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Axe 2
Une rencontre : Medina del Campo (Valladolid) mai juin-2000

Programme 1998-2000
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Le Prélèvement seigneurial
Formes et fonctions du prélèvement seigneurial
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responsables
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Pascual Martinez Sopena et Monique Bourin


Sachsenspiegel, Heidelberger Bibliothek. COD PAL GERM 164 (Fø9 v0)


La problématique de ce programme a été élaboré au cours de l'action intégrée du Ministère des Affaires Etrangères Picasso. Sa réalisation de sa première phase a été grandement facilitée par un crédit spécial de la DRI pour la collaboration franco-espagnole.Les orientations principales de ce second programme sont voisines de celles qui ont présidé à l'organisation du travail sur le marché de la terre.
On y retrouve :
- l'attention à la comparaison entre les divers discours historiographiques nationaux
- le désir de comparer les régions à partir d'un cadre défini dans des questionnaires préalables
- le souci d'utiliser des approches d'autres disciplines, notament ethnographiques. 
D'où la définition, au terme du séminaire de Noirmoutier (1998) du programme général suivant. 

Définition d'un problématique
quelques thèmes fondamentaux:
- qu'est-ce que la seigneurie banale? Quels droits et pouvoirs en font partie? En évaluer la consistance, pour échapper au jugement très fragile et imprécis de force/faiblesse.
- l'opposition banal/foncier est évidemment une vision purement épistémologique. Toute seigneurie est un mixage de droits de l'un et l'autre type. Il reste utile d'analyser chaque seigneurie en fonction de cette grille.
Dans plusieurs des pays (à l'exception de la France et de la Catalogne), surtout pour la moitié septentrionale de l'Europe, l'historiographie  admet que le concept de seigneurie banale n'est pas opératoire. A confirmer et vérifier.
- observer la taille de la seigneurie et non pas seulement la proportion de droits fonciers et banaux. Le nombre de sujets et celui de tenanciers est une caractéristique essentielle 
- scruter avec un soin particulier les périodes de changement dans les formes du prélèvement seigneurial : effet de la documentation ou réalité ? Ce qui revient à étendre le problème méthodologique posé jadis à propos de la mutation de l'an mil : la perception d'une accélération de l'évolution, voire d'un brusque changement est-elle le simple effet d'un changement de la documentation ; il faut alors poser la question du pourquoi de ce changement dans la documentation. 
Ainsi dans le Sud-Ouest de la France, la seigneurie semble un système stable entre 1050 et 1250, soumis à une évolution rapide en quelques décennies à ce moment-là. 
La dynamique du changement est-elle perceptible dans les milieux seigneuriaux, notamment lorsqu'apparaît le concept de budget dans l'entreprise seigneuriale ? Dans quel rapport avec une éventuelle influence de la culture savante ?

Apprécier la valeur des sources de notre connaissance du prélèvement seigneurial :
En Italie centrale et septentrionale du moins et avant le milieu du XIIIème siècle, le prélèvement est généralement connu au moment où il est contesté et souvent réduit.
D'autre part, certaines sources indiquent une sorte d'idéal, du maximum possible. Lorsque la réalité est accessible, comme dans les livres de comptes du Frioul, on s'aperçoit que les revenus réels sont à peine la moitié de ce qui est « légal ».
Les documents de la Gascogne pyrénéenne laissent ainsi dans l'ombre, jusque vers 1250, l'essentiel de la population  des tenanciers; seuls les intermédiaires sont visibles. L'impression d'un appesantissement des charges sur leurs épaules est sans doute un leurre : on ne perçoit pas qu'il est répercuté à l'échelon inférieur.

La coutume :
En Angleterre : réputée immuable, et pourtant semble-t-il, un incessant changement. 
En Italie : elles sont réputées rédaction d'un état ancien, et sont en fait la mise par écrit d'un changement.

