Un
bilan sommaire
Au
cours des quatre années écoulées, les assises de l'histoire
du livre médiéval se sont considérablement renforcées
et les perspectives d'avenir, qui ne paraissaient pas enthousiasmantes
du fait de la crise institutionnelle de la discipline (perte de plusieurs
chaires de paléographie en Europe) et du vieillissement des chercheurs
qui s'y consacrent, se sont indéniablement améliorées.
Parmi les événements favorables, la première place
revient tout naturellement à l'afflux de sang neuf : le concours cnrs
2000 nous a permis de recruter un jeune chargé de recherche ; par
ailleurs, les étudiants d'hier commencent à devenir les chercheurs
d'aujourd'hui, alors que les nouvelles générations s'efforcent
de prendre la relève dans un climat moins morose qu'autrefois. Il
n'est guère besoin de souligner que cet afflux de sang neuf représente
bien autre chose qu'un apport de bonne volonté par des « clones
» bien intentionnés : il s'agit, bien au contraire, de susciter
de nouvelles problématiques, ou du moins d'aborder les problématiques
anciennes avec un regard nouveau.
Dans
ce contexte, il convient de se féliciter du niveau soutenu de la
production scientifique. En effet, les années 1997-2000 ont vu la
parution non seulement d'un grand nombre d'articles, mais aussi de quelques
ouvrages importants pour les progrès de la discipline.
Ainsi,
la totalité des travaux de codicologie quantitative signés
ou cosignés au fil des années par Ezio Ornato, ses collègues
et ses amis ont été rassemblés en un volume unique
: La face cachée du livre médiéval (cf. Publications,
11). Cette opération a permis d'offrir à la communauté
scientifique un panorama stimulant de recherches individuelles et collectives
dont la juxtaposition engendre une synergie que les apports épars
et difficilement accessibles ne sauraient susciter. De plus, les quelques
dizaines de pages placées à la fin du volume, qui retracent
le bilan d'ensemble des recherches accomplies et mettent surtout en évidence
les nombreux terrains qui restent à explorer, ont permis d'éclairer
des objectifs prioritaires et de faire surgir des « vocations »
encourageantes.
Pour
ce qui est de l'histoire du papier, la Carta occidentale nel tardo Medioevo
(cf. ci-dessous, A.1 ; Publ. 31) se configure moins comme le moment conclusif
d'une longue et passionnante enquête, que comme un « point
de départ » décisif pour le renouveau d'une branche
de l'histoire matérielle qui, autrefois riche d'initiatives et de
projets impulsés par des historiens remarquables, apparaît
aujourd'hui singulièrement délaissée, en dehors de
ses aspects heuristiques et utilitaires.
La
fabbrica
del codice rassemble en un volume trois contributions codicologiques,
nées dans des cadres différents mais baignant dans le même
environnement scientifique, sur les thèmes suivants : l'évolution
de la structure des cahiers (cf. ci-dessous, B.1.c ; Publ. 6) ; la mise
en page des textes commentés (cf. B.2.d ; Publ. 10) ; une analyse
comparative du livre « gothique » et du livre « humaniste
» (cf. B.3.b ; Publ. 7). A partir des problématiques abordées
dans cet ouvrage, L'apologia dell'apogeo (cf. Publ. 27) développe
une série de considérations sur divers aspects de l'étude
du livre médiéval à la fin du Moyen Âge. Enfin,
le Catalogue de la Bibliothèque de Saint-Victor (cf. ci-dessous
C.4 ; cf. Publ. 35) " couronnement d'un travail très long et patient
" nous offre enfin, pour ce fonds qui constitue peut-être le témoignage
le plus riche et important de la vie intellectuelle parisienne, une édition
scientifique du catalogue établi en 1514 par Claude de Grandrue,
un état exhaustif des manuscrits survivants, ainsi que les concordances
indispensables entre la cote actuelle et tous les systèmes de cotation
antérieurs.
Cependant,
la « gestion » d'un axe consacré à l'histoire
du livre médiéval ne se réduit pas à la production
de recherches de haut niveau. Elle doit aussi favoriser la construction
de pôles d'impulsion et de transmission d'initiatives capable de
souder et de stimuler une communauté scientifique quantitativement
restreinte, dispersée aux quatre coins de l'Europe et du monde,
dont les acteurs sont la plupart du temps isolés et parfois découragés.
C'est
le rôle, en premier lieu, des initiatives éditoriales que
certains chercheurs du lamop
ont contribué à faire naître et dont ils assument partiellement
la responsabilité (Gazette du livre médiéval,
en collaboration avec la section de paléographie latine de l'irht
; pour le lamop : C.
Bozzolo, X. Hermand, M. Maniaci, E. Ornato) ; Quinio, sous l'égide
de l'Istituto per la patologia del libro de Rome. Pour le lamop :
M. Maniaci, E. Ornato).
La
Gazette, créée
en 1982, vient d'atteindre le 600 abonnés payants. Sa formule "
moitié articles et moitié « Chronique » " n'a
rien perdu de sa vivacité ni de son utilité. Depuis quelques
années, un accord de diffusion à prix réduit aux membres
du Comité international de paléographie latine et aux adhérents
de l'Association apices (qui
gère de son côté une liste de diffusion d'informations
sur le Web) a encore accru les capacités de pénétration
decette revue dont le rôle
à la fois de stimulant et de « caisse de résonance
» ne cesse de s'amplifier. La revue Quinio, dont la création
est toute récente (le n° 2 est sous presse), se fonde, quant
à elle, sur une démarche originale visant à rassembler
sous le même toit et avec des objectifs partiellement convergents
les codicologues et les spécialistes de la conservation du patrimoine
livresque. Pari difficile sur le plan épistémologique, dont
il est impossible d'évaluer dès à présent les
chances de réussite ; pari difficile, également, pour les
historiens du livre, car il s'agit de pouvoir remplir les pages de la revue
avec suffisamment d'articles de bonne qualité.
C'est
le rôle, également, des partenariats institutionnels et des
collaborations scientifiques personnelles que nous nous efforçons
de susciter, de maintenir, et, si possible, de développer. Aussi,
entretenons-nous des rapports privilégiés avec l'Istituto
centrale per la patologia del libro de Rome, promoteur d'importantes initiatives
de recherche sur l'histoire du papier filigrané occidental (cf.
ci-dessous, Sous-axe A) ; avec l'Université de Cassino, et notamment
avec la Scuola di specializzazione per la conservazione dei beni
archivistici e librari qui, depuis presque une décennie, nous
envoie en stage quelques-uns parmi ses meilleures étudiants. Certains
étudiants de cette école sont maintenant des chercheurs confirmés
et figurent désormais dans l'organigramme du lamop.
Par
ailleurs, on ne saurait sous-estimer la nécessité d'organiser
des occasions de rencontre, sporadiques ou périodiques ; de se rendre
disponible pour diffuser à des publics divers les résultats
de ses recherches ; de donner à tous ceux qui doivent accéder
au livre médiéval avec des motivations, des centres d'intérêt
et des finalités diverses, la formation qu'ils sont en droit de
requérir de la part de spécialistes de la discipline.
Parmi
les initiatives de diffusion, il faut avant tout signaler la co-organisation
à Villejuif, dans le cadre de l'Institut des traditions textuelles
(fr 33 du cnrs, dirigée
par M. O. Goulet-Cazé), du
colloque international Le commentaire entre tradition et innovation dont
une journée a été consacrée aux aspects matériels
de l'interaction entre le texte et son commentaire[1].
A cette occasion, les membres du lamop ont
assuré à eux-seuls quatre communications (cf. ci-dessous
B.2.d ; Publ. 2, 5, 9, 23). Il convient également de rappeler que,
de 1997 à 2000, les participants à l'axe « Histoire
du livre » ont pris une part active à 15 colloques scientifiques,
pour un total de 23 contributions.
L'activité
de formation (en dehors du suivi personnel que l'on accorde à tous
ceux qui en font la demande et de nombreuses conférences que l'on
prononce sur invitation tant en France qu'à l'étranger) se
déroule habituellement dans le cadre institutionnel de Paris I.
Elle se concrétise d'une part en un enseignement de 12 heures annuelles
ouvert aux débutants (C. Bozzolo, E. Ornato ; initiation à
la codicologie et aux outils de travail disponibles pour l'historien du
livre médiéval), de l'autre en un séminaire de six
séances annuelles " Livre, manuscrit et société "
réservé au niveau deaet
doctorat. Ce séminaire est consacré à l'exposé
des activités de recherche aussi bien des animateurs (J. Ph. Genet,
E. Ornato ; pour le programme des quatre dernières années,
cf. OOO) que des collègues français et étrangers et,
bien entendu, des étudiants avancés. Par
ailleurs, en dehors de l'enseignement institutionnel et d'un grand nombre
d'interventions sporadiques, certains membres du lamop assurent
à titre personnel des tâches de formation spécialisées
(C. Bozzolo, Scuola Europea di Conservazione e Restauro del Libro di
Spoleto, cours annuel. C.
Bozzolo, E. Ornato, « master » organisé à Poppi
en 1998 par C. Tristano [Université d'Arezzo]. M.
Maniaci, « master » européen biennal de spécialisation
dans la conservation du patrimoine archéologique, archivistique
et livresque [Université de Cassino] ; diplôme pour «
opérateur en biens culturels » [consortium inter universitaire
« Nettuno] ; cours de perfectionnement annuel organisé par
la fidem). Il
est néanmoins regrettable que toute cette activité se déroule
uniquement à l'étranger, et notamment en Italie où
les structures sont beaucoup plus décentralisées et les initiatives
de formation dans le domaine des biens culturels tendent " et c'est heureux
" à se multiplier.
Quelques
orientations pour l'avenir
L'expérience
que l'on acquiert au fil des années impose toujours d'envisager
l'avenir avec la plus grande prudence. La prudence est encore plus nécessaire
lorsqu'il s'agit d'histoire du livre médiéval, domaine où
les structures dotées d'une certaine stabilité se comptent
sur les doigts d'une seule main, où les « vocations »
sont rares et, bien souvent, forcément éphémères
: il n'est pas fréquent, en effet, de pouvoir être rémunéré
pour faire ce que l'on aime. A ce sujet, il est illusoire de penser que
cette discipline pourrait survivre si on ne devait s'y adonner qu'à
temps partiel, dans les moments d'« oisiveté », et l'on
aurait tort de se résigner à ce qu'elle devienne l'apanage
exclusifs d'amateurs éclairés.
En
fait, ne progresseront réellement que les opérations de recherche
dont le suivi sera assuré avec un minimum de continuité,
c'est à dire celles qui seront prises en charge par un chercheur
ou un enseignant chercheur rémunéré pour le faire,
ainsi que par un doctorant qui devra confirmer par ce biais son aptitude
à la recherche. Ajoutons-y " mais sans doute est-ce déjà
trop attirer l'attention capricieuse des dieux " les quelques vétérans
qui auront à ceur de « rempiler » au lieu de savourer
avec délectation les avantages de la liberté reconquise.
Malgré toutes ces incertitudes, il est bon de se projeter dans l'avenir.
Mais que l'on prenne garde à ce que toute prévision trop
rigide comporte un danger de sclérose : si quelques-unes des recherches
entamées ou programmées venaient à s'enliser, il n'y
aurait certes pas de quoi être satisfait ; mais ce serait un échec
encore plus grave si aucune initiative nouvelle, absolument imprévisible
au moment actuel, ne voyait le jour dans les quatre années qui vont
suivre.
Cela
dit, on peut être à peu près certain que chacun des
trois sous-axes qui regroupent l'essentiel de notre activité dans
le domaine de l'histoire du livre verra se développer un certain
nombre d'orientations, dans la mesure où dès à présent
l'on est à peu près assuré de la coexistence d'une
compétence humaine et d'un apport minimal de moyens.
C'est
le cas, notamment pour les programmes qui ont trait à l'histoire
du papier (sous-axe A,1), si toutefois l'institution qui les patronne et
les impulse continue à considérer la recherche historique
comme un complément indispensable de sa mission, qui reste bien
entendu la sauvegarde des biens culturels.
Pour
ce qui est des aspects matériaux de l'objet livre, nos connaissances
sur la constitution des cahiers devraient s'approfondir grâce à
de nouvelles manières d'observer la surface du parchemin (sous-axe
B.2.b) et à des analyses systématiques qui tiennent compte
des aspects fonctionnels de cet élément structurant du livre
(sous-axe B.2.c). Suite à une intervention providentielle du hasard,
il est par ailleurs vraisemblable que l'on puisse acquérir une information
inédite sur l'utilisation des procédés dits d'«
imposition » dans le manuscrit (sous-axe B.2.d). Pareillement, le
travail sur les techniques de fabrication dans l'incunable est d'ores et
déjà bien avancé et une première tranche de
résultats devrait bientôt être portée à
la connaissance de la communauté scientifique (sous-axe B.2.e).
Le
projet de codicologie comparée portant sur deux objets bien souvent
semblables dans leur aspect, mais profondément dissemblables dans
leur fonction " le manuscrit et le document d'archives (sous-axe B.3.a)
" est en chantier et devrait être favorisé par le fait que
l'un de ses animateurs vient d'être recruté comme ingénieur
à l'irht. L'analyse
de la mise en page dans le livre byzantin (sous-axe B.3.b) doit se concrétiser
dès cette année dans un important ouvrage de synthèse.
Quant à la problématique du « copiste au travail »
(sous-axe B.3.c), la thèse de doctorat qui lui est associée
avance régulièrement et doit logiquement aboutir dans le
cadre chronologique couvert par ce projet quadriennal. Pour ce qui est
des recherches sur l'interaction entre texte et glose dans l'édition
commentée, elles doivent se développer surtout en direction
des commentaires aux textes homériques dans le manuscrit byzantin
(sous-axe B.3.d).
Les
recherches portant sur des ensembles spécifiques de manuscrits doivent
également se poursuivre. Les avancées les plus immédiates
concerneront sans doute les bibles italiennes du XIe siècle (sous-axe
B.4.a), qui devraient profiter de l'abondance du matériel rassemblé
en vue de la double exposition qui vient d'être organisée
à Montecassino et à Florence. De même,la connaissance
des manuscrits d'euvres de théâtre (sous-axe B.4.c) devrait
pouvoir profiter de l'activité du groupe qui travaille sur ce type
de littérature (cf. Axe IV). Des progrès sont également
attendu du côté des manuscrits de musique profane du XVe siècle
(sous-axe B.4.d), puisqu'une spécialiste de ce domaine vient d'être
détachée pour deux ans dans notre laboratoire. On peut espérer,
enfin, que le très intéressant projet de recherche sur les
manuscrits historiographiques en France du nord (sous-axe B.4.f) pourra
effectivement démarrer.
En
ce qui concerne la production et la diffusion du livre médiéval,
la charpente des recherches futures est sans conteste constituée
par le programme sur la transition du manuscrit à l'imprimé
en France du nord, Belgique et une partie des Pays-Bas, animé par
le chargé de recherche que nous avons recruté en octobre
2000 (sous-axe C.3.a). Ce programme exercera sans doute un effet positif
sur d'autres travaux dont la thématique est peu différente,
concernant les réseaux monastiques belges et la circulation des
livres à la fin du Moyen Âge (sous-axe C.3.d.ii) ou, dans
une perspective de type comparatif, la production d'incunables à
Venise (sous-axe C.3.b). Il est à noter, également, que la
mise en euvre de ces programmes de recherche nécessitera l'établissement
de bases de données sommaire, mais relativement complètes,
sur les institutions, les auteurs et les euvres médiévales. L'enquête
déjà entamée par Yann Potin sur la bibliothèque
parisienne du Louvre (sous-axe C.3.b) doit se poursuivre avec succès
dans le cadre d'une thèse de doctorat dont le sujet est devenu beaucoup
plus vaste (cf. Axe VII). Enfin, il faut espérer (mais notre emprise
sur les événements est malheureusement très faible
sur ce point), que les recherches portant sur des terrains déjà
largement défrichés, comme le scriptoriumde
Christine de Pizan (sous-axe C.5.a) et la bibliothèque des frères
d'Orléans (sous-axe C.5.b), auront enfin la chance de réaliser
des avancées significatives ou de retrouver un souffle nouveau. En
ce qui concerne les partenariats institutionnels, la prudence est de mise.
S'il est relativement facile de signer des accords-cadre de coopération
fourre-tout et sans enjeux financiers, il est beaucoup plus difficile de
leur donner un contenu concret sur le plan scientifique et d'organiser,
parallèlement, des échanges consistants de chercheurs et
d'étudiants : ainsi, il existe très peu d'étudiants
français disposés à poursuivre des études en
Italie, ce qui n'est pas sans poser un certain nombre de problèmes.
De plus, ce pays, avec lequel nos liens sont les plus étroits, est
actuellement en pleine mutation : les structures universitaires anciennes,
assez différentes des nôtres, cèdent la place à
de nouvelles formes d'organisation du savoir dont les contours demeurent
pour l'instant assez floues. C'est ainsi que la Scuola di specializzazione
de Cassino ferme ses portes ; elle est remplacée par un doctorat
dont les formes de partenariat ne sont pas encore bien définies.
Quoi qu'il en soit, nous comptons bien évidemment développer
toutes les formes de collaboration scientifique avec les institutions étrangères
qui assurent une formation dans le domaine de l'histoire du livre : des
pourparlers informels en ce sens sont actuellement engagés avec
les Universités de Siena-Arezzo et d'Udine. Enfin,
pour ce qui est de l'information « institutionnelle », il est
certain que les douze heures d'initiation à la codicologie assurées
dans le cadre de l'ufr d'histoire
de Paris I sont tout à fait insuffisantes, aussi bien pour instiller
un minimum de connaissances que pour donner le goût et les capacités
d'aborder les problématiques de l'étude du livre médiéval
avec le regard de l'historien. Malheureusement, il est tout aussi certain
que le plan d'études de l'université et l'emploi du temps
des étudiants ne permettent pas d'aller plus loin dans cette voie.
D'autres formes d'initiation et d'approfondissement, plus concentrées
dans le temps, sont donc à envisager. Les expériences accomplies
à l'étranger par plusieurs de nos chercheurs ont apporté
sur ce point un lot de compétences qui ne demandent qu'à
servir.
