Le
marché de la terre
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responsable
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Laurent Feller
et Chris Wickham
Le marché
de la terre réunit autour du LAMOP des chercheurs britanniques,
espagnols, italiens et français. Il associe aux historiens des économistes
et une sociologue.
Sachsenspiegel, Heidelberger Bibliothek. COD PAL GERM 164 (Fø 2vø)
Définition
d'une problématique
La problématique a été élaborée
au cours de réunions préliminaires et notamment par la collaboration
franco-anglaise d'un programme Alliance. Il en est sorti divers documents
et un questionnaire-cadre qui fut soumis aux divers participants du colloque
des Treilles, inséré ci-dessous.
Les rapports historiographiques doivent par nécessité
être envisagés d'un point de vue complexe. Chaque pays a engendré
ses propres problématiques, issues fréquemment de façons
différentes de percevoir l'histoire. Ainsi, par exemple, les Italiens,
dont la formation est plus socio-juridique n'aborde pas les questions d'histoire
économique ou sociale de la même manière que les Français
davantage géographes. La difficulté vient de ce que les traditions
sont croisées, du simple fait de la multiplication des échanges,
des Français, des Anglais et des Allemands, travaillant sur l'Italie
ou des Américains sur l'Espagne et sur la France... C'est pourquoi
on a choisi de construire des rapports à deux voix, afin de faire
place à la région comme objet d'étude et à
la tradition historiographique propre à chaque pays. Le marché
foncier peut n'avoir pas fait en lui-même l'objet d'études
spécifiques. En revanche, beaucoup d'éléments contextuels
nécessaires à son approche ont nécessairement été
examinés. Ce sont eux que ce projet de questionnaire, dont le caractère
indicatif, est non limitatif et ouvert, cherche à énumérer.
Le
contexte général.
Critique des sources
Quelles sources sont-elles disponibles? Documents
permettant une approche directe (achats et ventes) ou indirecte (court
rolls ou autres)? Quelle chronologie est-elle envisageable? Quelles précautions
critiques doivent elles être prises?
Conjoncture et structure
La conjoncture économique. Quelle place
tient-elle dans l'animation éventuelle d'un marché foncier?
Dans quelle mesure celui-ci peut-il être considéré
comme un indicateur de croissance ou de dépression?
Quel est le rôle de « l'argument
démographique »? La croissance entraîne-t-elle automatiquement
une fragmentation de la propriété foncière et, au
rebours, une crise signifie-t-elle automatiquement une reconcentration
des exploitations? Les coutumes successorales et matrimoniales contraignent-elles
à recourir au marché pour établir les enfants et maintenir
le même niveau économique d'une génération à
l'autre?
Au fond quelles politiques patrimoniales sont-elles
possibles en fonction de ces données (contexte économique
général, contexte démographique, contexte juridico-social)?
Et qui a recours au marché? On pourrait après tout envisager
des situations où le recours au défrichement permettrait
d'éviter le marché et l'ensemble des médiations qu'il
suppose.
Parmi ces médiations, l'une est : la monnaie.
Paie-t-on en numéraire ou en nature? Et quelles incidences cela
a-t-il sur le rythme des échanges, la mobilité foncière,
la fluidité, et sur leur signification sociale - dans la mesure
où l'échange monétarisé peut être considéré
comme clos, alors que celui qui ne l'est pas demeure fréquemment
ouvert et appelant de nouvelles contreparties?
Le marché de la terre et la vie agraire
Quelles productions rurales sont-elles concernées?
Vend-on des terres à blé, des vignobles, des herbages? Cela
a-t-il une incidence sur le prix? Celui-ci est il un reflet de la destination
économique d'une terre et inversement, celle-ci est-elle perceptible
par son prix?
Comment la propriété se répartit-elle
à travers le spectre social? Est-elle inégale ou homogène?
Tout le monde a-t-il accès à la propriété de
la terre ou, au contraire, y a-t-il des monopoles ainsi que des formes
dégradées de propriété?
Comment la propriété est-elle structurée?
Raisonne-t-on en termes de manses, par exemple, ou de parcelles? Si oui,
quelle est l'unité de mesure? Peut-on la considérer comme
fixe ou, au contraire, est-elle variable dans le temps comme dans l'espace?
Les calculs éventuels et leur pertinence dépendent évidemment
de la ou des réponses à ces dernières questions.
L'activité
des marchés
La nature de l'achat
L'achat d'une maison peut parfois ouvrir le droit
d'entrée dans une communauté et donner accès aux usages
communs. On n'achète donc pas seulement une terre ou une maison.