L'atmosphère du prélèvement :
Dans une perspective comparatiste (chronologique et régionale) : analyse du vocabulaire du prélèvement.
Quelle part du vocabulaire du don ? ou de la contrainte (illicite) ? Cette analyse permet de caractériser le climat, plus ou moins présent/absent de pouvoir. En Allemagne, c'est le don (donare, solvere, redimere) qui l'emporte. En Angleterre , la situation est complexe. S'il y a des mots qui tendent à instaurer l'impression d'un doux consentement, il est des cas où l'accent est mis sur un arbitraire, en fait absent : tailler haut et bas, quand la taille est en fait parfaitement régularisée.
Il est intéressant de rechercher toutes les formes de justification idéologique du prélèvement, par exemple dans les protocoles des chartes de franchise. On peut y trouver, par exemple en Latium, des cas de rhétorique seigneuriale et de rhétorique anti-seigneuriale : cf inscription de Viterbe vantant la liberté que donne la ville après une résidence d'un an, dans un pays d'où la servitude  a disparu. (N.B. cette rhétorique concerne ici l'état de  servitude. Existe-t-elle de manière explicite pour le prélèvement seigneurial dans son ensemble). 
En Angleterre, où la seigneurie a peu de pouvoirs banaux, en tous cas judiciaires, l'intérêt des seigneurs est focalisé sur l'arithmétique des revenus. D'où leur souci permanent de faire rendre tout ce qui est possible sans susciter de révoltes.
D'une région à l'autre l'acceptabilité des divers prélèvements seigneuriaux semble très variable. En Angleterre, la dîme semble bien acceptée. La fiscalité d'Etat assez bien, peut-être parce qu'elle est assez équitable et bien « vendue » par la propagande de la guerre contre la France. La fiscalité seigneuriale y semble plus discutée, tout particulièrement les lods et ventes.
Il existe sans nul doute des prélèvements sensibles et douloureux ; d'autres indolores ou acceptés parce qu'associés à une certaine forme de plaisir (fiscalité du marché par exemple). 
De même il y a des prélèvements symboliques et d'autres plus lourds, mais investis d'une moindre signification. Les révoltes ne s'élèvent-elles pas principalement contre les prélèvements symboliques ?
La langue vulgaire dans le vocabulaire du prélèvement : les noms anglais dans des documents en langue latine pour les droits les mieux établis. Une situation analogue est-elle perceptible dans d'autres régions ?
Fiscalité pétitive ou fiscalité de commandement : quels droits sont quérables, quels droits sont portables ? Quelle incidence introduit cette différence sur l'image de la fiscalité ? 
Les chartes de franchises précisent soigneusement les conditions de perception. En Languedoc, les redevances proportionnelles sont associées dans les comptes et les assises de revenus seigneuriaux avec les revenus du domaine direct. Sans doute par confusion avec les métayages et autres fermages : la Révolution française supprimant les droits seigneuriaux n'a pas supprimé les champarts. 
Les gestes du prélèvement sont peu étudiés (même en Angleterre).

Le prélèvement seigneurial et les intermédiaires :
La force de la communauté villageoise est utilisée pour collecter les taxes.
Mais au moins en Italie, il existe d'autres formes d'intermédiaires, outre le système qui met à la charge de la communauté la répartition interne du prélèvement assis globalement :
- désignation par le seigneur de collecteurs, choisis et changés selon son gré
- percepteurs stables appartenant à la communauté
-  percepteurs extérieurs à la communauté.
Il n'est pas exclu que les franchises aient pour but (ou l'un des buts) de limiter l'indépendance des fonctionnaires seigneuriaux ; et qu'elles soient plus fréquentes dans le type de seigneuries gérées suivant le dernier mode. 
En tous cas, il y a probablement un rapport entre le nombre d'intermédiaires et la force oppressive de la seigneurie (auquel on doit rapporter, au moins partiellement, l'intensité du prélèvement).
Dans la Gascogne pyrénéenne, les chartes de franchises coïncident avec le moment où la stratification du prélèvement change. Intermédiaires, issus des « maisons » appelés « rustici » ou « pagenses »   et autres (botoyers et autres noms « vulgaires ») sont désormais solidaires devant l'impôt. Notamment le droit de gîte qui était assis jusqu'alors par « maison ».  Les chartes de franchises apparaissent dès lors plus comme un nouveau mode de répartition que comme un véritable adoucissement du prélèvement. Les préambules des chartes insistent sur cette idéologie du commun profit. Le temps du consensus.

L'échelle d'analyse :
- la famille.
C'est un cadre fondamental parce que le prélèvement seigneurial comporte des spécificités pour chaque membre de la famille. 
Le changement du mode d'assiette du prélèvement date en Gascogne pyrénéenne du moment où s'instaure un système de non-partage des biens.
La fécondité de l'analyse du prélèvement seigneurial et des modes successoraux (cf les travaux de Lluis To Figueras sur la Catalogne).
L'histoire seigneuriale individuelle : des régions bien pourvue en chartes de franchises, comme la Bourgogne, montrent les fluctuations dans le rapport sujets-seigneur, non seulement à une échelle macro-historique, mais dans une appréhension spécifique de rapports de force très momentanés (successions, minorités etc..). 