Activité
de recherche 1997-2000
Sous-axe
A " Histoire du papier occidental à la fin du Moyen Âge et
aux débuts de l'Âge moderne(resp.
: E. Ornato)
1. Le
papier occidental au Moyen Âge tardif
(Progetto carta, programme patronné par l'Istituto centrale
per la patologia del libro : E. Ornato, P. Busonero; partenariat : P. F.
Munafò, M. S. Storace; cf. Publications)
C'est
en 1990 que Carlo Federici, actuel directeur de l'Istituto centrale
per la patologia del libro (icpl)de
Rome, et Ezio Ornato ont jeté les bases d'un très vaste programme
d'étude du papier médiéval " le Progetto carta
" axé sur l'emploi de ce matériau dans le livre manuscrit
et imprimé du XVe siècle. Ce projet s'appuyait sur des bases
méthodologiques qui se voulaient novatrices : le relevé systématiques
de toutes les feuilles différentes (c'est-à-dire issues de
formes à papier différentes) attestées dans chaque
volume examiné ; la description complète de la trame de la
forme visible en transparence ; la mesure instrumentale de l'épaisseur
et du degré de blancheur du papier ; la reproduction radiographique
de tous les filigranes.
Le
point d'application de l'enquête était constitué par
le nord-est de l'Italie, et plus particulièrement par la ville de
Venise qui était alors la capitale de l'imprimerie et consommait
d'énormes quantités de papier. Les relevés ont porté
sur une centaine de volumes, en majorité imprimés, dans lesquels
environ 1200 formes différentes ont été identifiées
et décrites. Il faut bien souligner que cette entreprise n'aurait
jamais pu être lancée sans les moyens financiers dont jouissent
en Italie les organismes chargés de la conservation du patrimoine
culturel, et n'aurait même pu être envisagée sans la
collaboration active de la Bibliothèque vaticane et des principales
bibliothèques romaines. Autant de raisons qui rendent a
priori largement utopique sa transposition en terre de France.
Les
tout premiers résultats de la recherche ont été publiés
en 1993[2]
mais il a fallu longtemps pour arriver à traiter toutes les données
et à les inscrire dans un système interprétatif cohérent
et convaincant. Au fil des années, le Progetto carta a donné
lieu à un certain nombre de publications partielles (Publ.
28, 30, 32, 33, 34)[3],
mais il avait été convenu d'emblée que les résultats
feraient l'objet d'un ouvrage de synthèse. Celui-ci est en cours
de parution (premier trimestre 2001 ; cf. Publications). Prévu
dans un premier temps pour traiter en un seul volume de 300-400 pages toutes
les problématiques abordées dans l'entreprise, La carta
occidentale nel tardo Medioevo comprend aujourd'hui deux tomes pour
un total de presque mille pages ; et encore, il ne s'agit que d'une première
étape, puisqu'il a été décidé de remettre
à plus tard un deuxième volet plus particulièrement
consacré à tous les aspects liés à la filigranologie.
Si
l'ouvrage de synthèse a pris progressivement tant d'ampleur, c'est
que l'horizon scientifique et les objectifs institutionnels du projet s'étaient
entre temps considérablement élargis. D'une part, il convenait
de s'atteler à un travail de réflexion approfondi sur tous
les aspects de la problématique du papier médiéval
: avantages, inconvénients et complémentarité des
sources d'archives et de l'observation archéologique ; lacunes criantes
de l'historiographie, trop souvent monopolisée par les aspects filigranologiques
et les procédures de datation. De l'autre, compte tenu de l'état
de crise dans lequel se trouve actuellement la discipline (il n'existe
nulle part de programme structuré de travail sur le papier médiéval
et les vocations individuelles se font de plus en plus rares, faute de
« berceau » pour les accueillir), il était nécessaire d'impulser
la création d'un pôle de documentation et de recherche qui
jouisse d'un minimum de stabilité.
C'est
pour cette raison que la Carta occidentale est devenu beaucoup plus
qu'un simple exposé de résultats : en effet, aux quatre chapitres
concernant plus particulièrement le Progetto carta (description
du corpus et des procédures mises en euvre ; aspects qualitatifs
du papier d'après les sources documentaires ; évolution de
l'épaisseur et du degré de blancheur ; évolution de
la structure des formes à papier) ont été adjoints
deux autres, consacrés aux aspects méthodologiques de l'étude
du papier. En illustrant un certain nombre de problèmes concrets,
les auteurs se sont efforcés de promouvoir le concept d'« histoire
intégrée ». Le terme « intégré » est ici doublement
connoté : d'une part, il faut mettre simultanément à
profit (confrontation souvent malaisée et qui donne parfois des
résultats contradictoires) les sources documentaires et l'observation
archéologique ; de l'autre, il faut éviter, dans la mesure
du possible, de segmenter la problématique, car tous les aspects
visibles de l'histoire du papier, qu'ils soient matériels, économiques
ou culturels, font partie d'un « graphe » d'interactions invisible mais
complet, que l'on peut et l'on doit parcourir sans entrave dans tous les
sens.
Pour
ce qui est de la structuration institutionnelle de la recherche, l'icpl a
décidé de patronner la création d'une section italienne
de l'Association international des historiens du papier (iph) et
d'organiser à Rome, en 2002, le prochain congrès de l'association.
Mais surtout, sans en faire pour autant un programme officialisé,
on s'achemine vers la mise en place d'un « pôle de documentation
» qui vise graduellement à rassembler en un lieu unique toutes les
reproductions de filigranes disponibles à l'heure actuelle. « Pôle
de documentation » ne signifie pas « pôle documentaire » : le but
premier n'est pas de créer un centre de services, mais un « noyau
dur » pour la recherche.
L'activité
de recherche va en effet se poursuivre et s'amplifier " grâce également
à l'embauche à temps plein de deux étudiants boursiers
" au cours des prochaines années, selon les deux orientations suivantes
:
Les
aspects filigranologiques : Puisque
le filigrane identifie l'origine du papier, ainsi que le lieu et la date
de sa consommation, on se servira de cette marque pour reconstituer dans
la mesure du possible, à partir du matériel rassemblé
dans la première phase du Progetto carta, la structure du
système de production, de commercialisation et de consommation du
papier dans la région vénitienne. Par ailleurs, les données
textuelles et iconographiques collectées dans les répertoires
doivent fournir le point de départ pour une étude générale
et exhaustive " du moins pour ce qui a trait au XVe siècle " de
deux aspects importants de l'histoire de ce matériau : les caractéristiques
des formes et la configuration géographique du commerce du papier
: rayonnement des moulins, structure des marchés locaux et son évolution. Puisque
le filigrane identifie toutes les feuilles issues de la même forme,
et que le cycle de consommation du papier est limité dans le temps,
la date inconnue d'un document peut être déduite de celle
d'un document daté qui porte le même filigrane. Les procédures
de datation proposées jusqu'à présent peuvent et doivent
être largement améliorées. Enfin,
on s'efforcera d'éclairer les aspects emblématiques du filigrane
et de la contremarque (marque de propriété, marque de qualité,
identificateur de formes à l'intérieur du moulin), leur corrélation
avec les finalités fonctionnelles, les modalités et le rythme
de variations des dessins. La
qualité du papier médiéval : défauts de fabrication,
dégradation dans le temps Il
est à présent difficile d'étudier dans de bonnes conditions,
en France, les filigranes des manuscrits appartenant aux fonds patrimoniaux
du fait de l'abandon des techniques traditionnelles pour raison de santé
du travail (les bêtagraphies ne sont plus autorisées). Des
essais sont en cours pour adopter une technique de reproduction des filigranes
au moyen du film ultra-sensible Dylux 503 de DuPont de Nemours (technique
pratiquée aux États-Unis, mais non en Europe). Le spectre
sensible du film permet le travail de copie en lumière naturelle,
sans danger pour la santé du manipulateur et sans risque de dégradation
pour le document. Cette technique a en outre l'avantage d'être moins
lourde et moins coûteuse en temps et matériels que la plupart
de celles utilisées concurremment. L'achat d'une rame de ce papier-film
et la construction du matériel nécessaire (lampe froide pour
l'exposition, lampe à ultra-violet pour le développement)
ont permis des premiers essais satisfaisants. Cependant, ils devront être
poursuivis pour obtenir un matériel ambulatoire de maniement facile.
Sous-axe
B " Structure matérielle, présentation de la page et techniques
d'écriture dans le livre médiéval (resp.
: M. Maniaci)
2.
Aspects matériels et techniques de fabrication dans le livre médiéval
a)
Aspects qualitatifs du parchemin dans le manuscrit
byzantin (M. Maniaci ; cf. Publications)
Le
niveau qualitatif du parchemin utilisé dans les manuscrits médiévaux
peut être mesuré à partir de paramètres que
l'on peut dénombrer de manière relativement simple et objective
: la présence de trous, qui provoquent des discontinuités
gênantes sur la surface du feuillet, et de lisières (bords
irréguliers de la peau) qui perturbent l'aspect esthétique
de la page et compromettent la fonctionnalité des marges. Une analyse
quantitative de ces variables, visant à améliorer la connaissance
des pratiques artisanales dans le livre byzantin, a été effectuée
sur un corpus d'environ 700 manuscrits du XIe et du XIIe siècle.
L'évolution de la qualité a d'abord été examinée
en fonction de la diachronie (baisse du XIe au XIIe siècle), de
l'origine géographique (pauvreté des manuscrits originaires
de l'Italie méridionale) et de la typologie textuelle. Parallèlement,
ont été mises en lumière des expédients palliatifs
et des pratiques de « camouflage » que l'on retrouve également en
Occident : les trous se trouvent plus fréquemment à l'extérieur
du cadre d'écriture et les bifeuillets qui en comportent sont placés
de préférence à l'intérieur du cahier. Enfin,
la distribution des lisières sur les trois marges extérieures
montre que l'on ne saurait extrapoler au monde byzantin les techniques
de construction du cahier découvertes voici 20 ans par Léon
Gilissen dans le manuscrit occidenta[4]
(cf ci-dessous, b). D'autres recherches mentionnées dans
ce rapport prennent en considération, sur des bases analogues, les
aspects qualitatifs du parchemin (cf 2.c, 2.f, 3.b).
b)
Subdivision de la peau de parchemin et formation des bifeuillets dans lemanuscrit
byzantin (M. Maniaci ; cf. Publications)
Il
y a plus de 25 ans, Léon Gilissen proposait, dans ses Prolégomènes
à la codicologie, une reconstitution du processus de fabrication
des cahiers dans les manuscrits occidentaux en parchemin, selon laquelle
les quaternions auraient été obtenus en pliant une ou plusieurs
fois la peau d'origine au long de ses axes perpendiculaires. Cette hypothèse
a suscité un très large consensus et l'on admet communément
aujourd'hui que les bifeuillets des manuscrits, à l'exception des
in-folio,
sont toujours des sous-multiples pairs d'une peau subdivisée de
manière symétrique. Les arguments en sa faveur ne font pas
défaut, mais il s'agit essentiellement d'»indices
« qui ne démontrent nullement l'existence d'une pratique universelle
à cet égard.
Des
progrès récents en ce qui concerne l'observation des bifeuillets
en parchemin ont amené à l'identification d'une caractéristique
qui s'est révélée très utile dans la détermination
des procédés de subdivision de la peau aboutissant à
l'assemblage des cahiers : les brisets. Ce sont les aires de forme
arrondie qui entourent les quatre pattes de l'animal, reconnaissables au
fait que la peau y apparaît presque translucide et que les follicules
pileux y sont plus visibles qu'ailleurs. Si l'on accepte l'hypothèse
de Gilissen en postulant une réalisation des cahiers sans incidents
et parfaitement canonique, la position des brisets sur le bifeuillet
permet alors de reconstituer le type de pliage.
Des
recherches antérieures avaient déjà permis de constater
que la position des brisets ne correspondait pas toujours avec celle
qui était prévue selon l'hypothèse de Gilissen[5].
Par la suite, l'observation exhaustive des bifeuillets dans une vingtaine
de manuscrits byzantins antérieurs au XIIIe siècle (pour
un total d'environ 500 bifeuillets) a abouti à deux résultats
importants :
"
bien souvent, les manuscrits grecs sont composés d'un mélange
de bifeuillets obtenus en subdivisant des peaux de dimensions inégales
selon des modalités variées, ce qui témoigne du souci
d'exploiter de manière optimale la totalité du matériau
disponible ;
"
parmi ces modalités, on doit mettre l'accent, pour la fabrication
de manuscrits grands ou moyens, sur un procédé de subdivision
asymétrique de la surface utile de la peau. Ce procédé
permettait d'obtenir, par un découpage « en T », trois bifeuillets
à partir d'une seule peau. Cette pratique, inconnue jusqu'à
présent et définie par l'expression « subdivision in-sexto
», est particulièrement adaptée à la réalisation
de pages de proportion large, largement privilégiée, comme
on le sait, par les artisans des manuscrits byzantins.
c)La
structure des cahiers dans les manuscrits de l'Antiquité tardive
au bas Moyen Âge (P. Busonero, E.
Ornato ; cf. Publications)
On
sait que, depuis l'époque carolingienne jusqu'à la fin du
XIIe siècle " période pendant laquelle la production du manuscrit
était l'apanage presque exclusif des communautés monastiques
", les cahiers, qui constituent la structure sous-jacente de base des volumes
manuscrits, étaient toujours composés, sauf nécessité
sporadique et particulière, de quatre bifeuillets (quaternions).
On sait également que la situation commence à évoluer
(mais seulement dans le monde occidental) dès la première
moitié du XIIIe siècle ; on assiste, en effet, à l'émergence
puis, dans certains cas, à l'hégémonie, de cahiers
dont le cardinal (nombre de bifeuillets) est supérieur (quinions
et sénions). Cela dit, la perception du phénomène
a été pendant longtemps vague et subjective : on ignorait
les modalités d'origine de cette différenciation, ainsi que
la répartition des divers cardinaux dans le temps, dans l'espace
et en rapport avec d'autres caractéristiques, telles que la nature
du support et la typologie textuelle.
Pour
répondre de manière exhaustive à ces questions, une
analyse systématique a été entreprise sur un corpus
de plus de 4000 manuscrits pour lesquels les catalogues imprimés
fournissent le cardinal des cahiers (P. Busonero, Publications).
Le recours aux sources secondaires, de toute manière nécessaire
pour d'évidentes raisons de faisabilité, n'a pas été
sans soulever une foule de problèmes[6].
Cette enquête a malgré tout permis de dresser un panorama
complet de l'émergence et de l'évolution du phénomène
: la « naissance » du sénion semble devoir être située
dans le monde universitaire, plus précisément en Angleterre
pendant la première moitié du XIIIe siècle. Ce type
de cahier se diffuse rapidement en Europe, et notamment en France (où
sont attestées également, comme dans les petites bibles parisiennes,
des formules atypiques). Au même moment, le quinion prend son essor
en Italie, tout d'abord dans le domaine du livre juridique. Cependant,
aux XIVe et XVe siècles, alors que le quinion devient la formule
majoritaire dans le manuscrit italien, le sénion recule dans le
reste de l'Europe au profit du quaternion. Mais cette évolution
ne concerne que le parchemin : dans les volumes en papier " où apparaissent
par ailleurs des cardinaux
élevés (de 8 à 12
bifeuillets) " le sénion est partout largement prédominant.
Ce
vaste panorama, bien que richement documenté, n'épuise pas
la question. La connaissance de l'évolution du cardinal des
cahiers n'est pas suffisante pour expliquer pourquoi d'autres formules
" et précisément celles-là " font leur apparition
et viennent occuper certaines « niches » préférentielles
de la production livresque. Aussi, quelques hypothèses à
ce sujet ont-elles été proposées dans un travail plus
récent (E. Ornato, Publications). Depuis l'antiquité
tardive, le cardinal des cahiers semble être lié, sauf
exception (cf ci-dessus, b), aux propriétés intrinsèques
du matériau utilisé (rouleau de papyrus, peau de parchemin).
Ainsi, c'est à la pratique dominante, dans une situation donnée,
dans le procédé de subdivision des peaux, que l'on pourrait
attribuer l'adoption de cardinaux pairs ou impairs. Mais pourquoi,
à partir du XIIIe siècle, a-t-on ressenti le besoin d'abandonner
le quaternion pour assembler un nombre plus grand de bifeuillets ? L'analyse
statistique fournit un début de réponse. On constate en effet
une corrélation entre le nombre moyen de bifeuillets des volumes
et le cardinal des cahiers. Cette première observation doit
cependant être testée sur plusieurs corpus et, surtout, il
faut déterminer quelles étaient les finalités poursuivies
par les artisans et si d'autres facteurs (épaisseur du parchemin)
intervenaient dans le processus.
d)
Les procédés d'» imposition « dans les manuscrits occidentaux
du Bas Moyen Âge
(C. Bozzolo)
L'existence
de manuscrits dits « imposés » (ce terme désigne en général
le fait qu'un manuscrit a été copié sans que les bifeuillets
aient été préalablement coupés) est démontrée
depuis que Charles Samaran a observé, en 1928, « quelques feuilles
de manuscrits du milieu du XVe siècle dont la disposition matérielle
est entièrement semblable à celle des feuilles d'impression
préparées pour le tirage «.
Cette
problématique complexe avait été nouvellement abordée
d'une manière approfondie dans l'ouvrage fondateur de la codicologie
quantitative[7].
Aux preuves irréfutables qui avaient permis de reconnaître
l'existence d'un petit nombre de manuscrits incontestablement imposés
" feuilles entières isolées correspondant à la définition
donnée par Samaran ; manuscrits présentant des feuillets
écrits demeurant entièrement ou partiellement solidaires
par leur tranche de tête ", s'étaient alors ajoutés
d'autres indices susceptibles de trahir l'emploi de cette technique. Cette
nouvelle enquête avait ainsi permis d'identifier une dizaine de manuscrits
vraisemblablement imposés (environ 10% de l'échantillon examiné)
et d'entrevoir que le procédé de l'imposition était
sans doute beaucoup plus répandu dans le monde du livre manuscrit
qu'on ne l'imaginait.