Alors, qu'achète-t-on au juste lorsque l'on se procure une terre
contre argent? Cela conduit au point suivant:
Les limitations apportées au marché
Se posent en effet la question du statut de la
terre, celle du poids des droits de mutation, du rôle de la famille
et de celui de la communauté. Quel est leur poids respectif dans
l'évaluation du bien cédé ou acquis? Quel contrôle
chacun des autres ayants-droit (seigneur, membres de la famille, membres
de la communauté) exerce-t-il? Ce contrôle est-il simplement
formel, apparaît-il comme une garantie octroyée à la
stabilité de l'acte, ou au contraire, est-il un frein mis à
la fluidité du marché et permet-il aux éventuels acheteurs
préférentiels désignés par la coutume de faire
valoir leurs droits en achetant? A quel prix? Plus élevé,
moins élevé?
Les freins sociaux
Quel type de marché est-il perceptible?
Il peut s'agir d'un jeu à somme nulle, le nombre des acheteurs désignés
par les sources étant égal au nombre des vendeurs (cas de
la Toscane ou des Abruzzes au XIe). Ou au contraire assiste-t-on à
des processus de concentration foncière? Celle-ci s'opère-t-elle
aussi par le marché (et, inversement, la paupérisation, i.e.
la perte du capital foncier, passe-t-elle également par lui)? Au
profit de qui est-elle opérée? De koulaks? De landlords?
Les institutions religieuses achètent-elles? Remettent-elles des
terres en circulation par exemple par la concession de contrats agraires?
Les bénéficiaires opèrent-ils de la même manière?
Quelle place lQuelles résistances la société oppose-t-elle
aux phénomènes de concentration? Induisent-ils une augmentation
des litiges? Quel rôle la justice joue-t-elle alors? protège-t-elle
les plus actifs économiquement? Ou favorise-t-elle le maintien du
statu quo ante? Détenons-nous des informations sur les paysans enrichis?
La littérature (Miracles, exempla) porte-t-elle un jugement sur
eux? Les envieux ou les avaricieux sont-ils identifiés aux accapareurs
de terres?
Les mécanismes économiques
Quel est le rôle de la concentration foncière
dans les ascensions sociales? Achète-t-on de la terre parce que
l'on est déjà riche et considéré? Ou le fait-on
afin de le devenir? Quels types de terres sont-elles alors visées?
Petites parcelles permettant de rééquilibrer les exploitations?
Grandes parcelles permettant d'accroître ses potentialités?
Ou au contraire, procède-t-on à de petits achats afin d'obliger
les plus pauvres... Ou pour renforcer.
Peut-on discerner des stratégies familiales,
ou simplement individuelles? L'accumulation de terre répond-elle
à la nécessité de se prémunir contre des risques,
par exemple de famine (auquel cas la terre doit aussi être considérée
comme un réserve de valeur)? Est-elle une réponse aux nécessités
nées du « cycle de vie »?
L'évaluation
L'emplacement des terres achetées a-t-il
une importance? Certaines sont-elles manifestement plus désirées
que d'autres? La proximité ou l'éloignement d'une route,
d'une ville ou d'un marché sont-ils perceptibles? Quelles incidences
les éventuels remembrements ont-ils sur la valeur des terres? Le
profit escompté de la terre est-il mesurable? La taille des parcelles
induit-elle un prix différent, les parcelles les plus petites pouvant
être plus recherchées et, pour cette raison, plus chères,
relativement, que les plus grandes?
Etudes
Ce programme a donné lieu, en 1999 à
une rencontre tenue aux Treilles (fondation Schlumberger). Il se prolongera
par une deuxième rencontre en juin 2001. Entre temps, il est l'objet
du séminaire de François Menant (2000-2001) à
l'ENS. L'objectif de la rencontre des Treilles était de faire une
sorte d'inventaire du problème, dix ans après la parution
du volume consacré au sujet, par quelques médiévistes,
mais surtout des modernistes, dans les Quaderni Storici :
-
montrer les approches différentes et leurs
possibles convergences entre les économistes et les spécialistes
de l'anthropologie, une discipline qui paraît très riche aux
médiévistes, mais qui semble souffrir de problèmes
très proches de ceux qui touchent l'histoire économique.
-
de faire un état historiographique de
la question pays par pays et de définir des pistes de recherches.
La partie « Historiographie » a été publiée
en ligne sur le site Internet du LAMOP.
-
de proposer quelques protocoles d'études du
marché de la terre bâtis sur des expériences régionales
à partir de corpus précisément identifiés.
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