Croissance et prélèvement seigneurial :
un choix historiographique de base :  le paysan n'innove-t-il que sous la contrainte? La question renvoie donc aux mécanismes de l'innovation  à la période médiévale.
L'historiographie anglaise est divisée sur ce point : aux points de vue traditionnels qui insistent sur l'inefficacité économique de la seigneurie, s'oppose un autre courant (incarné notamment par Bruce Campbell) qui exprime un point de vue plus positif sur le rôle moteur exercé par les seigneurs anglais dans la dynamique économique.
La création des marchés a fait partie de l'argumentation ; elle serait l'une formes d'incitation à la commercialisation, mais s'agit-il vraiment de création ou d'officialisation et de légitimation de lieux d'échanges fonctionnant auparavant ?
Il fut sans doute être attentif à la chronologie. Il est possible qu'à la fin du XIIIème siècle, le prélèvement seigneurial ne soit plus du tout une incitation à la croissance, mais un étranglement pour certains paysans, notamment les lods et ventes. On connaît un exemple (maximal)  d'un montant de lods et vente de 40 livres, soit le prix de 18 beufs, pour une tenure de 12 ha.  En outre, dans l'ensemble les lods et ventes ne semblent pas peser proportionnellement à la valeur de la tenure, mais être plus lourds pour les petites tenures. 

Le prélèvement seigneurial et les rapports villes/campagnes :
Les petites villes sont décrites, dans l'historiographie anglaise actuelle, comme le lieu d'achat par les paysans de productions bon marché et non plus seulement comme le lieu de vente de ce qui est indispensable au paiement des redevances seigneuriales. 
En Italie, l'accent est mis sur l'attirance exercée par les villes sur les élites sociales, milites castri aussi bien que paysans. A l'inverse de l'historiographie anglaise, c'est l'incapacité de la seigneurie à suivre la hausse de la productivité paysanne qui pourrait être le paradigme explicatif. (et la question qui en découle : quels facteurs pour expliquer cette faculté de la seigneurie de suivre ou non la hausse de la productivité - et du revenu? - paysan).  Ni le système successoral ni le système seigneurial n'endiguent cette tendance à l'accumulation des terres entre les mains de quelques uns et la mobilité vers la ville de ces élites.
Parmi les influences exogènes : celles du prince. Les interventions princières dans la Gascogne pyrénéenne font évoluer la situation en créant des villes-marchés dans une région caractérisée jusqu'alors par un non-dynamisme rural/non-dynamisme urbain. 

Démographie et prélèvement seigneurial :
la question se pose pour l'ensemble de la pression seigneuriale, y compris pour le renouveau de la servitude. La réponse italienne est magnifiquement complexe : la pression seigneuriale s'accroît tout aussi bien au XIIème siècle, en contexte de démographie croissante, et après la Peste Noire, en contexte de démographie basse. Mécanismes du pouvoir plus qu‘application automatique d'une influence simple de la croissance démographique.

La fonction redistributive de richesse de la seigneurie semble peu attestée. Difficile à évaluer.
On connaît quelques très rares exemples d'aumônes exercées dans ce cadre: par exemple la distribution d'un quart de deniers par jour à ses tenanciers par l'évêque de Winchester en 1258. 
Quand la cellule familiale est touchée dans sa valeur productrice de base, on connaît quelques gestes salvateurs. Mais ils ne sont pas propres au rapport seigneurial et s'exercent aussi bien dans le métayage. Toutefois, il est possible que les petits alleutiers, qui ne bénéficient pas de ce secours - dont l'altruisme ne doit pas être surestimé- subissent des situations de dénuement.

Prélèvement en nature/en argent :
A l'échelle de l'Europe, la variété des situations est une évidence très forte.
En Angleterre, le prélèvement en nature est exceptionnel.
Incite à la prudence par rapport à la conclusion habituelle (française) qu'une forte proportion de prélèvements en argent signale la « faiblesse » de la seigneurie foncière.

Corvées. Services en temps :
On subodorait depuis longtemps la faible valeur économique des corvées. Elle vient d'être démontrée à propos de l'évêché d'Ely par David Stone (« The productivity of hired and customary labour : evidence form Wisbech barton in the fourteenth century », Economic History Review, 50 (1997), 640-656)..
Une cartographie du poids des corvées demeure à faire : par exemple en Angleterre différence entre les régions pastorales du Nord et céréalière du Sud.
Une attention nécessaire : le nombre de jours où le repas est fourni : ce n'est nullement automatique. 
 Les corvées ne constituent pas le seul service en temps : y intégrer  le service de garde et service militaire, qui sont d'une lourdeur très inégale et plus ou moins acceptés.

Analyser le type de biens et événements sur lesquels portent les principaux prélèvements seigneuriaux : 
biens fonciers : maisons : cultures
feux
sexes. 
Mariages etc...
Ne pas omettre la fiscalité ecclésiastique : indulgences pour les périodes tardives. Dîmes et autres prémices.
Cet inventaire des problèmes posés par l'étude du prélèvement seigneurial  a donné lieu à des nombreuses observations préalables dans des séminaires divers avant que le choix s'impose d'une première réunion de travail, au printemps 2000, au château de Medina del Campo : «  pour une anthropologie du prélèvement seigneurial. : réalités et représentations paysannes du prélèvement seigneurial ». 

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. le 16 mai 2001