Parmi
les indices indirects de ce procédé de copie, avait été
retenue la réapparition systématique d'une même nuance
d'encre sur différents bifeuillets, en correspondance de ce que
les imprimeurs appellent « côté de première » et côté
de seconde » d'une feuille (ainsi, sur les deux premiers bifeuillets d'un
quaternion, les feuillets 1r, 2v, 7r, 8v d'un côté et 1v,
2r, 7v, 8r de l'autre). Une telle façon de faire implique de toute
évidence que le texte n'a pas été transcrit en « séquence
naturelle ». Cet indice tout théorique n'avait pu trouver à
l'époque une correspondance dans la pratique concrète des
copistes. En effet, dans tous les cas d'» imposition » observés,
la transcription s'était toujours faite en fonction de l'ordre du
texte.
Une
visite à la Newberry Library de Chicago, pendant le récent
séjour aux États-Unis de Carla Bozzolo dans le cadre de l'accord cnrs/Université
d'Illinois, a permis de rouvrir de manière inattendue le dossier
« imposition », suite à l'examen d'un manuscrit de récente
acquisition dont l'un des cahiers comporte deux feuillets demeurés
partiellement solidaires par la tranche de tête. Dans
tous les cahiers de ce manuscrit, on observe de plus qu'il y a deux nuances
d'encre, et que les deux pages faisant vis-à-vis présentent
toujours la même : plus foncée sur les versos, plus
claire sur les rectos. Il faut en déduire que le copiste
a non seulement travaillé en imposition, mais précisément
selon le cas de figure dont il avait été impossible de trouver
des témoignages auparavant.
Ce
cas d'espèce présente par ailleurs un double intérêt
: d'une part, il ne s'agit pas d'un manuscrit tardif, puisqu'il a probablement
été copié en Flandre au début du XVe siècle
(les cas identifiés jusqu'à présent ne semblent pas
antérieurs au milieu de ce siècle) ; de l'autre, il contient
un texte à la fois long et très répandu " le De
regimine principum de Gilles de Rome. Il serait intéressant
d'examiner d'autres témoins du même ouvrage pour voir s'ils
fournissent d'autres exemples du recours à ce type de technique.
e)
Techniques de fabrication et pratiques de composition dans l'incunable (L.
Garrigues ; E. Ornato ; cf. Colloques, septembre 1997)
L'observation
minutieuse d'un ou de plusieurs incunables page par page, ligne par ligne,
voire caractère par caractère, ouvre les coulisses d'un monde
perdu où l'espace de liberté laissé à l'acteur
de la copie " extrêmement vaste au premier regard " ne cesse de se
restreindre au fur et à mesure que l'analyse s'approfondit : ainsi,
au fil des comptages systématiques, un phénomène qui
paraissait relever du « caprice » finit par se configurer comme une contrainte,
et ce qui apparaissait au premier abord comme une étourderie doit
être finalement interprété comme une exception prévue
et codifiée. Dans cet univers, la succession cohérente dans
les pages et dans les cahiers des « variations de casse » et des « variations
de comportement » (pas toujours faciles à départager) permet
de reconstituer d'un côté la répartition du travail
à l'intérieur de l'atelier (fractionnement en équipes
et modalités opératoires du processus d'impression), de l'autre
le combat du typographe " pris en tenaille entre les exigences de lisibilité,
les limites de sa fonte et les contraintes inhérentes à la
séquence de composition " ainsi que la mentalité du « compositeur
au travail » et la hiérarchie de ses choix lorsqu'il lui est impossible
de faire face simultanément à des exigences contradictoires
(pour la problématique du « copiste au travail », cf. plus loin,
2.c
et
2.f).
L'édition
de la Summa magistri de Johannes de Auerbach (Augsbourg, Günter
Zeiner, 1469) représente un terrain rêvé pour ce type
d'enquête. A cette date, la succession des opérations dans
l'atelier typographique n'était pas encore suffisamment rodée
pour qu'on aboutisse à une présentation en tous points régulière
; or, ce sont précisément les « ratés » qui permettent
de faire ressortir toutes les facettes de l'organisation sous-jacente.
Par ailleurs, le livre imprimé était encore tributaire, sur
le plan idéologique, de son ancêtre manuscrit dont il s'efforçait
d'imiter le faciès, tant au niveau de la présentation globale
de la page qu'à celui du tracé de l'écriture. Si l'on
ajoute à tout cela les problèmes inhérents à
la productivité de l'organisation du travail (harmonisation des
cycles de composition et d'impression), on voit que la tâche du typographe
était à l'époque extrêmement complexe et difficile.
L'examen
de cet ensemble de six quaternions fait apparaître que la fonte utilisée
était d'une rare richesse, étant conçue pour préserver
en toute circonstance la fluidité du tracé de l'écriture
« gothique » manuelle. Elle comporte, notamment, un grand nombre d'» allographes
» (doublons morphologiques du même phonème) : deux types de
d,
de a, de g et de v minuscules, dont l'emploi, à
première vue absolument arbitraire, se révèle, après
les relevés systématiques, savamment modulé en fonction
de la lettre qui suit. Par ailleurs, l'analyse des « variations de casse
» (fréquence des divers caractères typographiques) et des
pratiques individuelles (coupures de mots, manière d'abréger,
etc.) met en évidence, à l'intérieur d'une subdivision
de l'ouvrage en deux parties symétriques, confiées à
deux équipes différentes, un cycle de travail dont la frontière
se situe au milieu de chaque cahier, et cela bien que la composition du
texte ait été effectuée en séquence « naturelle
».
Après
l'achèvement du travail sur cette édition, il serait intéressant
d'étendre l'analyse à d'autres éditions contemporaines
issues d'ateliers typographiques différents, afin de recenser l'ensemble
des pratiques en usage. Malheureusement, les caractéristiques de
la casse et les défauts de présentation n'étant jamais
les mêmes, toute enquête de ce type doit chaque fois forger
de nouveaux outils d'observation.
2.
La page écrite dans le manuscrit médiéval : mise en
page, gestion de l'espace, aspects graphiques et périgraphiques
a)
Livre manuscrit et document d'archives : une approche codicologique comparative
(X. Hermand ; partenariat : P. Bertrand [irht,
Orléans] ; cf. Publications)
La
documentation écrite médiévale est traditionnellement
répartie entre deux grands ensembles distincts " les livres manuscrits
d'une part, les documents d'archives de l'autre " chacun traité
et étudié séparément : les historiens réservent
les premiers à l'histoire de la culture stricto sensu et
les seconds à l'histoire socio-économique. Or cette distinction
n'a pas la validité qu'on lui attribue habituellement : les réalités
que désignent les termes « livres » et « archives » sont loin de
constituer des ensembles cloisonnés, imperméables. Certains
types de documents relèvent à la fois de l'une et de l'autre
catégorie (songeons, par exemple, au Liber capituli); plus
fondamentalement, dans leur facture même, les documents d'administration
(cartulaires, livres de comptes, registres en tout genre, etc.) répondent
bien souvent à la définition matérielle du livre.
La ségrégation traditionnelle entre livres et archives doit
donc être combattue au profit d'une approche globale du document
écrit. Cette démarche devient impérieuse lorsqu'on
aborde l'étude des institutions religieuses médiévales,
à la fois centres de vie religieuse et culturelle, centres économiques
et cellules en relation avec le monde extérieur : dans l'optique
d'une histoire culturelle totale de ces institutions, il convient d'exploiter
toutes les traces écrites qu'elles ont produites et utilisées,
non seulement les documents nécessités par les activités
proprement intellectuelles ou spirituelles, mais aussi ceux produits dans
le cadre de l'organisation de la vie sociale et matérielle.
Il
a paru opportun d'aborder cette problématique dans un cadre chrono-géographique
commode : l'ancien diocèse de Liège aux derniers siècles
du Moyen Âge. Plusieurs thématiques sont susceptibles de retenir
l'attention : les caractéristiques matérielles des documents
écrits ; le copiste au travail ; le rangement, le classement et
la gestion des documents (cf. Colloques, Leeds, juillet 1999) ;
leur utilisation. Parmi ces voies d'enquête possibles, on privilégiera,
dans un premier temps en tout cas, l'analyse des caractéristiques
matérielles et graphiques des documents : les supports en usage
dans les livres et les archives, les dimensions, les types de cahiers,
les types d'écriture, la mise en page et les instruments d'aide
à la lecture et à la consultation, etc. Un article paru récemment
(cf. Publications) a détaillé les grandes lignes de
cette problématique et présenté succinctement la méthode
employée.
b)
La mise en page dans le manuscrit byzantin (M.
Maniaci)
Contrairement
à ce qui s'est passé dans le monde latin, où les recherches
consacrées à l'aspect dimensionnel du livre manuscrit ont
été, en quelque sorte, le banc d'essai de la « codicologie
quantitative », les dimensions et la mise en page du livre byzantin n'ont
suscité qu'un intérêt somme toute très limité,
caractérisé par l'absence de toute analyse systématique
de corpus de manuscrits ayant fait l'objet d'observations riches et détaillées.
La
recherche qui va bientôt s'achever et dont les résultats vont
être présentés dans un ouvrage de synthèse se
veut une première tentative de combler cette lacune. Son point de
départ est constitué par une thèse de doctorat (Université
de Rome « La Sapienza «), soutenue en 1994, qui s'appuyait sur l'examen
direct et minutieux de 386 manuscrits datables du XIe et du XIIe siècle.
Les résultats de cette entreprise ont été assez encourageants
pour que l'on songe à étendre les frontières chronologiques
aux deux siècles précédents, dans le but d'établir
un panorama de l'évolution des caractéristiques dimensionnelles
et de la page écrite du manuscrit grec depuis l'introduction de
l'écriture minuscule dans la production livresque jusqu'au début
du XIIIe siècle (césure symbolique qui coïncide avec
la conquête de Jérusalem par les croisés).
Dans
cette perspective, le corpus déjà utilisé a été
porté à plus de 700 unités codicologiques. De plus,
d'autres ensembles bien plus vastes de manuscrits grecs et latins, provenant
du dépouillement de sources secondaires ou aimablement rendus disponibles
pour cette enquête par d'autres chercheurs, ont été
pris en considération dans une optique comparative ou, plus simplement,
pour fournir des éléments de validation. Le traitement des
données s'est heurté à un certain nombre de difficultés
engendrées par les caractéristiques spécifiques de
la production grecque. Il s'agit d'une part des propriétés
intrinsèques de cette production qui échappe obstinément
à toute tentative de datation et de localisation à la fois
indiscutable et précise ; de l'autre, de l'absence de points de
repère suffisamment définis quant au système de production
et de « consommation » du livre dans le monde byzantin, apparemment connu
dans ses lignes générales, mais en réalité
très nébuleux dès que l'on essaie d'en quantifier
les traits essentiels.
Une
première orientation de l'enquête porte sur la corrélation
entre les coordonnées chrono-géographiques des manuscrits
et les variations observées en ce qui concerne les dimensions et
la « gestion du texte ». Ces variations sont synthétisées,
dans la mesure du possible, en termes de qualité, que l'on mesure
à partir des caractéristiques du parchemin, des dimensions
des feuillets, du remplissage harmonieux de la page et, bien sûr,
de la richesse de la décoration. On a ainsi pu mettre en lumière,
sur le plan chronologique, une évolution positive jusqu'au XIe siècle,
suivie d'une nette régression au XIIe ; sur le plan géographique,
une opposition entre l'Orient byzantin et l'Italie du sud où le
niveau des techniques et de la présentation est sans conteste inférieur
; sur le plan typologique, enfin, un rapport très étroit
entre le contenant et le contenu, soit entre le livre et le texte.
La
seconde orientation a trait à la dynamique interne " engendrée
par un système qui ne cesse de chercher un point d'équilibre
entre des tensions contradictoires qui pèsent sur la matérialité
du livre " qui lie entre eux, et de manière indissociable, tous
les éléments constitutifs de l'objet. Là où
il est possible d'opérer une confrontation entre les pratiques de
l'artisanat byzantin et celles du monde occidental, on remarque l'existence
de savoir-faire communs. Ces coïncidences représentent pour
une part une même réponse spontanée aux problèmes
que posent partout les mécanismes de transcription des textes ;
pour une autre, elles reflètent la permanence de solutions déjà
adoptées dans la période de l'Antiquité tardive et
dont la « neutralité » a garanti la survie au fil des siècles.
A côté de ce fond commun, on constate inversement l'existence
de bon nombre d'habitudes qui opposent le livre grec au livre latin. A
ce propos, il suffira de citer, à titre d'exemple, l'absence, dans
le monde grec, d'une perception consciente et cohérente de la relation
qui lie la disposition du texte (longues lignes ou deux colonnes) à
l'exploitation de la page ; cohérence que l'on perçoit nettement,
bien que sous une forme embryonnaire, chez l'artisan occidental dès
le début de l'époque « monastique ».
Au
niveau le plus global, il est important enfin de souligner combien, dans
le monde byzantin aussi, le livre apparaît revêtu d'emblée
d'une double connotation : d'un côte, celle de support d'un texte,
intrinsèque à son existence même et explicitement proclamée
; de l'autre, celle de « thermomètre » du rang social du possesseur
et du lecteur, certes implicite et objectivement accessoire, mais qui n'en
est pas moins omniprésente. De même, s'il est incontestable
que l'artisanat du livre byzantin se montre plus enclin à conserver
l'héritage de l'Antiquité tardive, on ne saurait nier qu'il
manifeste aussi, tout au long de son évolution, une sensibilité
constante aux contraintes économiques, aux canons esthétiques
fondamentaux et à la finalité première du livre :
la lisibilité. Tout cela fait émerger un substrat profond
" qui imprègne la totalité du livre, depuis sa structure
cachée jusqu'au faciès de la page écrite " et dont
les règles de comportement ne dépendent ni des avatars de
l'histoire ni de la diversité des alphabets.
c)
La copie des manuscrits en France aux XIVe et XVe siècles
(E. Cottereau ; thèse de doctorat sous la direction de C. Gauvard
; cf. Colloques, juillet 2000)
Acteurs
principaux du processus qui conduit à la fabrication du livre manuscrit,
intermédiaires incontournables dans le processus de circulation
et de transmission de la culture, les copistes, quel que soit leur statut
et quelles que soient les modalités de leur travail, se trouvent
au ceur à la fois de l'histoire du livre et de l'histoire intellectuelle.
Jusqu'à ces dernières années, pourtant, leur rôle
et leur activité n'avaient jamais fait l'objet d'une étude
systématique, et l'on comprend aisément les raisons de ce
désintérêt si l'on songe à la rareté,
dans les archives françaises, de documents qui ont trait à
la copie des manuscrits. C'est donc à partir des manuscrits eux-mêmes,
conservés par dizaines de milliers dans nos bibliothèques,
qu'a été récemment entreprise une recherche d'envergure
sur cette véritable « armée de l'ombre ».
On
sait que le pourcentage de manuscrits qui portent une mention de date est
relativement faible, et plus rares encore sont les colophons qui nous livrent
aussi l'identité du copiste. On sait également que ces colophons
ne deviennent quantitativement exploitables qu'à partir du début
du XIVe siècle et se font de plus en plus nombreux jusqu'à
l'avènement de l'imprimerie. C'est pourquoi, quels que soient ses
objectifs et son cadre géographique, tout programme de recherche
de grande ampleur ne peut prendre en compte que les deux derniers siècles
du Moyen Âge ; on est obligé, malheureusement, de laisser
de côté le XIIIe siècle, qui marque vraisemblablement
l'apogée de la culture universitaire parisienne.
Pour
d'évidentes raisons de faisabilité, la recherche qui vient
d'être mise en chantier a été limitée aux copistes
français ou opérant en France, même si la réalité
des autres grands pays producteurs de manuscrits " l'Italie et les pays
germaniques " ne saurait être ignorée, ne serait-ce que dans
une perspective comparative. La nouveauté de cette recherche réside
en premier lieu dans ses a priori. Elle comporte en fait deux volets
formellement distincts : un volet prosopographique (cf. Axe VI )
et un volet codicologique. Il s'agit donc de répondre simultanément
à deux questions : d'une part, « qui étaient les copistes
? », à partir des colophons de manuscrits et de tout autre document
susceptible de fournir des données biographiques ; de l'autre, «
comment travaillaient-ils ? », à partir, précisément,
du résultat tangible " la page écrite " que nous avons sous
les yeux, le but étant à terme de faire en sorte que les
deux aspects s'éclairent mutuellement.
Dans
le cadre ainsi délimité, plusieurs orientations de recherche
peuvent d'ores et déjà être définies.
En
premier lieu, le statut du copiste et son évolution éventuelle
dans le temps. L'idée que l'on se fait spontanément du copiste
est celle d'un professionnel rémunéré par un commanditaire
: c'est d'ailleurs la situation que font clairement apparaître les
nombreux contrats du XIIIe siècle enregistrés à Bologne
dans le cadre du système de la pecia[8].
Mais, précisément, ces copistes-là n'avaient
guère l'habitude de nous livrer leur identité … Il s'agit
donc avant tout de déterminer, dans la mesure du possible, dans
quel contexte et par quels cheminements les copistes ont pris l'habitude
de se faire connaître. Est-ce que les copistes qui signent leur travail
ont le même statut que leurs prédécesseurs ? Il est
certain, en tout cas, que l'analyse des colophons dont nous disposons semble
tracer les contours d'un panorama de plus en plus varié des « circuits
de copie » par rapport à l'archétype du copiste « contractuel
». L'étude de ces circuits, en partant du plus court (copiste qui
travaille pour lui-même) au plus long (copiste qui travaille pour
un commanditaire au profit d'un destinataire tiers) pourrait se révéler
fructueuse.
Un
autre aspect intéressant de cette problématique réside,
bien évidemment, dans la reconstitution des modalités du
travail de copie. Tout d'abord, l'existence éventuelle d'une spécialisation
(en premier lieu par rapport à la langue du texte) ; ensuite, les
conditions de travail, la répartition des tâches entre les
divers artisans du manuscrit et, bien entendu " mais les données
sont rares sur ce point ", la rémunération.
