère
du prélèvement :
Dans une perspective comparatiste (chronologique
et régionale) : analyse du vocabulaire du prélèvement.
Quelle part du vocabulaire du don ? ou de la
contrainte (illicite) ? Cette analyse permet de caractériser le
climat, plus ou moins présent/absent de pouvoir. En Allemagne, c'est
le don (donare, solvere, redimere) qui l'emporte. En Angleterre , la situation
est complexe. S'il y a des mots qui tendent à instaurer l'impression
d'un doux consentement, il est des cas où l'accent est mis sur un
arbitraire, en fait absent : tailler haut et bas, quand la taille est en
fait parfaitement régularisée.
Il est intéressant de rechercher toutes
les formes de justification idéologique du prélèvement,
par exemple dans les protocoles des chartes de franchise. On peut y trouver,
par exemple en Latium, des cas de rhétorique seigneuriale et de
rhétorique anti-seigneuriale : cf inscription de Viterbe vantant
la liberté que donne la ville après une résidence
d'un an, dans un pays d'où la servitude a disparu. (N.B. cette
rhétorique concerne ici l'état de servitude. Existe-t-elle
de manière explicite pour le prélèvement seigneurial
dans son ensemble).
En Angleterre, où la seigneurie a peu
de pouvoirs banaux, en tous cas judiciaires, l'intérêt des
seigneurs est focalisé sur l'arithmétique des revenus. D'où
leur souci permanent de faire rendre tout ce qui est possible sans susciter
de révoltes.
D'une région à l'autre l'acceptabilité
des divers prélèvements seigneuriaux semble très variable.
En Angleterre, la dîme semble bien acceptée. La fiscalité
d'Etat assez bien, peut-être parce qu'elle est assez équitable
et bien « vendue » par la propagande de la guerre contre la
France. La fiscalité seigneuriale y semble plus discutée,
tout particulièrement les lods et ventes.
Il existe sans nul doute des prélèvements
sensibles et douloureux ; d'autres indolores ou acceptés parce qu'associés
à une certaine forme de plaisir (fiscalité du marché
par exemple).
De même il y a des prélèvements
symboliques et d'autres plus lourds, mais investis d'une moindre signification.
Les révoltes ne s'élèvent-elles pas principalement
contre les prélèvements symboliques ?
La langue vulgaire dans le vocabulaire du prélèvement
: les noms anglais dans des documents en langue latine pour les droits
les mieux établis. Une situation analogue est-elle perceptible dans
d'autres régions ?
Fiscalité pétitive ou fiscalité
de commandement : quels droits sont quérables, quels droits sont
portables ? Quelle incidence introduit cette différence sur l'image
de la fiscalité ?
Les chartes de franchises précisent soigneusement
les conditions de perception. En Languedoc, les redevances proportionnelles
sont associées dans les comptes et les assises de revenus seigneuriaux
avec les revenus du domaine direct. Sans doute par confusion avec les métayages
et autres fermages : la Révolution française supprimant les
droits seigneuriaux n'a pas supprimé les champarts.
Les gestes du prélèvement
sont peu étudiés (même en Angleterre).
Le
prélèvement seigneurial et les intermédiaires :
La force de la communauté villageoise
est utilisée pour collecter les taxes.
Mais au moins en Italie, il existe d'autres formes
d'intermédiaires, outre le système qui met à la charge
de la communauté la répartition interne du prélèvement
assis globalement :
- désignation par le seigneur de collecteurs,
choisis et changés selon son gré
- percepteurs stables appartenant à la
communauté
- percepteurs extérieurs à
la communauté.
Il n'est pas exclu que les franchises aient pour
but (ou l'un des buts) de limiter l'indépendance des fonctionnaires
seigneuriaux ; et qu'elles soient plus fréquentes dans le type de
seigneuries gérées suivant le dernier mode.
En tous cas, il y a probablement un rapport entre
le nombre d'intermédiaires et la force oppressive de la seigneurie
(auquel on doit rapporter, au moins partiellement, l'intensité du
prélèvement).
Dans la Gascogne pyrénéenne, les
chartes de franchises coïncident avec le moment où la stratification
du prélèvement change. Intermédiaires, issus des «
maisons » appelés « rustici » ou « pagenses
» et autres (botoyers et autres noms « vulgaires
») sont désormais solidaires devant l'impôt. Notamment
le droit de gîte qui était assis jusqu'alors par « maison
». Les chartes de franchises apparaissent dès lors plus
comme un nouveau mode de répartition que comme un véritable
adoucissement du prélèvement. Les préambules des chartes
insistent sur cette idéologie du commun profit. Le temps du consensus.
L'échelle
d'analyse :
- la famille.
C'est un cadre fondamental parce que le prélèvement
seigneurial comporte des spécificités pour chaque membre
de la famille.
Le changement du mode d'assiette du prélèvement
date en Gascogne pyrénéenne du moment où s'instaure
un système de non-partage des biens.
La fécondité de l'analyse du prélèvement
seigneurial et des modes successoraux (cf les travaux de Lluis To Figueras
sur la Catalogne).
L'histoire seigneuriale individuelle : des régions
bien pourvue en chartes de franchises, comme la Bourgogne, montrent les
fluctuations dans le rapport sujets-seigneur, non seulement à une
échelle macro-historique, mais dans une appréhension spécifique
de rapports de force très momentanés (successions, minorités
etc..).