Cependant,
le volet le plus important de l'enquête, et aussi le plus novateur
sur le plan méthodologique, concerne moins la personne du copiste
que le produit issu de son savoir-faire. Cette analyse requiert la sélection
préalable d'un vaste corpus de manuscrits datés et signés,
ainsi que l'élaboration d'un protocole d'observation minutieux et
parfaitement ciblé, visant à déceler l'application
éventuelle d'un système de règles de conduite sous-jacentes,
d'ordre esthétique ou fonctionnel (ou simplement traditionnel),
dont nous ignorons souvent non seulement la nature, mais l'existence même.
Il s'agira de déterminer les facteurs de variation de ces règles
en fonction de la langue du texte, de la culture du copiste, des capacités
de lecture du possesseur, de la richesse de l'exécution. Par ailleurs,
l'examen de plusieurs transcriptions effectuées par le même
copiste devrait permettre d'évaluer aussi bien ses qualités
professionnelles que la stabilité de ses choix (régularité
du tracé, habitudes périgraphiques, ponctuation), tant d'une
copie à l'autre que d'un bout à l'autre de la même
copie.
Les
premières réponses aux questions qui viennent d'être
posées ne pourront venir qu'après l'enregistrement et le
traitement des données codicologiques et paléographiques.
En effet, l'analyse systématique d'un corpus requiert la mise en
oeuvre de méthodes statistiques et le recours aux services de l'informatique.
C'est d'ailleurs à la constitution d'une base de données
à partir des sources secondaires qu'ont été partiellement
consacrées les deux premières années de cette recherche.
Actuellement, cette base comporte, pour chacun des quelque 2500 manuscrits
retenus après le dépouillement exhaustif de tous les volumes
parus du Catalogue des Manuscrits Datés, 160 champs environ.
Pour ce qui est de l'examen codicologique des manuscrits, évidemment
beaucoup plus détaillé que les notices fournies dans les
catalogues, l'échantillon retenu, nécessairement plus restreint,
ne dépasse pas 250 manuscrits. Cet examen, qui n'est certes pas
facilité par les restrictions de consultation de plus en plus nombreuses
imposées par les bibliothécaires, est actuellement en cours. Les
principes inspirateurs de ce travail, ainsi que quelques premières
orientations d'ordre général, ont été récemment
présentés lors d'un colloque international organisé
par l'Université de Liverpool (cf. Colloques, juillet 2000).
d)
Interaction entre texte et glose dans l'édition commentée
(P. Busonero, L. Devoti, M. Maniaci, E. Ornato, A. Tomiello ; partenariat
: J.-H. Sautel (irht, Orléans)
; cf. Publications)
Alors
que la construction et l'exploitation de la page écrite dans les
manuscrits ont déjà fait l'objet de recherches nombreuses
et variées, les aspects matériels de la coexistence sur une
même page d'un texte et de son exégèse ont été
jusqu'ici délibérément négligés du fait
même de leur particularité. Il est vrai que cette coexistence
soulève toute une série de difficultés d'ordre technique
dont la solution nécessite, dès la conception du volume,
l'élaboration préalable d'un plan minutieux et complexe.
La gestion page par page du flux simultané des deux textes requiert
de la part du copiste la mise en euvre de dispositifs d'ajustement et de
mécanismes de contrôle de diverses natures, aptes à
assurer leur agencement de manière optimale. Tâche assurément
difficile, car il s'agit, en effet, de : a) répartir deux masses
textuelles dont l'étendue, de toute manière très différente,
peut varier brusquement d'une page à l'autre, sur des espaces dont
la surface et la disposition sur la page sont, elles aussi, variables ;
b) caractériser et hiérarchiser les informations de façon
appropriée ; c) concevoir des systèmes fonctionnels de liaison
capables de guider et de faciliter des modalités de lecture qui
ne sont pas toujours linéaires. La compréhension des logiques
sous-jacentes à la mise en page des manuscrits commentés
exige donc l'examen approfondi et systématique, page par page, dans
les témoins originaux, d'un ensemble de caractéristiques
variées, allant de la préparation du support aux modalités
de la transcription.
Bien
que les premières recherches aient porté sur un terrain spécifique
" la mise en page des manuscrits juridiques (cf. ci-dessous) " l'exigence
d'une systématisation méthodologique et terminologique au
niveau général s'est assez rapidement imposée. Il
fallait d'une part définir une « grille d'analyse » pertinente pour
l'étude des manuscrits contenant des textes commentés, à
la fois assez étendue pour pouvoir embrasser la totalité
des situations envisageables a priori et assez souple pour pouvoir
s'adapter aux particularités que l'on observe inévitablement
a
posteriori. En d'autres termes, il était nécessaire de
passer en revue l'éventail des questions que le chercheur doit poser
à ce type de manuscrit et, plus concrètement, de définir
ce qu'il faut analyser, dénombrer, compter, mesurer ; opération
qui présuppose la reconstitution des problèmes dont le copiste
devait tenir compte en programmant son travail ou qu'il devait résoudre
« à la volée » au moment de la transcription " agencement
du texte et de la glose, régularité de la mise en page, systèmes
de repérage et de renvoi, etc. ", ainsi que le recensement et la
classification des solutions historiquement adoptées (M. Maniaci,
Colloques,
septembre 1998).
Il
convenait, d'autre part, de poursuivre un objectif de formalisation et
de normalisation qui consiste à classifier et à nommer, par
une démarche raisonnée et rigoureuse, les diverses modalités
de coexistence du texte principal et de sa glose dans le volume ou dans
la page : notamment, la manière dont les deux masses textuelles
se suivent, alternent ou s'entrelacent ; les zones que l'on réserve
à l'une et à l'autre, et celles qui en délimitent
les frontières ; les différents schémas de réglure
qui permettent l'exploitation judicieuse de l'espace virtuellement alloué.
En ce qui concerne la terminologie, le travail a été facilité
par la création d'un groupe de réflexion informel (P. Canart,
M. Maniaci, D. Muzerelle, E. Ornato, J.-H. Sautel) qui a abouti à
la formulation définitive d'un ensemble de définitions, à
partir d'une systématisation préalable de J.-H. Sautel[9].
Cette
réflexion d'ordre théorique trouve plus ou moins directement
sa source dans un travail pionnier consacré à la mise en
page du manuscrit juridique commenté, entamé dans le cadre
d'un deade la Scuola
di specializzazione per la conservazione dei beni archivistici e
librari de l'Université de Cassino sous la direction de Marco
Palma (L. Devoti ; cf. Publications). L'observation minutieuse des
caractéristiques codicologiques d'une quarantaine de manuscrits
du Codex de Justinien et de quelques éditions incunables
a permis de comprendre les mécanismes et les enjeux de la réalisation
matérielle d'une édition commentée. Si les problèmes
découlent des variations soudaines et de grande ampleur de la masse
textuelle du texte principal et/ou de la glose, la nécessité
de les résoudre plonge le copiste dans un véritable dilemme
cornélien où l'artisan est continuellement ballotté
entre le « principe de régularité » " qui impose la réalisation
de pages le plus possible identiques sur le plan visuel " et le « principe
de lisibilité » qui, dans le cas spécifique, impose d'optimiser
(c'est-à-dire d'abréger et de rendre univoque) le va-et-vient
continuel du regard entre le texte et son commentaire.
L'analyse
a montré que, quelles que soient les solutions adoptées,
les copistes avaient tendance à préserver la régularité
des zones supérieure et latérales de la page au détriment
de la zone inférieure qui, correspondant à la marge la plus
développée, permet d'absorber avec une plus grande aisance
les surcharges et les raréfactions de la masse textuelle. Le meilleur
compromis entre régularité et lisibilité revient aux
copistes de Bologne qui avaient adopté comme « unité de travail
» la double page à livre ouvert. Cette double page, dont les deux
volets ont en gros le même « layout », correspond également
à un « cycle d'adéquation » complet entre le texte et la
glose, en ce sens que la numérotation des lemmes recommence à
chaque changement de double page et qu'aucun lemme ne se prolonge sur la
double page suivante. Dans chaque double page, la régularité
est assurée du fait que l'espace dévolu au texte principal
est modulé en fonction de la masse textuelle de la glose qui, elle,
est enfermée dans un cadre à peu près immuable. Or,
c'est bien ce cadre qui focalise le jugement du lecteur sur la régularité
de la page et son harmonie.
Des
recherches ultérieures (E. Ornato, cf. Publications), menées
à partir du relevé ligne par ligne du texte et de la glose
dans deux cahiers du manuscrit Vat. Lat. 1430 (L. Devoti, cf. Publications),
ont fait apparaître le lien étroit entre les modalités
de transcription des ouvrages juridiques commentés et le système
de transmission des textes dans les milieux universitaires, dit de la pecia.
En fait, le texte et la glose étaient contenus dans deux modèles
que l'on louait séparément aux copistes. Les temps de rotation
très rapides interdisaient, dans la pratique, que l'on possède
simultanément la pecia du texte principal et celle de la
glose correspondante. Aussi, fallait-il transcrire d'abord la totalité
du texte, puis celle de la glose, ce qui empêchait de moduler simultanément
l'espace dévolu à l'un et à l'autre. La solution de
la « double page », associée à la variabilité de l'espace
réservé au texte principal, présuppose en revanche
une transcription simultanée, et donc des temps de rotation des
peciae
beaucoup
plus lents. C'est pourquoi cette solution apparaît dans des manuscrits
plus tardifs et n'aurait pu de toute manière s'imposer pendant la
période où le système de la pecia
était
à son apogée.
La
tenue du colloque « Le commentaire entre tradition et innovation », dont
le lamop a été
co-organisateur au sein de l'Institut des traditions textuelles (fr
33 du cnrs) dirigé
par Marie-Odile Goulet Cazé (cf. Colloques, Paris-Villejuif,
septembre 1999), a été l'occasion de nouvelles avancées.
Sur
la base des protocoles d'observation précédemment établis
et partiellement expérimentés, il a été procédé
à l'examen minutieux (limité néanmoins au livre I)
de deux anciens témoins de l'Iliade richement commentés
(le matériel exégétique commun étant cependant
assez réduit) : Venezia, Marc. gr. 453 et 454. L'analyse de ces
réalisations (M. Maniaci, cf. Publications) a mis en évidence,
deux siècles avant l'essor du livre juridique et dans une aire culturelle
tout à fait différente, le fait que les mêmes problèmes
tendent à engendrer des solutions analogues. Les stratégies
d'ensemble mises en euvre par les copistes sont en effet, à quelques
variantes près, tout à fait semblables à celle que
l'on observe bien plus tard dans le monde occidental : subdivision de la
glose encadrante en trois zones communicantes (en ce sens que les lemmes
peuvent déborder d'une zone à la suivante), la zone inférieure
demeurant « élastique » pour absorber les variations de la masse
exégétique. Même le concept de « double page » en regard
est déjà présent en embryon chez l'un des témoins
: la double page y constitue bien la frontière du « cycle d'adéquation
» " puisque la numérotation des lemmes reprend dès que l'on
passe au verso suivant ", mais le copiste renonce assez vite, on ne sait
pourquoi, à moduler le nombre de vers contenus dans une page en
fonction de la quantité de commentaire disponible. L'analyse entreprise
doit bientôt se poursuivre sur un troisième manuscrit commenté
de l'Iliade, transcrit de la même main que le Marc. gr. 453,
conservé à la Bibliothèque de l'Escorial : il sera
ainsi possible d'analyser le comportement d'un même copiste qui transcrit
deux fois le même texte commenté. Dans
le cadre du même colloque, a été par ailleurs présentée
une première étude concernant une situation différente
: celle du commentaire aux tragédies de Sénèque dû
à Nicolas Treveth (début du XIVe siècle) dont ont
été examinés quatre manuscrits très proches
de la date, et peut-être aussi du lieu, de composition (P. Busonero,
cf. Publications). Il ne s'agit pas cette fois, comme à Bologne,
de l'agrégation progressive de gloses sous l'autorité d'un
grand juriste (Accursius), ni de filtrages « arbitraires » d'un immense
matériel exégétique préexistant, comme dans
le cas de l'Iliade, mais de l'euvre d'un seul auteur, composée
sans doute d'un seul tenant et sur commande expresse. L'étude de
la disposition du texte et du commentaire dans les manuscrits les plus
anciens fait apparaître que la typologie de la glose encadrante n'est
pas la forme « spontanée » que l'on adopte dans ce genre de circonstances.
Dans tous les manuscrits, en effet, les tragédies et le commentaire
sont placés sur deux colonnes adjacentes (avec des variantes d'une
tragédie à l'autre), mais la synchronie des deux flux textuels
est loin d'être satisfaisante. Manifestement, on n'a pas encore affaire
à une planification cohérente et organisée de leur
coexistence et chaque copiste « se débrouille » comme il peut. Plus
tard, lorsque les tragédies et leur commentaire feront partie des
textes lus dans les Facultés des Arts, une réorganisation
de l'ensemble s'imposera. Le processus de changement de typologie " avec
toute la problématique intellectuelle et matérielle qui s'y
rattache " constitue un terrain de recherche qui s'avère d'ores
et déjà très riche d'implications. Une
dernière étude a été consacrée, enfin,
à ce que l'on pourrait appeler la « paléographie de la page
commentée », le terrain d'observation étant encore une fois
constitué par le livre juridique bolognais (A. Tomiello, cf ? Publications).
Comme on le sait, le module de l'écriture de la glose est habituellement
plus petit que celui de l'écriture du texte principal. Il s'agit
bien souvent d'une nécessité, du moment que la masse textuelle
de la glose est normalement beaucoup plus importante que celle du texte
commenté. Cependant, le décalage se manifeste en toute circonstance,
même lorsque les marges sont loin d'être « saturées
», et il arrive également, par ailleurs, que les marginalia soient
écrits dans une écriture moins « noble » ou de toute manière
plus hâtive. Ce qui rend intéressant le cas du livre juridique,
c'est le fait que texte et glose utilisent systématiquement le même
type d'écriture posée d'apparat : la rotunda. Sachant,
grâce aux contrats de copie survivants, que, à quantité
égale, le temps de transcription de la glose était sensiblement
plus rapide que celle du texte principal, on doit se demander si la hiérarchie
dimensionnelle ne reflète pas également une hiérarchie
de niveau. La réponse apportée par l'analyse est négative
: le copiste adapte certes les canons de la rotunda au changement
de module, mais il ne produit pas une transcription « au rabais ».
e)
La transition de l'écriture caroline à la « gothique »
(A. Tomiello ; cf. Publications
; dea de la Scuola
di specializzazioneper
la conservazione dei beni archivistici e librari)
En
l'espace de deux siècles, l'écriture livresque en usage dans
le monde occidental " la caroline " subit une série de profondes
transformations : alors que l'espace entre les mots acquiert définitivement
son statut de séparateur sémantique, l'espace entre les signes
à l'intérieur du mot rétrécit jusqu'à
disparaître, au point que certaines lettres, présentant des
courbes opposées (comme le p et le o), finissent par
fusionner (ligature). Parallèlement, de nouvelles formes graphiques
viennent remplacer ou côtoyer les précédentes : le
d
oncial,
courbé à droite, remplace le d droit ; le s rond
apparaît en fin de mot à la place du s
long ; une forme
« ronde » du r
est utilisée après les « lettres
à panse ». L'aspect général du tracé se trouve
d'autre part profondément modifié : il se fait progressivement
anguleux et prend la forme d'une alternance de pleins, très épais,
et de déliés filiformes. L'écriture elle-même
se simplifie, en ce sens que chaque lettre est « fabriquée » à
l'aide d'un petit nombre de traits modulaires (on pourrait songer, par
analogie, à l'affichage de nos montres ou calculettes). Ce long
processus s'achève vers le milieu du XIIIe siècle : l'écriture
que l'on nomme vulgairement « gothique » " mais que les paléographes
préfèrent appeler littera textualis
" acquiert alors
sa physionomie spécifique et entreprend une longue carrière
dans le livre occidental.
Ce
qui caractérise ce phénomène, c'est sa gradualité
et sa spontanéité apparente : aucun des manuscrits conservés
ne peut être considéré comme un prototype canonisé,
en rupture ouverte avec les pratiques graphiques précédemment
en vigueur. C'est pourquoi la seule manière de l'étudier
consiste à rassembler un corpus de témoins datables s'échelonnant
sur les XIe, XIIe et XIIIe siècles, et de s'interroger sur le «
calendrier », tant absolu que relatif, de chaque innovation graphique.
Jusqu'à présent, à quelques rares exceptions près[10],
les paléographes n'ont guère été intéressés
par la naissance de la littera textualis et, de toute manière,
cette discipline a toujours refusé les procédures de type
quantitatif. Aussi la recherche entreprise sur cette longue transition
(A. Tomiello, sous la direction de S. Zamponi [Université de Florence]
; dea de la Scuola
di specializzazione per la conservazione dei beni archivistici e
librari : direction M. Palma) est-elle novatrice à la fois par
sa thématique et par sa méthodologie, si bien que la notice
descriptive établie à cette occasion possède, qu'on
le veuille ou non, une connotation paradigmatique.
Cette
notice comporte plusieurs sections : éléments structuraux,
à savoir caractéristiques strictement liées à
la constitution progressive de la
littera textualis et à
l'organisation des lettres dans la chaîne graphique ; faits d'exécution,
qui se rapportent à la manière de « produire » les signes
graphiques et au style de ces derniers ;
variantes graphiques, c'est-à-dire
identification d'allographes pourvus, le cas échéant,
d'une fonction distinctive ; faits périgraphiques et codicologiques,
qui comprennent des phénomènes étrangers à
la morphologie de l'écriture mais qui jouent un rôle important
dans l'organisation de la page écrite. Quant à l'échantillon,
dont la taille avait été fixée en première
instance à 120 manuscrits, il a dû être réduit
à quelques dizaines d'unités, compte tenu de la rareté
de volumes datables avec une précision et une fiabilité suffisantes.
A l'heure actuelle, l'exploitation des données est en cours et les
premiers résultats ont déjà fait l'objet d'une publication.
f)
« A lire ou à regarder » ? Richesse et lisibilité dans les
manuscrits des traductions françaises de Boccace
(E. Cottereau ; cf. Publications ; maîtrise sous la direction
de C. Gauvard)
Bien
plus que le livre imprimé, le manuscrit médiéval est
intrinsèquement et simultanément investi de deux rôles.
L'un est d'ordre fonctionnel et correspond à sa finalité
même : transmettre un message dépourvu d'erreurs et lisible
dans les meilleures conditions ; l'autre relève de la sphère
ostentatoire : le rang d'un objet artisanal dans l'échelle des niveaux
d'exécution doit être strictement corrélé à
celui de son propriétaire dans l'échelle sociale.
Mais,
précisément, qu'entend-on par « niveau d'exécution
» ? Ou plutôt, de quelle manière ce concept était-il
interprété par le couple commanditaire / artisan ? Le terme
« niveau » possède bien évidemment une connotation de richesse,
mais il est tout aussi évident qu'il ne saurait être dissocié
de la notion de « soin », donc de qualité. Cette notion s'applique
non seulement aux aspects les plus voyants du livre " les éléments
décoratifs " mais aussi aux caractéristiques qui relèvent
des fondements esthétiques de l'objet : la régularité
et la proportionnalité, Cependant, elle embrasse également
le domaine fonctionnel : il est indéniable qu'un livre agréablement
lisible est sans aucun doute un livre de qualité. D'ailleurs, il
n'est pas toujours possible de séparer nettement les deux domaines
: une page aérée et peu remplie est non seulement plus élégante,
mais aussi plus lisible.
L'historien
du livre est donc en droit de se poser la question : étant donné
que le commanditaire / possesseur au patrimoine modeste doit nécessairement
renoncer à la profusion de richesse mais s'efforce de respecter,
chaque fois qu'il le peut, les principes esthétiques et les exigences
de lisibilité, est-ce que, inversement, le propriétaire riche,
qui n'est pas soumis à la loi d'airain de l'économie, englobe
la lisibilité du livre dans le concept de qualité ?
La
réponse à cette question ne peut venir que de l'analyse d'une
catégorie de livres tout naturellement destinés à
des personnages de rang élevé ; en l'occurrence les manuscrits
de la version française du De casibus de Bocacce par Laurent
de Premierfait, texte dont le succès ne s'est pas démenti
tout au long du XVe siècle et dont il nous reste plusieurs dizaines
de témoins. Pour mener à bien cette analyse, il a fallu prévoir
une grille de description aussi complète que possible et qui permette
d'évaluer aussi bien les aspects les plus matériels du livre
(qualité du parchemin) que les caractéristiques de la transcription
les plus liées à la lisibilité (abréviations,
coupure des mots en fin de ligne, etc.). Par ailleurs, le relevé
mot par mot du même passage dans la totalité des témoins
examinés a permis de confronter d'une manière rigoureuse
le comportement des copistes et de déterminer leur degré
de liberté par rapport aux divers éléments du texte
(orthographe, ponctuation, capitales).
Le
résultat de l'enquête ne laisse pas de place au doute : à
l'exception d'un ou deux cas " ceux, précisément, où
l'entreprise est impulsée et surveillée par un lettré
" les aspects liés à la lisibilité sont systématiquement
négligés, surtout lorsqu'ils entrent en contradiction avec
d'autres impératifs. Seuls sont retenus ceux qui possèdent
une connotation esthétique et qui frappent en même temps le
regard " comme la densité du texte dans la page " ou ceux qui se
rattachent très directement à la compréhensibilité
du message écrit par un lecteur peu aguerri (usage du système
abréviatif).
Un
exposé complet des résultats de cette recherche sera bientôt
proposé à la revue Quinio.
4.
Recherches sur des corpus et des typologies particulières, études
monographiques
a)
Les manuscrits de la Bible, ou « comment le Livre s'est fait livre » (M.
Maniaci, E. Ornato ; partenariat : D. Muzerelle [irht])
Tout
au long du Moyen Âge, la Bible a été l'un des textes
les plus reproduits dans le monde chrétien et dans tous les lieux
d'implantation de la communauté juive. Texte sacré par définition,
elle a été utilisée dans des contextes très
différents et avec diverses finalités ; elle a été,
en outre, très largement commentée. Seul texte commun au
patrimoine livresque de trois grandes aires, pour ainsi dire, ethno-socio-culturelles,
la Bible traverse sans encombre les lieux et le temps, les mutations des
systèmes graphiques et les avatars technologiques, puisqu'il s'agit,
comme on le sait, de la première oeuvre imprimée. Témoignage
suprême du message de Dieu, elle ne s'accommode pas de la facilité,
de la négligence et du dilettantisme, et c'est pourquoi, en tous
lieux et à toute époque, elle constitue sans doute l'une
des expressions les plus achevées du professionnalisme artisanal
dans le domaine du livre.
D'une
part, donc, les bibles peuvent être considérées comme
l'exemple même de la production livresque de bon niveau ; mais d'autre
part, du fait de leur connotation religieuse et de leur omniprésence
dans toutes les manifestations de la vie culturelle et cultuelle, elles
constituent un objet tout à fait spécifique, et même
exceptionnel. Ainsi, connaître l'histoire matérielle du Livre
" la Bible " permet de mieux connaître l'histoire du livre en général,
mais connaître l'histoire du livre en général permet
de savoir en quoi les bibles présentent des solutions exceptionnelles
ou exploitent les solutions déjà existantes.
Du
fait de la présence de la Bible dans toute l'Europe et dans le pourtour
de la Méditerranée, l'étude des bibles ne saurait
être affrontée que dans une perspective résolument
comparative.
La Bible constitue donc le meilleur « banc d'essai » d'une manière
nouvelle " bien plus riche et complexe mais davantage hérissée
de difficultés " de pratiquer la codicologie ; manière qui,
on s'en doute, requiert dans bien des cas l'utilisation de méthodologies
adéquates.
i.
Les manuscrits de la Bible et la catalographie moderne
(M. Maniaci, E. Ornato ; partenariat : D. Muzerelle [irht] ; cf. Publications)
Toute
recherche d'envergure portant sur un corpus de bibles implique, quel qu'en
soit le point d'application, des procédures de descriptions extrêmement
détaillées et rigoureuses et ne saurait donc faire l'économie
de l'observation directe in loco des manuscrits concernés.
L'observation in loco présuppose bien évidemment que
l'on connaisse le lieu de conservation des volumes ; or, il n'existe pas,
à l'heure actuelle, de répertoire spécifique qui recense
de manière exhaustive les exemplaires du texte latin et des diverses
vulgarisations de l'Écriture. Aussi, toute opération de recensement
et de sélection en vue de l'étude d'une population d'individus
doit-elle nécessairement s'appuyer en premier lieu sur les catalogues
des fonds manuscrits publiés jusqu'à présent.
C'est
précisément sur ce point que le bât blesse, car tous
ces catalogues sont le fruit, à l'exception du cas allemand, d'initiatives
dispersées dans le temps et dans l'espace, programmées sur
la base de principes hétérogènes et confiées
à des acteurs de compétence inégale. Mais ce qui rend
les choses difficiles pour le chercheur, c'est moins la multiplicité
des choix et la subjectivité plus ou moins « négligente »
des catalogueurs qu'un fait objectif : une bible " si l'on considère
l'ampleur des aires de diffusion du texte sacré, la pérennité
de son succès et l'éventail de ses modalités d'utilisation
" est un objet intrinsèquement complexe et varié.
Malheureusement,
les notices fournies dans les catalogues ne permettent que rarement de
maîtriser cette complexité et de savoir exactement à
quel type d'objet on a affaire. Cette difficulté se manifeste déjà
au niveau le plus élémentaire, dès que l'on doit déterminer
sans ambiguïté la structuration matérielle du projet
originel de transcription : lorsqu'il s'agit d'un volume unique contenant
le texte complet de la Bible, celui-ci pourrait avoir été
« compacté » à une époque postérieure par la
reliure de deux volumes à l'origine distincts ; un volume non mutilé
contenant une partie de la Bible pourrait apparaître comme un projet
de transcription partielle, mais il pourrait tout aussi bien être
le survivant dépareillé d'une série de volumes disparus
ou simplement dispersés ; enfin, plusieurs volumes décrits
sous la même cote peuvent être interprétés comme
un ensemble homogène faisant série, ou comme un ensemble
d'origine disparate réuni dès l'époque médiévale,
ou encore comme une juxtaposition « de confort », opérée
par un bibliothécaire du XIXe siècle, de deux ou plusieurs
volumes dépareillés. La situation est particulièrement
critique pour les bibles de l'époque « monastique », dont le texte
était en général divisé en au moins deux volumes
(à l'exception cependant des bibles dites « atlantiques », cf. ci-dessous)
et dont l'histoire est souvent riche en péripéties.
ii.
La structure matérielle des Bibles dites « atlantiques »
(M. Maniaci ; cf. Publications)
A
cause de leurs dimensions monumentales, les bibles dites « atlantiques
» (de format «atlas«) constituent un épisode à la fois important
et singulier de l'histoire du texte sacré dans la période
comprise entre le milieu du XIe siècle et le milieu du siècle
suivant. Il s'agit de manuscrits exceptionnels à plusieurs égards
dont on conserve actuellement une centaine de témoins, souvent demeurés
in
loco.
Du
point de vue matériel, les bibles « atlantiques » ne sont pas uniquement
caractérisées par leurs dimensions imposantes et par le fait
qu'elles contiennent (en un ou deux volumes) la totalité de l'Écriture
; elles sont également remarquables par l'homogénéité
de leur présentation qui reflète l'existence de techniques
sophistiquées d'organisation et de répartition du travail.
Ces bibles surprennent aussi par l'universalité des choix graphiques
: elles sont toutes transcrites en « caroline tardive », même dans
les régions où le système graphique dominant est normalement
différent. De son côté, la décoration sobre
et austère, empreinte de motifs classiques (les scènes enluminées
sont calquées sur l'iconographie des grands cycles des peintures
murales romanes), correspond à l'exigence de créer des volumes
élégants mais faciles à imiter, comme il se doit dans
une production « en série ». Enfin, le texte présente une
remarquable uniformité dans tous les témoins, au point que
les spécialistes de la Vulgate n'hésitent pas à l'assimiler
à une véritable « édition ».
La
convergence de ces caractéristiques laisse supposer que la naissance
et le développement des bibles « atlantiques » sont le fruit d'une
initiative soigneusement ciblée et préalablement organisée
dans tous les détails : dimensions, contenu, écriture, langage
décoratif. En effet, ces bibles représentent le résultat
concret d'un processus d'unification doctrinale promu par l'Église
au moment de la réforme « grégorienne » : nées à
Rome et réélaborés en Toscane, elles se sont rapidement
diffusées dans l'Europe chrétienne afin d'y imposer une sorte
de typologie « officielle » du texte sacré.
Alors
que le texte, l'écriture et surtout la décoration des bibles
« atlantiques » n'ont pas manqué d'intéresser les spécialistes,
les aspects « archéologiques », en revanche, ont été
négligés, et c'est dommage car la structure de l'objet et
la présentation de la page écrite sont précisément
le lieu où les objectifs culturels et idéologiques des commanditaires
viennent interagir avec les réalités matérielles.
Cette interaction n'est pas sans problème lorsqu'on a affaire à
un texte comme la Bible dont la longueur (trois millions de caractères
environ) se laisse difficilement contenir en un ou deux volumes. Ainsi,
la réalisation d'une bible a de tout temps engendré de véritables
défis, qu'il s'agisse de « compacter » le texte dans un volume miniaturisé
ou, au contraire, de le « diluer » en plusieurs volumes pour qu'il coexiste
harmonieusement avec son exégèse.
Même
sur le plan matériel, l'apparition des bibles « atlantiques » doit
être interprétée comme une nouveauté importante
dont l'aspect le plus spectaculaire est le choix des dimensions, encore
plus imposantes que celles des bibles carolingiennes de Tours. Sans doute
ne saurait-on réduire cette option à la nécessité
de comprimer la masse textuelle en un seul volume ; on doit songer également
au rôle primordial que l'on attribuait au Livre dans la propagation
de la réforme religieuse.
Cependant,
malgré sa « visibilité », l'aspect dimensionnel n'est vraisemblablement
pas le plus significatif. Le regard attentif du codicologue perçoit
en effet des détails auxquels le lecteur ne prêtait pas attention
: la densité de la transcription ; les pratiques de mise en page
; le rapport entre les unités textuelles (livres) et les unités
matérielles (cahiers), qui correspond presque certainement à
une répartition simultanée du transcribendum entre
plusieurs copistes ; les dimensions, la fréquence et la distribution
des initiales décorées. Tous ces éléments révèlent
une évolution cohérente dans le temps et ramènent,
sous un angle nouveau, à la question centrale : jusqu'à quel
point ces bibles conservent-elles la mémoire d'un projet unitaire
et du lien originel avec la réforme qui les avait directement inspirées
? Répondre à cette question implique une analyse minutieuse
et systématique d'un grand nombre de témoins, projet actuellement
en cours.
b)
Livre « gothique » et livre « humaniste » dans l'Italie du XIVeet du XVe siècle
(E. Ornato ; partenariat : M. A. Casagrande Mazzoli ; cf. Publications
;
Colloques, San Gimignano, juin 1999)
Alors
que la transition de l'écriture caroline à l'écriture
« gothique » s'inscrit dans la gradualité et dans la longue durée
(cf. ci-dessus, 2.e), l'apparition de l'écriture dite « humanistique
» (celle que nous utilisons aujourd'hui) au début du XVe siècle
apparaît en revanche comme la réaction soudaine et brutale
des pionniers d'une nouvelle culture aux canons graphiques qui avaient
accompagné l'essor de la culture scolastique traditionnelle, le
tout sous prétexte d'un retour à l'ancien.
Cela
dit, si l'on connaît bien les critiques explicites que Pétrarque
adressait à l'écriture de son temps, il n'existe aucun manifeste
programmatique qui nous précise en quoi et pourquoi il était
urgent de réintroduire de toutes pièces dans les livres l'écriture
de l'époque carolingienne ou romane ; il est évident, d'autre
part, que ce qui est remis en question par les humanistes, ce n'est pas
uniquement la morphologie de l'écriture « gothique », mais l'ensemble
des pratiques de fabrication et de présentation du livre qui étaient
en vigueur aux XIVe et XVe siècles. En quoi donc le livre « humaniste
» et le livre « gothique » diffèrent-ils profondément ? Est-ce
que le livre « humaniste » représente réellement une révolution
radicale, en ce sens qu'il rejetterait en bloc les apports de l'époque
précédente et relèguerait aux oubliettes les principes
fondamentaux qui imprègnent partout et depuis toujours l'objet-livre
? L'étude systématique d'un corpus de plus de 200 manuscrits
du XIVe et du XVe siècle, représentatifs pour moitié
du monde humaniste et pour moitié des milieux les plus traditionnels,
a permis de donner un début de réponse à ces questions
:
" le pôle d'opposition
entre les deux typologies de livre est représenté par le
binôme « compact / aérien ». L'écriture épaisse
aux hastes peu développées et dont les signes s'entassent
sur la ligne, l'unité de réglure « écrasée
» par la nécessité de remplir au maximum la page, les marges
trop sacrifiées, tout cela est préjudiciable aussi bien à
l'esthétique qu'à la lisibilité. Les pages « légères
» du livre humaniste sont donc incontestablement plus agréables
pour le regard … mais, lorsque les textes transcrits sont longs, les livres
se présentent plus lourds et massifs qu'à l'époque
précédente ;
" la révolution
du livre « humaniste » n'est qu'apparente, car :
le livre conserve son
rôle de représentation sociale, même si le point d'application
de la hiérarchie change : il ne s'agit plus de la richesse de la
décoration, mais de la gestion de l'espace. Celui-ci est d'autant
plus gaspillé que le rang social du possesseur est élevé
;
les canons d'exploitation
de l'espace sont bouleversés, mais à l'intérieur du
nouveau système les lois et tendances fondamentales (régularité,
proportionnalité, lisibilité, « rendement » de la page) restent
en vigueur ;
la « grammaire de la lisibilité
» (ensemble des dispositifs de toute sorte aptes à faciliter la
lecture) est paradoxalement moins riche que dans le livre « gothique »,
pourtant décrié pour son manque de lisibilité. Par
ailleurs, comme toujours, cette grammaire est d'autant plus pauvre que
le possesseur est riche : ainsi, la dichotomie « livres à lire »
/ « livres à regarder » (cf. ci-dessus, 2.f)existe toujours
dans le livre humaniste ;
le retour à l'ancien est un leurre. Les humanistes ne renoncent pas aux acquis du livre « gothique » et innovent même sur quelques points : pliage du parchemin (in-folio, même pour des volumes relativement petits, et non in-quarto) ; structure des cahiers (quinions, et non quaternions) ; présence de signatures sur tous les bifeuillets, ainsi que de réclames ; utilisation de peignes et de tabulae ad rigandum pour la réglure à l'encre et à la pointe sèche. En outre, par rapport aux modèles de l'époque « monastique », les marges sont beaucoup plus développées et l'unité de réglure demeure moyennement plus petite.
c)
Codicologie des manuscrits d'euvres de théâtre (D.
Smith ; cf. Publications)
Il
existe environ 150 manuscrits d'euvres dramatiques pour la période
du XIIIe siècle au milieu du XVIe siècle dans le domaine
français (au sens géographique, qui inclut donc des textes
en langues vernaculaires autres que le français). Lamajeure
partie de ces témoins date des années 1450-1520, sous forme
de copies « courantes », in-folio. L'analyse matérielle vise
à déterminer les usages auxquels ils répondaient,
et constitue un préalable à l'édition, à
l'analyse interne et au commentaire des textes. Il s'agit, en somme, d'une
contextualisation par l'analyse matérielle.