Croissance
et prélèvement seigneurial :
un choix historiographique de base : le
paysan n'innove-t-il que sous la contrainte? La question renvoie donc aux
mécanismes de l'innovation à la période médiévale.
L'historiographie anglaise est divisée
sur ce point : aux points de vue traditionnels qui insistent sur l'inefficacité
économique de la seigneurie, s'oppose un autre courant (incarné
notamment par Bruce Campbell) qui exprime un point de vue plus positif
sur le rôle moteur exercé par les seigneurs anglais dans la
dynamique économique.
La création des marchés a fait
partie de l'argumentation ; elle serait l'une formes d'incitation à
la commercialisation, mais s'agit-il vraiment de création ou d'officialisation
et de légitimation de lieux d'échanges fonctionnant auparavant
?
Il fut sans doute être attentif à
la chronologie. Il est possible qu'à la fin du XIIIème siècle,
le prélèvement seigneurial ne soit plus du tout une incitation
à la croissance, mais un étranglement pour certains paysans,
notamment les lods et ventes. On connaît un exemple (maximal)
d'un montant de lods et vente de 40 livres, soit le prix de 18 beufs, pour
une tenure de 12 ha. En outre, dans l'ensemble les lods et ventes
ne semblent pas peser proportionnellement à la valeur de la tenure,
mais être plus lourds pour les petites tenures.
Le
prélèvement seigneurial et les rapports villes/campagnes
:
Les petites villes sont décrites, dans
l'historiographie anglaise actuelle, comme le lieu d'achat par les paysans
de productions bon marché et non plus seulement comme le lieu de
vente de ce qui est indispensable au paiement des redevances seigneuriales.
En Italie, l'accent est mis sur l'attirance exercée
par les villes sur les élites sociales, milites castri aussi bien
que paysans. A l'inverse de l'historiographie anglaise, c'est l'incapacité
de la seigneurie à suivre la hausse de la productivité paysanne
qui pourrait être le paradigme explicatif. (et la question qui en
découle : quels facteurs pour expliquer cette faculté de
la seigneurie de suivre ou non la hausse de la productivité - et
du revenu? - paysan). Ni le système successoral ni le système
seigneurial n'endiguent cette tendance à l'accumulation des terres
entre les mains de quelques uns et la mobilité vers la ville de
ces élites.
Parmi les influences exogènes : celles
du prince. Les interventions princières dans la Gascogne pyrénéenne
font évoluer la situation en créant des villes-marchés
dans une région caractérisée jusqu'alors par un non-dynamisme
rural/non-dynamisme urbain.
Démographie
et prélèvement seigneurial :
la question se pose pour l'ensemble de la pression
seigneuriale, y compris pour le renouveau de la servitude. La réponse
italienne est magnifiquement complexe : la pression seigneuriale s'accroît
tout aussi bien au XIIème siècle, en contexte de démographie
croissante, et après la Peste Noire, en contexte de démographie
basse. Mécanismes du pouvoir plus qu‘application automatique d'une
influence simple de la croissance démographique.
La
fonction redistributive de richesse de la seigneurie semble
peu attestée. Difficile à évaluer.
On connaît quelques très rares exemples
d'aumônes exercées dans ce cadre: par exemple la distribution
d'un quart de deniers par jour à ses tenanciers par l'évêque
de Winchester en 1258.
Quand la cellule familiale est touchée
dans sa valeur productrice de base, on connaît quelques gestes salvateurs.
Mais ils ne sont pas propres au rapport seigneurial et s'exercent aussi
bien dans le métayage. Toutefois, il est possible que les petits
alleutiers, qui ne bénéficient pas de ce secours - dont l'altruisme
ne doit pas être surestimé- subissent des situations de dénuement.
Prélèvement
en nature/en argent :
A l'échelle de l'Europe, la variété
des situations est une évidence très forte.
En Angleterre, le prélèvement en
nature est exceptionnel.
Incite à la prudence par rapport à
la conclusion habituelle (française) qu'une forte proportion de
prélèvements en argent signale la « faiblesse »
de la seigneurie foncière.
Corvées.
Services en temps :
On subodorait depuis longtemps la faible valeur
économique des corvées. Elle vient d'être démontrée
à propos de l'évêché d'Ely par David Stone («
The productivity of hired and customary labour : evidence form Wisbech
barton in the fourteenth century », Economic History Review, 50 (1997),
640-656)..
Une cartographie du poids des corvées
demeure à faire : par exemple en Angleterre différence entre
les régions pastorales du Nord et céréalière
du Sud.
Une attention nécessaire : le nombre de
jours où le repas est fourni : ce n'est nullement automatique.
Les corvées ne constituent pas le
seul service en temps : y intégrer le service de garde et
service militaire, qui sont d'une lourdeur très inégale et
plus ou moins acceptés.
Analyser le
type de biens et événements
sur lesquels portent les principaux prélèvements seigneuriaux
:
biens fonciers : maisons : cultures
feux
sexes.
Mariages etc...
Ne pas omettre la fiscalité ecclésiastique
: indulgences pour les périodes tardives. Dîmes et autres
prémices.
Cet inventaire des problèmes posés
par l'étude du prélèvement seigneurial a donné
lieu à des nombreuses observations préalables dans des séminaires
divers avant que le choix s'impose d'une première réunion
de travail, au printemps 2000, au château de Medina del Campo : «
pour une anthropologie du prélèvement seigneurial. : réalités
et représentations paysannes du prélèvement seigneurial
». |