Sur
l'ensemble du corpus datant de la seconde moitié du XVe siècle
(il n'existe aucun manuscrit pour la première moitié de ce
siècle), des pratiques particulières ont été
repérées : justification par pliages, signes marginaux, numérotations
spéciales par groupes de cahiers en relation avec la représentation,
etc. Ces pratiques permettent de tracer des liens de production entre les
« originaux » (ce terme n'a pas la signification de « manuscrit d'auteur
» ; il s'agit de modèles rédigés à la table
à partir d'autres « originaux » ou d'une source narrative), le matériel
manuscrit de la représentation (« abrégés », rôles,
carnets de régie, etc.), et des copies destinées à
la lecture individuelle. Ces dernières sont les plus nombreuses
: au final, seul un nombre limité de manuscrits est en rapport direct
avec le « fait théâtral ». Ainsi, l'éclaircissement
des contextes de production, de copie et d'usage pour des manuscrits de
la Passion d'Arnoul Gréban et de la Farce de Maistre Pierre
Pathelin, deux des plus importants textes de la littérature
dramatique du Moyen Âge français, a permis de conclure qu'il
s'agissait de « livres de méditation », genre peu étudié,
mais qui connaît un véritable essor au cours de la deuxième
moitié du XVe siècle.
d)
Aspects codicologiques des manuscrits de musique profane (XVe siècle)
(I. Ragnard)
Les
manuscrits de musique profane du XVe siècle, nous transmettent un
répertoire constitué essentiellement de chansons polyphoniques
françaises. Cet état de fait reflète l'hégémonie
croissante des compositeurs franco-bourguignons sur l'Europe musicale durant
le siècle charnière entre le Moyen Âge et la Renaissance.
Pendant longtemps, le manuscrit musical n'a été examiné
que dans la mesure où il pouvait apporter des informations sur la
provenance et la datation du répertoire. Or paradoxalement, dans
les premières décennies du XVe siècle, les sources
musicales sont principalement italiennes ; néanmoins, quelques chansonniers
témoignent de productions française et germanique. Depuis
peu, les musicologues cherchent aussi quels étaient les modes de
diffusion des compositions savantes à travers la circulation des
documents écrits et s'interrogent sur l'utilisation de telles «
partitions » dans la pratique musicale de l'époque. Cette question
est particulièrement délicate pour les sources profanes car
les interprètes des chansons " principalement des ménétriers
(chanteurs et instrumentistes) formés par tradition orale " n'étaient
probablement pas en mesure de lire la notation musicale. Les anthologies
qui nous sont parvenues sont-elles des recueils conservés dans des
bibliothèques ou des partitions destinées à la pratique
musicale ? La plupart des manuscrits présente un aspect modeste
: dépourvus de décorations, ils ne comportent aucune preuve
explicite de leur provenance, de leur datation ou de leurs possesseurs
(ni ex-libris, ni colophon, ni signature, ni armoiries, ni devises, ni
traces dans les inventaires de l'époque). Quels étaient donc
les commanditaires ? De riches amateurs de musique ou des interprètes
professionnels ?
Un
examen codicologique et paléographique minutieux est nécessaire
pour comprendre le contexte culturel dans lequel les manuscrits de musique
profane furent confectionnés. Il s'agit d'établir un panorama
des processus de fabrication des volumes et des pratiques des copistes.
Une méthode d'analyse codicologique propre aux sources musicales
a été mise au point et testée sur quatre chansonniers
de provenance italienne dans le cadre d'une thèse de doctorat en
musicologie (Université de Tours " Centre d'études supérieures
de la Renaissance, décembre 2000). Elle sera étendue à
un corpus plus large centré sur des manuscrits de musique profane
copiés entre les années 1415 et 1450 environ. L'analyse porte
principalement sur la constitution des cahiers, les processus de réglure
(p. ex. tracé des portées), la mise en page des différentes
voix et la distribution du texte sous la musique. Cette étude typologique
a pour objectifs : de préciser la provenance géographique
des documents et l'origine des copistes ; de mettre en évidence
une évolution chronologique des pratiques (changement de notation
musicale, ordre de copie du texte et de la musique, mise en page) ; de
cerner qu'elle était la destination des manuscrits (conservation
ou pratique) ; de tracer la filiation des sources entre elles ; de permettre
des comparaisons avec des manuscrits non musicaux notamment ceux copiés
à la même époque en Vénétie.
e)
Naissance d'une gastronomie : cuisine, littérature et médecine
à la fin du Moyen Âge
(B. Laurioux)
Après
la publication de deux ouvrages de synthèse consacrés auxtextes
de cuisine et à leurs supports livresques (cf. Publications),
ces recherches s'intègrent désormais dans un projet général
d'étude sur la gastronomie médiévale. C'est en effet
à la fin du Moyen Âge qu'émerge, pour la première
fois depuis l'Antiquité, un véritable discours gastronomique,
c'est-à-dire un discours qui considère aussi les nourritures
selon le plaisir gustatif " et plus généralement esthétique
" qu'elles procurent, et non pas seulement en fonction de catégorisations
religieuses ou sanitaires. Comme toute gastronomie, celle du Moyen Âge
est donc sensible aux classements et aux réputations. Le De Honesta
Voluptate que l'humaniste Platina composa dans les années 1460
est de ce point de vue un accomplissement. Dans cette euvre se nouent les
fils de traditions textuelles jusque là séparées :
l'analyse savante des aliments réalisée par des médecins
formés à l'université et la description technique
des recettes issue du monde des grands cuisiniers, qui reste presque toujours
en langue vulgaire. S'y ajoutent des réminiscences de la littérature
antique et un projet moral, qui mêle habilement stoïcisme et
épicurisme dans le « slogan » de « l'honnête
volupté ». Cette synthèse originale sera le creuset
d'un genre qui allait profondément marquer la gastronomie occidentale
pour des siècles.
C'est
en amont que l'on peut se placer, afin d'éclairer les modalités
par lesquelles se sont peu à peu constitués les discours
rassemblés par Platina (comment ?), ainsi que les conditions qui
en ont permis l'émergence (pourquoi ?). Pour répondre à
ces questions, il faut en premier lieu se tourner vers les textes qui,
durant tout le Moyen Âge, charrient des préoccupations gastronomiques,
signalent des produits renommés ou attestent des distinctions en
matière de goût. Mais ces textes ne prennent tout leur sens
que dans le milieu qui les a vu naître et/ou au regard du public
auquel leurs auteurs s'adressent. Autant dire qu'une recherche sur la gastronomie
médiévale participe à la fois d'une histoire culturelle
et d'une histoire sociale. Le pont entre les deux est une histoire du livre
ouverte, détectant dans les caractéristiques matérielles
et textuelles des manuscrits les indices du projet qui les fit produire,
les limites de la diffusion qu'ils connurent et le type d'usages que leurs
possesseurs en firent.
Dans
ce champ de recherche assez vaste, il faut privilégier les secteurs
les moins connus, c'est à dire sur les discours médicaux
et littéraires. Si la thèse de Marilyn Nicoud a complètement
renouvelé notre connaissance de la diététique tardo-médiévale,
elle a volontairement laissé de côté un genre limité
qui est du plus haut intérêt dans une problématique
de la gastronomie : il s'agit des traités consacrés à
l'alimentation des malades, dont le plus ancien remonte à la fin
du XIIe siècle. L'édition de cette Summula de preparatione
ciborum et potuum infirmorum de Petrus Musandinus est ancienne et médiocre
: à partir d'un recensement des manuscrits, il faut une nouvelle
permettant de mieux appréhender l'originalité de ce texte.
Dans un domaine " la nourriture des malades " a priori peu favorable à
l'expression de désirs gastronomiques, leur prise en compte n'en
est que plus frappante et est très parlante sur l'émergence
d'une gastronomie. Ces indices fort précoces doivent être
aux indications plus substantielles fournies par une compilation médicale
peu répandue mais uniquement constituée de recettes : traduit
de l'arabe par un certain Jambobinus de Crémone, le Liber de
ferculis et condimentis est un contrepoint aux livres de cuisine qui
commencent à apparaître à la même époque
; il n'a jamais été utilisé et figure encore inédit
dans un manuscrit de la Bibliothèque nationale de France.
Autre
domaine négligé que celui de la lexicographie alimentaire,
dont Curtius avait jadis signalé l'existence depuis le haut Moyen
Âge, mais qui n'a jamais été étudiée
depuis. On peut partir d'une série de grammairiens actifs à
Paris entre le XIIe et le XIIIe siècles (Adam du Petit-Pont, Jean
de Garlande, Alexandre Nequam) qui, tous, ont laissé des lexiques
fort attentifs aux réalités quotidiennes. De tels répertoires
expliquent la survie d'un vocabulaire latin de la cuisine, dont un humaniste
comme Platina fera plus tard son miel ; mais ils révèlent
également des évolutions du goût et des habitudes alimentaires
par rapport au « modèle » antique (notamment à
travers les nombreuses gloses en langue vulgaire qui parsèment ces
textes). Au-delà de ces lexicographes, c'est une grande partie de
la littérature des derniers siècles du Moyen Âge qui
est envahie par une frénésie gourmande, dont le principal
mode d'expression est l'énumération, la nomenclature : énumération
des aliments, comme dans les plaintes de la jeune comtesse dans le Roman
du comte d'Anjou ; énumération des produits renommés
dans le Concile d'Apostole dès le XIIIe siècle. La
thématique alimentaire s'insinue dans la poésie, avec les
dits parodiques sur le boudin ou les pastiches hagiographiques sur saint
Hareng, et elle pénètre aussi le théâtre : l'évocation
complaisante des plats dans la prétendue Condamnation de banquet
de Nicolas de La Chesnaye est, tout au début du XVIe siècle,
un modèle du genre. Tout cela conduit bien évidemment à
Rabelais, dans une veine qui n'a donc rien de populaire, n'en déplaise
à Bakhtine.
Le
succès des livres de cuisine, la prise en compte des désirs
alimentaires par les médecins, le délire gourmand qui saisit
la littérature, tout cela traduit le nouveau statut que la gastronomie
est en train d'acquérir dans la société comme dans
la culture. Deux milieux, qui correspondent également à deux
moments, semblent plus particulièrement favorables à cette
« gastronomisation ». Le premier est la cour de France et,
autour d'elle, le réseau serré des hôtels princiers
et aristocratiques qui l'imitent et donnent à leur tour le ton au
Paris de la fin du XIVe siècle. La société de cour
consacre à la préparation de la nourriture un nombre toujours
croissant de serviteurs, qui prélève largement sur les abondantes
ressources convergeant sur la capitale, impulsant d'ailleurs des circuits
d'approvisionnement à flux tendu (le poisson frais de Dieppe), elle
codifie enfin les manières de table " celles de servir comme celles
de manger " tout en provoquant l'ire des moralistes par ses dépenses
fastueuses et ses usages déréglés. Le règne
de Charles VI semble être le sommet de cette exaspération
gourmande, dont le parallèle avec les troubles économiques,
sociaux et politiques peut être remarqué. Ces décennies
offrent en outre une riche moisson de documents divers, qui vont des comptes
de bouche et des règlements de métiers aux livres de cuisine
(imputés déjà à Taillevent, maître des
cuisines du roi) et aux textes littéraires de toutes sortes, sans
parler de cette source exceptionnelle qu'est le Mesnagier de Paris.
Non
moins favorisée est la Rome du milieu du XVe siècle. La mise
au point du De Honesta Voluptate y a été préparée
par la redécouverte d'Apicius et les travaux sur les agronomes latins,
toutes tâches dans lesquelles Pomponius Leto et ses disciples de
l'Académie romaine ont joué le rôle majeur. D'autre
part, Platina a travaillé avec Martino, cuisinier du duc de Milan
puis du patriarche d'Aquilée (avant d'entrer au service du condottiere
Gian Giacomo Trivulzio), et dont le livre de recettes est par conséquent
un miroir de la cuisine italienne du XVe siècle, de cette «
nouvelle cuisine » fortement teintée d'ibérismes comme
en témoignent de nombreux manuscrits culinaires encore inédits.
Profondément ancré dans l'Antiquité tout en étant
très ouvert aux modes gourmandes les plus récentes, le De
Honesta Voluptate est aussi un mémorial de l'Académie
romaine, des goûts et des petites habitudes de ses membres. La plupart
appartiennent à la Curie ou à ces cours cardinalices qui
l'imitent, reproduisant ainsi la situation observée à Paris
un demi-siècle plus tôt : on en connaît bien le faste
par les archives ou les ouvrages qui commencèrent alors à
être consacrés au train de vie des cardinaux. Ouverture de
la cuisine, Fixation d'une étiquette, transformations du service
forment l'arrière-plan du De Honesta Voluptate et accompagnent
sa diffusion à travers toute l'Europe, que l'on peut suivre dans
les inventaires de bibliothèques et dans les exemplaires conservés,
manuscrits ou imprimés.
f)
Les manuscrits de textes historiographiques en France du Nord
(I. Guyot-Bachy)
Ce
projet de recherche " une étude de la production et de la diffusion
des textes historiographiques en France du Nord dans la première
moitié du XIVe siècle " se situe dans la perspective des
quatre années à venir. Il s'agira, à terme, de dresser
un panorama de la culture historique et de son rôle politique dans
la partie septentrionale du royaume avant qu'une génération
d'historiens et de lecteurs ne soit décimée par la Peste
Noire, avant que les préoccupations liées à la guerre
et au changement de dynastie ne renouvellent les termes du débat.
Une des problématiques envisagées est celle du renouvellement
de la culture historique. La zone géographique envisagée,
parce qu'elle englobe à la fois le ceur du royaume et des régions-frontières,
paraît particulièrement digne d'intérêt.
Le
point de départ de cette étude consiste à établir
un inventaire des manuscrits produits au cours de cette période
dans l'espace géographique défini plus haut. Puis, en rassemblant
tous les éléments d'identification à disposition,
internes et externes au texte (langue, origine connue, marques de copistes,
de possesseurs, de lecteurs …), on s'efforcera :
1.
de cerner le milieu d'élaboration et de diffusion de la culture
historique, et d'envisager les relations existant avec les lieux et les
hommes de pouvoir ;
2.
d'appréhender le renouvellement de la culture historique (diffusion
de textes connus antérieurement, apparition de nouveaux textes…)
;
3.
de comprendre les thèmes et les courants qui animent la vie politique.
Sous-axe
C " La transmission et la diffusion de la culture écrite : livres,
lecteurs, société (C.
Bozzolo, X. Hermand)
1.
Aspects méthodologiques : l'exploitation quantitative des inventaires
médiévaux
(C. Bozzolo, E. Ornato ; cf. Colloques, mars 1997)
Dans
le cadre de la table ronde Livre, lecteurs et bibliothèques de
l'Italie médiévale,, ont été présentées
quelques réflexions méthodologiques sur l'exploitation des
inventaires anciens grâce aux méthodes quantitatives. En premier
lieu, il a été fait état des difficultés qui
y font obstacle et qui nous viennent des sources. Il s'agit avant tout
d'inconvénients structurels : si les inventaires doivent être
considérés comme une photographie fidèle des livres
qui existaient à un moment donné " alors que le patrimoine
survivant est fortement biaisé "ils
ne fournissent pas de renseignements sur la date et l'origine des volumes
et ne permettent pas de savoir si ces derniers étaient effectivement
utilisés. Par ailleurs, les listes de livres ne nous renseignent
guère sur les étapes du processus d'accroissement d'une bibliothèque.
A ces « péchés originels » viennent s'ajouter les pratiques
des rédacteurs des inventaires ; là, les problèmes
découlent moins du caractère souvent subjectif, voire arbitraire,
des descriptions, que des lacunes volontaires, correspondant à ce
qui, au moment de la rédaction, « allait de soi » (on ne spécifie
pas qu'un livre est en parchemin à l'époque où le
papier fait seulement son apparition, ni qu'un livre est imprimé
quand les imprimés constituent la majorité du patrimoine
livresque).
Cela
dit, le chercheur n'est pas complètement désarmé,
car il existe des moyens pour suppléer, en termes statistiques,
l'information manquante et pour identifier des strates à l'intérieur
d'une bibliothèque : comparaison entre plusieurs inventaires successifs
; analyse paléographique (écriture), codicologique (structure
du support, encre) et formelle (manière de rédiger les notices)
; mentions de donateurs ou de testateurs. Finalement, l'approche quantitative
fournit une méthodologie adéquate pour résoudre un
certain nombre de problèmes et offre un outillage technique très
au point qui permet de traiter une masse très considérable
de données. A vrai dire, les difficultés résident
moins dans les méthodes que dans les moyens : la nécessité
d'un recensement « exhaustif » des inventaires et son accessibilité
par le chercheur, et surtout l'élaboration d'instruments de travail
susceptibles d'aider à la formalisation univoque des données.
2.
Les métiers du livre à Paris du XIIIe au XVIe siècle (K.
Fianu)
Cette
étude a constitué les fondements d'une thèse de doctorat
(Université de Montréal, 1992), demeurée inédite,
et se poursuit à titre de recherche personnelle. Il s'agit d'explorer
le monde des artisans du livre oeuvrant à Paris entre la fin du
XIIIe et le début du XVIe siècle. Au nombre de ceux-ci figurent
les libraires (ou les stationnaires), les enlumineurs, les parcheminiers,
les papetiers, les imprimeurs et les relieurs. Le point commun à
tous ces artisans est leur appartenance, à un moment ou à
un autre, aux rangs de l'Université de Paris. L'enquête porte
à la fois sur leur statut juridique particulier et sur leurs pratiques
professionnelles, tout en observant une approche diachronique riche d'enseignements,
tant pour l'histoire de l'écrit que pour celle des métiers
ou de la capitale française.
3.
Livres et lecteurs dans l'Europe médiévale
a)
La transition du manuscrit à l'imprimé en France du Nord
et dans les anciens Pays-Bas
(X. Hermand)
Ce
projet s'inscrit dans la perspective d'une histoire globale et comparative
de la culture écrite, fondée sur l'étude de son expression
concrète et mesurable : ce que l'on peut appeler tissu culturel.
Dans un cadre chrono-géographique déterminé, celui-ci
est constitué d'éléments dénombrables, mesurables,
et donc comparables : hommes, textes, livres, lieux de production et de
conservation de ces textes et de ces livres. L'analyse de la structure
du tissu culturel à telle époque et dans telle région
offre donc les données nécessaires à une histoire
comparée de la culture écrite.
A
cet égard, le passage du manuscrit à l'imprimé, à
la charnière du Moyen Âge et des Temps Modernes, constitue
un champ d'enquête privilégié. Replacée dans
la longue durée de l'histoire du livre, l'invention de l'imprimerie
" on l'a souvent dit " constitue en effet une véritable révolution,
qui a profondément modifié tous les aspects du tissu culturel.
Cette invention n'a pas seulement permis de multiplier le nombre de livres
et de lecteurs, elle a surtout transformé les conditions de production
et de diffusion du livre. L'univers du manuscrit fonctionne en effet selon
des lois radicalement différentes de celui de l'imprimé :
le manuscrit est un objet artisanal, fabriqué sur commande, dont
la circulation est toujours locale ou régionale; l'imprimé
est un produit quasi industriel, vite devenu l'enjeu d'une concurrence
féroce, à l'échelle de l'Europe, entre des imprimeurs
contraints pour survivre d'élaborer de véritables politiques
éditoriales. Au-delà, cette révolution concerne tout
le réseau de production et de transmission de la culture même.
Ce
passage du manuscrit à l'imprimé sera étudié
dans une aire géographique correspondant à la France du Nord
et aux anciens Pays-Bas : il s'agit d'une zone intermédiaire, où
le thiois et le français voisinent et se rencontrent ; un
espace en plein essor au XVe siècle, où les ordres religieux
se réforment, où de nouvelles congrégations religieuses
essaiment, tandis qu'une culture laïque se déploie dans les
grandes villes flamandes et les cours princières.
Dans
un premier temps, on caractérisera le tissu culturel de cette aire
vers 1450 (juste avant l'invention de l'imprimerie), puis vers 1500 (lorsque
l'imprimé supplante définitivement le manuscrit), avant d'analyser
le processus de transition, selon trois axes de recherches :
"
l'impact de l'imprimé sur les hommes et les lieux de la culture
(déplacement des centres de production du livre, émergence
de nouveaux publics, renouvellement des bibliothèques, etc.) ;
"
l'impact de l'imprimé sur les contenus textuels : qu'imprime-t-on,
et que n'imprime-t-on pas ? que continue-t-on à copier, et pourquoi
? et dans quelle mesure le texte imprimé subit-il lui-même
l'influence des politiques éditoriales ?
"
l'impact de l'imprimé sur l'objet-livre et son statut : comment
et pourquoi l'incunable, au départ simple clone du manuscrit, s'en
est-il progressivement affranchi ? la révolution typographique engendra-t-elle
une banalisation du livre ?
Pour
chacun de ces aspects, il faudra reconstituer les différentes phases
du processus de transition, en caractériser la rapidité et
les moments-clés, s'interroger aussi sur les modalités de
cette transition : furent-elles partout identiques, pour tous les types
de textes et de livres et dans toutes les catégories sociales ?
Pour être pleinement féconde, cette analyse s'appuiera sur
les méthodes quantitatives, ce qui suppose la construction de bases
de données à partir des sources disponibles et la mise au
point d'instruments de mesure adéquats. Deux types de sources, principalement,
s'offrent à notre investigation : les livres et les inventaires
médiévaux de livres, pour lesquels il existe déjà
des instruments de travail exploitables immédiatement ou moyennant
adaptation ; d'autres instruments seront à forger, certains pouvant
l'être dans des délais raisonnables, grâce à
des collaborations. Pour
exploiter de manière optimale ces bases de données, il conviendra
de mettre au point des typologies rigoureuses d'une part, des indicateurs
statistiques fiables de l'autre. Les typologies à élaborer
(concernant les textes, les livres, les producteurs et les utilisateurs),
devront être conçues de manière large et souple, et
croisées entre elles : par exemple, les typologies des textes reliées
avec celles des livres et des éditions devraient permettre de proposer
une classification des imprimeurs et de leurs pratiques éditoriales.
Quant aux indicateurs statistiques, ils doivent être facilement mesurables
et suffisamment représentatifs de tous les aspects que l'on souhaite
étudier. Ils peuvent être relativement simples, mais bien
souvent, ils résulteront de la combinaison de plusieurs paramètres.
Dans bien des cas, en substance, les « instruments de mesure » devront
être conçus ad hoc, car dans ce domaine l'outillage
méthodologique est encore embryonnaire Ce
projet est vaste, mais en même temps réaliste et prometteur.
Réaliste, car ces dernières années, plusieurs travaux
ont paru, démontrant la fécondité de l'application
des méthodes quantitatives à l'histoire du livre et creusant
la réflexion méthodologique : ils constituent de solides
points de départ pour la recherche ici proposée. Prometteur,
parce que cette enquête s'appuie sur des moyens nouveaux pour l'étude
des acteurs de la culture écrite, des instruments dont ils disposaient
et de leurs créations : elle permettra de dresser la toile de fond
sur laquelle s'inscrira ensuite tout travail plus ponctuel, et pourra peut-être
faire apparaître des phénomènes jusqu'alors cachés
b)
« Impression vénitiennes » : une étude quantitative de la
production d'incunables à Venise (E.
Ornato)
A
partir de 1480, la ville de Venise peut se parer d'une primauté
incontestable dans la production et la diffusion des premiers livres imprimés.
Cette affirmation est vraie quelle que soit l'unité de compte adoptée
: nombre d'ateliers de presse, nombre d'éditions, tirage (estimé
d'après le nombre d'exemplaires survivants)[11].
Si l'activité des principaux typographes, tels que Nicolas Jenson
et Alde Manuce, est bien connue et a déjà fait l'objet de
travaux monographiques, l'analyse d'ensemble de la production vénitienne
d'incunables fait aujourd'hui encore cruellement défaut. Cette lacune
est aisément explicable, non seulement par le manque d'enthousiasme
pour ce type d'approche de la part des spécialistes, mais aussi
par l'absence d'un recensement exhaustif des éditions incunables
: en effet, le répertoire global par nom d'auteur " le Gesamtkatalog
der Wiegendrucke " commencé depuis plus de 50 ans, n'est arrivé
qu'à la lettre H.
La
récente parution du cd-rom de
l'iistc (International
Incunabula Short Title Catalogue), entreprise plus modeste dans ses
ambitions mais qui a le mérite d'être complète, met
à la disposition des chercheurs une petite quantité de renseignements
sur un nombre impressionnant d'éditions (27 000 dont plus de 3000
pour la seule ville de Venise). Bien qu'on doive regretter l'absence de
tout ce qui a trait aux caractéristiques matérielles des
volumes " absence qui constitue un handicap indéniable par rapport
au Gesamtkatalog ", cet instrument de travail rend de facto possible
l'étude systématique non seulement de la typographie vénitienne,
mais de toute la production européenne, notamment pour ce qui est
des politiques éditoriales.
Malheureusement,
le terme de facto doit être sérieusement nuancé,
car le cd-rom a
été conçu pour faciliter la recherche de l'information,
et non son traitement statistique. Il a donc fallu en extraire toutes les
informations concernant les éditions vénitiennes et leur
appliquer des procédures semi-automatiques afin d'obtenir une base
de données à champs de longueur fixe reconnaissable par des
logiciels tels qu'Excel ou Access. Parallèlement,
il a fallu organiser sous une forme explicite les informations contenues
implicitement dans la base : statut des textes imprimés (hapax
éditoriaux,
best-sellers
européens,
etc.), statut de l'édition (édition princeps, édition
porteuse de remaniements, simple réplique, etc.), le nombre et la
répartition territoriale des exemplaires survivants, la présence
d'exemplaires en parchemin. L'exploitation des données vénitiennes
peut maintenant commencer, et surtout ce travail préliminaire est
virtuellement porteur d'une retombée positive : les procédures
d'extraction à partir de l'iistc peuvent
désormais être appliquées à d'autres corpus
d'éditions (notamment pour la Belgique et les Pays-Bas ; cf. ci-dessus,
3.a).
c)
Les bibliothèques anglaises à la fin du Moyen Âge
(J.-Ph. Genet)
Le
projet, formulé par Jean-Philippe Genet en 1997, d'une étude
systématique des catalogues de bibliothèque et des inventaires
de livres, voire des mentions éparses dans d'autres sources, afin
d'établir de façon aussi précise que possible la liste
des textes disponibles dans les deux domaines de l'histoire et du politique
en Angleterre du XIVe au début du XVIe siècle, a connu un
début de réalisation. Des études de cas sur les bibliothèques
des rois et des princes d'une part, des membres du conseil royal de l'autre,
ont été menées (voi bibliographie). Trois bases de
données ont été constituées pour les bibliothèques
individuelles : RAINE a été effectuée à partir
du dépouillement systématique des Testamenta Eboracensia
et des North Country Wills (Durham), GENERAL à partir de
dépouillements variés et de mentions éparses et UNIVBOOK
à partir du répertoire biographique d'Alfred B. Emden. Ce
sont au total plus de 16.000 titres de "livres" dont le propriétaire
est connu qui ont ainsi été rassemblés. Ces bases
ont été utilisées pour deux communications au séminaire
mais de nombreux dépouillements sont encore nécessaires pour
que les données qu'elles contiennent puissent être considérées
comme statistiquement significatives.
Une
seconde orientation dans ce domaine est apparue avec l'étude, toujours
par Jean-Philippe Genet, des miscellanies anglais à la fin
du Moyen Âge. Depuis 1996, il a commencé à rassembler
des descriptions précises sur une classe de manuscrits, ceux que
les historiens anglais appellent souvent "miscellanies" ou, improprement
à son sens, commonplace books. Ces manuscrits qui contiennent
un très grand nombre de textes (parfois plusieurs centaines) de
contenu et de formes très variés ont parfois été
étudiés avec une très grande minutie dans le cas des
collections littéraires (manuscrits Thornton, Vernon, Findern ...),
il n'en est pas de même pour des manuscrits qui contiennent des textes
d'un genre qui a moins polarisé l'attention de nos contemporains
: textes de médecine, de droit, de dévotion etc. Ces manuscrits
sont notamment riches en mentions d'évènements historiques,
contenant aussi des listes, des chronologies et des documents politiques
de toutes sortes. Jean-Philippe Genet a l'intention de poursuivre ce travail
en profitant de ses passages dans les bibliothèques anglaises; il
lui a déjà fourni la matière d'une communication à
un séminaire.
d)
Pré-Réforme et pratiques culturelles : livres, bibliothèques
et archives dans les maisons religieuses de Belgique et de la France du
Nord (diocèses de Liège, de Cambrai et de Tournai) à
la fin du Moyen Âge
(X. Hermand)
i.
Les bibliothèques ecclésiastiques et leurs livres dans le
Namurois entre ca. 1350 et 1530 (X.
Hermand, thèse de Doctorat [Université catholique de Louvain,
à Louvain-la-Neuve, sous la direction de R. Noël et de G. Philippart]
; cf. Publications)
Cette
thèse de doctorat, soutenue en décembre 1998 et qui sera
bientôt publiée dans la «Bibliothèque de la Faculté
de philosophie et lettres» de l'Université de Louvain, s'inscrit
dans le cadre du renouveau des études consacrées au monde
monastique et canonial à la fin du Moyen Âge. A travers l'examen
des pratiques culturelles développées dans les maisons religieuses
d'une «province» de l'Occident, la thèse tend à démontrer
qu'au XVe siècle, les abbayes et les couvents relevant des ordres
religieux traditionnels sont restés des centres de culture particulièrement
vivaces. Pour vérifier cette hypothèse, on a choisi de mener
une enquête sur les maisons religieuses d'un espace géographique
restreint, en procédant à l'étude des techniques de
fabrication matérielle et de composition intellectuelle des manuscrits,
des modes d'acquisition, de gestion et d'entretien des livres, des politiques
d'enrichissement des bibliothèques, des usages et du rôle
des ouvrages y conservés.
L'originalité
de cette enquête repose sur trois caractéristiques : le choix
du cadre chronologique, celui du milieu étudié et de l'espace
géographique, celui enfin des sources d'information. Cette originalité
découle aussi de la méthode employée, qui associe
étroitement la démarche érudite la plus traditionnelle
(notamment dans l'expertise des manuscrits) et des préoccupations
plus directement inspirées par la «codicologie quantitative».
Le
cadre chronologique : la période
1350-1530, généralement négligée dans les synthèses
relatives à l'histoire des bibliothèques monastiques, car
considérée comme une période de relative stagnation,
voire de déclin. Or, bon nombre de maisons religieuses ont été
réformées à cette époque ; inévitablement,
ces réformes ont dynamisé l'ensemble des pratiques culturelles.
Le
champ d'investigation : le Namurois,
un arrière-pays où s'étaient établies une quarantaine
de communautés religieuses de modeste importance. Dès l'abord
en effet, deux objectifs avaient été retenus : primo,
examiner non pas un seul établissement ecclésiastique, mais
un ensemble de maisons ; secundo, étudier non pas des centres
intellectuels de premier plan, déjà relativement bien connus
par ailleurs, mais une «province» intellectuelle, une région périphérique,
sans doute plus représentative de la réalité médiévale
la plus courante que les grands établissements monastiques.
Le
recours à l'ensemble de la documentation disponible
: non seulement les livres (manuscrits et imprimés) et leurs inventaires,
mais aussi l'ensemble des sources susceptibles de nous renseigner sur les
collections de livres et leurs usages (pièces comptables, testaments,
documents nécrologiques, actes capitulaires, textes normatifs, etc.).
Les
quelque 130 manuscrits (210 unités codicologiques) écrits
ou conservés en Namurois aux derniers siècles du Moyen Âge
et qui nous sont parvenus constituent l'ossature de cette documentation.
Ils ont fait l'objet d'une expertise détaillée, envisageant
tant leurs caractéristiques matérielles que leur contenu
ou leur histoire. Les informations collectées ont été
rassemblées dans un catalogue où chaque manuscrit bénéficie
d'une notice critique détaillée. Menée de manière
systématique sur un corpus suffisamment vaste, cette expertise a
permis de rapprocher certains codices et d'attribuer à des
scribes ou à des ateliers d'écriture des manuscrits dont
l'histoire restait jusqu'alors mystérieuse ; elle a également
fourni le matériel documentaire indispensable aux études
sérielles portant sur les supports, la structure des cahiers, les
types d'écriture ou les oeuvres contenues dans les codices.
Puisque
ces livres constituent le principal support documentaire de l'enquête,
il fallait résoudre une question critique fondamentale, celle de
leur représentativité par rapport à l'ensemble de
ceux qui furent utilisés en Namurois au Moyen Âge. On a donc
procédé à l'examen des vicissitudes des bibliothèques
de la région, en étudiant les facteurs susceptibles d'avoir
provoqué des destructions de livres. L'enquête a d'abord confirmé
l'importance des pertes qui ont frappé le patrimoine livresque.
Elle a également mis en évidence deux périodes critiques
dans ce processus de déperdition : le début du XVIe siècle,
qui voit le triomphe de l'imprimé ; la fin du XVIIIe siècle,
caractérisée par les sécularisations révolutionnaires.
Elle a enfin montré que ces destructions n'ont pas touché
de la même manière tous les manuscrits : les biais affectant
la représentativité des manuscrits sont liés à
leur âge, à leur appartenance au circuit de la propriété
publique ou privée et à la typologie des textes.
On
s'est ensuite intéressé aux livres en tant qu'objets matériels
et produits d'un travail intellectuel : les caractéristiques matérielles
des codices " support, dimensions, types d'écriture " ont
donc été soumises à examen; de même les techniques
de composition intellectuelle des manuscrits, à savoir l'ensemble
des pratiques d'écriture et de récriture qu'ils révèlent,
depuis la transcription proprement dite des textes jusqu'à la production
d'écrits originaux en passant par la mise en forme graphique des
oeuvres, leur rubrication, la confection d'instruments d'aide à
la lecture et à la consultation. Des
livres, on est passé aux bibliothèques, en présentant
les divers modes d'acquisition des volumes, puis en étudiant la
manière dont ceux-ci étaient rangés, classés,
entretenus, avant de terminer par un panorama de l'organisation interne
et du fonctionnement des bibliothèques. L'originalité de
la recherche consignée ici ne réside pas d'abord dans les
thèmes développés (toute synthèse consacrée
à l'histoire des bibliothèques les aborde peu ou prou), mais
dans la volonté de se limiter aux informations fournies directement
par les sources namuroises, en palliant le moins possible leurs faiblesses
par le recours à des travaux généraux. Cette exploitation
systématique a mis en évidence le dynamisme des ateliers
d'écriture locaux, de même que l'importance de la circulation
des livres entre les monastères ; liés aux réformes,
ces phénomènes méritent d'être signalés
car ils contrastent avec les schémas habituels relatifs à
la production de manuscrits monastiques à la fin du Moyen Âge. Dans
une dernière partie enfin, les différentes formes de lecture
pratiquées dans les établissements religieux ont été
caractérisées : le service divin s'articulait autour de prières,
de chants et de lectures; on lisait aussi à haute voix au réfectoire
et à la salle capitulaire ; on s'adonnait enfin à la lecture
en privé, que cette lecture prenne la forme d'une méditation
ou qu'elle se limite à une consultation. En guise de bilan, un chapitre
final a tenté de définir les caractères de la culture
déployée dans les abbayes, les couvents et les chapitres
du Namurois. Elle est liturgique, latine et plutôt tournée
vers le passé, cette triple caractéristique s'expliquant
sans doute par le caractère traditionnel des mouvements réformateurs
actifs dans cet espace. Pour
les prolongements de cette recherche, cf. ci-dessus, 2.a et
3.d.
ii.
Les réseaux monastiques et la circulation des livres (X.
Hermand)
A
beaucoup de points de vue, le XVe siècle peut être considéré
comme un siècle de réformes : à cette époque,
un peu partout en Occident, les ordres religieux traditionnels ont été
renouvelés par des mouvements réformateurs s'efforçant
de retrouver la ferveur primitive qui avait assuré la grandeur de
ces institutions. Si les thèmes développés par les
réformateurs et les textes sur lesquels ils s'appuyaient sont relativement
bien connus, les réseaux qu'ils ont constitués afin d'assurer
le succès de leurs entreprises demeurent en revanche dans la pénombre.
Or, les tenants de la réforme, à quelque ordre qu'ils appartiennent,
ont noué des liens entre eux et, dans nombre de cas, uni leurs efforts
afin d'assurer le succès de leurs initiatives; ces contacts multiformes
ont débouché sur la constitution de réseaux, parfois
informels, dans lesquels circulaient hommes, textes et manuscrits.
On
se propose d'étudier cette problématique à partir
d'un espace géographique restreint, correspondant au Namurois bas-médiéval,
abordé dans notre thèse de doctorat. On avait alors défini
les contours de cette région au moyen de critères « sociologiques
» (une zone rurale, à l'écart des grands centres de culture
de l'Occident) ; l'objectif serait maintenant d'identifier les réseaux
culturels et spirituels parcourant les anciens diocèses de Liège,
de Cambrai et de Tournai, dans lesquels s'inséraient les maisons
religieuses namuroises. Ce projet se situe donc dans la perspective d'une
géographie de la culture ambitionnant, à terme, de procéder
à la cartographie d'une aire culturelle. Pour ce faire, il convient
d'exploiter l'ensemble des sources susceptibles de nous aider à
identifier ces réseaux : essentiellement les manuscrits, mais aussi
les chroniques, les testaments, les comptes, etc.
Trois
études à paraître permettent déjà d'entrevoir
la fécondité de cette démarche. La première
part de l'expertise des manuscrits de la bibliothèque de l'abbaye
cistercienne du Jardinet pour mettre au jour les liens qui unissait cette
communauté monastique à un cercle de chanoines séculiers
des diocèses de Cambrai et de Tournai. Une deuxième enquête
montre comment l'abbaye du Jardinet, au lendemain de sa réforme
(1441), constitua sa bibliothèque en recourant aux services d'autres
maisons de l'ordre (Moulins et Aulne) (cf. Colloques, Mons, août
2000). A partir de l'examen des textes contenus dans un manuscrit provenant
de l'abbaye de Saint-Trond (Limbourg), un dernier article insiste sur l'influence,
indirecte mais réelle, des moines du Jardinet et de ceux de l'abbaye
bénédictine de Florennes dans la réforme de la communauté
limbourgeoise au début du XVIe siècle.
e)
Les bibliothèques ecclésiastiques en Scandinavie (E.
Mornet)
Étudier
la formation intellectuelle et la culture d'un groupe social, en l'occurrence
le haut clergé scandinave à la fin du Moyen Âge, suppose
nécessairement d'aborder les objets culturels dont ils disposaient,
notamment les livres. Actuellement, dans les bibliothèques scandinaves,
est conservé un très petit nombre seulement de manuscrits
ou de livres imprimés dont on connaît les détenteurs,
du début du XIVe siècle aux premières décennies
du XVIe siècle, si bien que l'étude de l'objet-livre est
quasi impossible à envisager. Cependant, il est possible de reconstituer
certaines bibliothèques, ou du moins une partie de leur contenu,
grâce à des sources substitutives : les inventaires, malheureusement
en nombre infime, et surtout les testaments. Bien que son maniement pose
de délicats problèmes méthodologiques, ce corpus permet
de dégager les grandes tendances de la culture livresque des clercs
scandinaves.
Un
projet d'informatisation de l'ensemble des données danoises, suédoises
et norvégiennes contenues dans les testaments de 1300 à la
Réformation est actuellement en cours. Cette base doit permettre
de procéder dans un second temps à une étude globale,
dans une perspective évolutive et comparatiste, des bibliothèques
ecclésiastiques afin d'établir les corrélations "
et éventuellement les distorsions " entre leur contenu et la formation
intellectuelle de leurs détenteurs.
Ce
corpus a déjà donné lieu à des publications
antérieures à 1996 et, en 1999, à une réflexion,
encore inédite, Livres et culture à la fin du Moyen Âge
: la bibliothèque du chanoine de Lund Bennike Henriksen d'après
son testament (1358), qui a été présentée
d'abord dans le cadre du Séminaire de prosopographie (animé
par H. Millet et E. Mornet), puis dans celui de la question au programme
de l'Agrégation et du capes
1998-2000.
f)
La diffusion des manuscrits avec commentaire dans quelques aires européennes
(C. Bozzolo ; cf. Publications)
Dans
le cadre du colloque international sur Le Commentaire entre tradition
et innovation (cf. Colloques, Paris-Villejuif, septembre 1999),
organisé par l'Institut des Traditions textuelles de Villejuif dont
l'umr 8589 fait partie,
ont été apportées quelques informations d'ordre quantitatif
sur la diffusion des textes commentés au XVe siècle. Cette
recherche ponctuelle s'inscrit dans un panorama plus général,
établi grâce à des études antérieures
sur la production manuscrite de l'aire française et de l'aire rhénane[12]
; elle s'est donc appuyée sur deux bases de données distinctes
concernant ces deux régions, constituées de manuscrits (ou
mieux, d'unités codicologiques) datés. Aux champs déjà
existants (données chrono-géographiques et textuelles, éléments
codicologiques et dimensionnels) il a suffi d'en ajouter deux autres, consacrés
respectivement à la présence simultanée d'un texte
et de son commentaire et à la typologie sommaire de ce dernier.
Le
pourcentage d'ouvrages commentés au sein des deux populations de
manuscrits est pratiquement le même. Sur les 972 unités codicologiques
du fichier rhénan, 207 comportent des commentaires, qui représentent
donc 21% du corpus. Au sein du fichier français (1444 unités),
on dénombre 238 manuscrits commentés, c'est-à-dire
20% du corpus.
Par
ailleurs, l'examen en parallèle des courbes de production dans les
deux aires prises en considération fait ressortir des phénomènes
intéressants qui auraient pu échapper à toute analyse
non systématique et non comparée. Ainsi, au sein de l'aire
rhénane, on n'observe pas de sommet correspondant à la période
du concile de Constance (1414-1418) : on doit donc en déduire que
les lettrés qui participaient à cette assemblée conciliaire
" pourtant extrêmement « gourmands » pour tout ce qui avait trait
à la copie des manuscrits " ne s'intéressaient pas particulièrement
à la transcription des textes commentés. La situation est
différente, en revanche, pour la période qui correspond au
concile de Bâle, déjà caractérisée par
une ascension spectaculaire de la production au niveau général
; il nous reste, en effet, une bonne douzaine de manuscrits datés
d'ouvrages commentés dont le colophon fait explicitement allusion
au concile. Il ne semble pas toutefois, contrairement à ce qui se
passait à Constance pour les textes classiques, que ces manuscrits
aient été écrits pour des lettrés connus.
Quant
à la comparaison entre les deux aires géographiques, on observe
que, en Rhénanie, le nombre de manuscrits de textes commentés
suit à peu près l'évolution de la courbe générale,
les copies étant assez uniformément réparties entre
les villes principales de la région (Cologne, Heidelberg, etc.).
En France, au contraire, un seul centre, comme toujours, se détache
nettement : Paris. Cette concentration est encore plus accentuée
pour les textes commentés que pour la production en général
: la part de la production parisienne de ce type de manuscrit représente
56%, contre 30% environ pour les textes dépourvus de commentaires.
La spécificité de la production universitaire explique sans
doute ce décalage.
4.
Bibliothèques parisiennes
a)
Le catalogue de la bibliothèque de Saint-Victor
(G. Ouy ; cf. Publications)
Le
catalogue qui vient de paraître est l'aboutissement d'une recherche
entreprise il y a quarante-cinq ans. Dans la mesure où il rend accessible
des milliers de textes qui n'étaient signalés jusqu'ici dans
aucun répertoire, ce catalogue sera un instrument de travail extrêmement
utile. Mais il faut également espérer que l'on saura tirer
les leçons méthodologiques de cette expérience. Le
manuscrit isolé de son contexte historique « parle » rarement ;
il ne délivre son message que si on réussit à le remettre
en contact avec d'autres codices dont il partage l'origine ou la
provenance. En travaillant de la même façon sur bien d'autres
fonds, on ne traiterait plus les manuscrits comme des entités isolées,
mais comme des éléments d'ensembles ou de sous-ensembles
: le cas des soixante-quinze manuscrits de Simon de Plumetot identifiés
àSaint-Victor n'est certainement
pas une exception[13].
Le
travail n'est toutefois pas vraiment terminé. Il reste encore à
décrire plus de deux cents manuscrits absents du catalogue de Claude
de Grandrue, lequel ne concerne que les livres qui étaient enchaînés
dans la salle de lecture au début du XVIe siècle : ceux de
la bibliothèque du cheur " essentiellement les manuscrits liturgiques
" ou de la parva libraria, réservée aux seuls membres
de la communauté, n'y figurent pas. Un volume de supplément
était prévu, mais il n'a pas été mis en chantier
à cause des divers obstacles auxquels s'est trop longtemps heurtée
la publication de l'ouvrage. Il n'est pas sûr que ce volume puisse
voir le jour dans un délai raisonnable ; aussi peut-on envisager
de publier les descriptions de quelques manuscrits particulièrement
intéressants dans une revue spécialisée.
b)
La bibliothèque médiévale du Louvre (Y.
Potin ; cf. Publications)
La
fondation, par Louis IX, d'une librairie, au ceur du dispositif de thésaurisation
royale que représente la Sainte-Chapelle de Paris, peut être
appréhendée comme la première trace documentaire du
manuscrit au sein du trésor du prince. Par la suite, les livres
ne cessent de s'immiscer et d'irriguer les inventaires des différentes
collections royales. Le processus culmine avec l'installation au Louvre
en 1364 d'un trésor presque exclusivement consacré aux manuscrits
: la célèbre bibliothèque de Charles V.
Ce
« monument » occupe une place de choix dans l'histoire du livre médiéval
profane. Il est généralement assimilé au surgissement
brutal mais heureux d'une conscience patrimoniale du Livre au sein de l'État
monarchique. Cependant, le fonds du Louvre s'insère toujours dans
une logique spécifique " celle du trésor " gouvernée
par le don et la circulation de la valeur sociale et culturelle.
Une
première étude " qui a fait l'objet d'un mémoire de
maîtrise sous la direction de Claude Gauvard " a tenté d'analyser
la structuration et l'enrichissement de cette collection sous les règnes
de Charles V et Charles VI. De nombreuses pistes restent à exploiter,
notamment la généalogie des manuscrits royaux depuis le XIIIe
siècle et l'identification des fonds royaux antérieurs parmi
la collection du Louvre. L'étude des dons de livres " tant pour
le roi que par le roi " doit également être poursuivie.
Si
la librairie du Louvre s'affirme comme un trésor spécialisé
pour les livres, elle n'élimine pas pour autant la présence
continue et diffuse d'autres manuscrits dans les nombreuses collections
royales. Le trésor des reliques de la Sainte-Chapelle, les trésors
de joyaux disséminés dans les résidences du roi, ainsi
que le Trésor des Chartes, en sont les principaux hôtes. Une
telle omniprésence ne semble pas devoir se réduire à
une dimension économique. C'est en tant que support transcendant
de la mémoire " aussi bien liturgique qu'historique, politique ou
littéraire " que le livre participe à la dynamique du trésor.
Reliques, pierres précieuses (en tant que reliques du paradis terrestre),
archives et manuscrits partagent une même fonction mémorielle
au sein des trésors. Il s'agit désormais de comprendre les
fondements idéologiques d'une telle convergence et d'en saisir les
usages politiques et sociaux au travers des dons et du système de
circulation dont ils sont l'objet.
Le
travail sur les éditions des inventaires de la librairie du Louvre
invite enfin à ouvrir un champ de recherches historiographiques
en parallèle. Les méthodes et les choix qui président,
au cours du XIXe siècle, à l'élaboration du savoir
documentaire sur l'histoire du livre, constituent un objet d'étude
à part entière mais complémentaire de la démarche
historique proprement dite. Les travaux de Léopold Delisle sur le
livre et les bibliothèques médiévales constituent
pour ce faire un observatoire stratégique.
5.
Manuscrits et bibliothèques d'auteur
a)
Catalogue des manuscrits autographes et originaux de Christine de Pizan (G.
Ouy ; partenariat : J. Laidlaw, C. Reno)
Depuis
bien des années a été mis en chantier un catalogue
des manuscrits autographes ou originaux de Christine de Pizan (G. Ouy et
C. Reno ; c'est surtout sur Mme Reno que repose le poids principal de cette
initiative) à laquelle James Laidlaw, éminent spécialiste
de la tradition manuscrite des euvres de Christine, s'est offert de collaborer.
Il va de soi que l'entreprise aurait tout à gagner de cette nouvelle
collaboration, à condition toutefois que tout le monde soit d'accord
sur l'essentiel.
Cet
idéal, pour l'instant, n'est pas encore atteint. Au récent
colloque de Glasgow (cf. Colloques, juillet 2000), M. Laidlaw a
exprimé des doutes quant au caractère autographe des nombreux
manuscrits d'euvres de Christine de Pizan identifiés comme tels
il y a une vingtaine d'années[14].
Les doutes ne portent pas sur la main appelée X' " une petite
cursive hâtive assez difficilement lisible et présentant diverses
caractéristiques remarquables, qui intervient pratiquement dans
tous les manuscrits exécutés dans le scriptorium de Christine,
pour apporter des additions ou des corrections, faire des préparations
de rubriques, des réclames " mais bien sur la main X : une
élégante cursive livresque assez proche de la cursive de
chancellerie qui écrit le corps même du texte.
A
ces doutes " au demeurant compréhensibles dans le domaine de l'expertise,
même lorsqu'ils ne peuvent se prévaloir de faits précis
qui contredisent l'hypothèse de l'autographie ", il a été
convenu d'apporter une réponse qui paraîtra elle aussi dans
les Actes du colloque de Glasgow. Cette réponse s'appuiera sur les
divers cas, déjà signalés précédemment,
où, sous l'effet de la hâte, X se transforme progressivement
en X' ; elle apportera par ailleurs de nouveaux exemples de formes
intermédiaires et montrera, enfin, comment, par inadvertance, Christine
emploie parfois l'écriture calligraphique pour porter dans les marges
des corrections ou des notes qu'elle aurait normalement dû écrire
en cursive hâtive.
b)
Les manuscrits de Charles d'Orléans et de Jean d'Angoulême (G.
Ouy)
La
bibliothèque de Charles d'Orléans et de Jean d'Angoulême
a fait l'objet il y a quelques dizaines d'années d'une recherche
menée dans les dépôts mêmes du Cabinet des manuscrits
de ce qui était alors la Bibliothèque nationale. Comme les
deux fils de Louis d'Orléans avaient été respectivement
père de Louis XII et grand-père de François Ier, la
majeure partie de leurs livres avait dû normalement aboutir à
la librairie royale. Aussi n'est-il pas surprenant que cette recherche
se soit révélée fructueuse, ayant abouti à
l'identification d'une cinquantaine de volumes qui avaient échappé
aux recherches de Gustave Dupont-Ferrier et de Pierre Champion. Sans doute,
d'ailleurs, en reste-t-il encore bon nombre d'autres à retrouver.
Cette
recherche avait notamment permis d'identifier un long poème latin
composé par Charles d'Orléans pendant sa captivité
en Angleterre, ainsi que deux euvres perdues de Gerson que le frère
de celui-ci, le moine célestin Jean, avait réussi à
faire parvenir depuis son couvent de Lyon aux princes captifs. Malheureusement,
à l'exception de ces dernières trouvailles, tout le matériel
de base servant à la reconstitution de la bibliothèque est
demeuré inédit.
Le
dossier « frères d'Orléans » depuis longtemps délaissé
a été ressorti du placard il y a quelques années grâce
à l'influence de Madame Mary-Jo Arn, auteur d'une excellente édition
des poèmes anglais de Charles d'Orléans. Ce renouveau d'intérêt
a donné lieu à une participation à l'ouvrage collectif
Charles
d'Orléans in England publié en 2000 sous sa direction
(G. Ouy ; cf. Axe IV), et cette participation a offert l'occasion
de remettre au net de nombreuses notes concernant les manuscrits des deux
princes.
Cependant,
il reste encore beaucoup de travail à faire pour qu'un ouvrage monographique
devienne publiable. Il sera difficile, notamment, d'en venir à bout
à défaut d'un collaborateur qui soit réellement motivé
pour prendre concrètement en charge une partie de la tâche.
c)
Jean Lebègue (1368-1457), auteur, copiste et bibliophile (G.
Ouy ; cf. Colloques, Weingarten, septembre 2000)
Figure
encore très insuffisamment connue, Jean Lebègue est représentatif
de la première génération des humanistes français
qui se passionnait pour l'histoire. Il y a une quarantaine d'années,
au moment où paraissait un premier article consacré à
ce personnage[15],
seuls dix-huit manuscrits lui ayant appartenu étaient connus. Aujourd'hui,
le bilan dressé à l'occasion d'un colloque tenu récemment
à Liverpool a permis d'en dénombrer trente-sept ; à
ces manuscrits, on doit ajouter une dizaine de volumes qui le concernent
directement, soit qu'il en ait dirigé l'exécution, soit qu'il
les ait annotés, comme dans le cas des deux manuscrits autographes
du corpus épistolaire de l'humaniste Jean de Montreuil (BNF lat.
13062 et Vat. Reg. lat. 332). La communication dont le texte paraîtra
dans les Actes contiendra en appendice les descriptions de quarante-sept
manuscrits.
ANNEXE I : ACTIVITE
DE FORMATION[16] 1.
Osservare
per rifare il libro medievale (C. Bozzolo). Depuis
sa fondation en en 1992, La Scuola Europea di Conservazione e Restauro
del Libro di Spoleto a choisi d'associer à la pratique manuelle
de la restauration une formation théorique portant sur l'histoire,
la philologie et l'étude du livre. Dans ce cadre, Carla Bozzolo
assure 40 heures d'initiation à la codicologie. Il s'agit d'un cours
magistral accompagné de séances pratiques dans les bibliothèques
avoisinantes qui aura désormais lieu chaque année. Cet
engagement a été
l'occasion d'une réflexion sur l'enseignement de la codicologie
et sur sa réception, notamment sur le lien étroit et incontournable
qui existe entre la recherche " individuelle et collective " et la formation
pédagogique.[17] 2.
Cours
de codicologie en télé-enseignement (M. Maniaci) Ce
cours fait partie d'un diplôme d'« opérateur pour la
conservation du patrimoine », organisé en Italie par le Consorzio
interuniversitario « Nettuno ». Chaque séance, disponible
sous la forme de vidéocassette, est également transmise par
satellite par la RAI (télévision d'Etat). Il s'agit de 40
séances de 45 minutes dont 19 ont été assurées
par M. Maniaci. Chaque séance est constituée d'un cours magistral
accompagné d'une présentation Powerpoint (images, dessins,
tableaux, graphiques, synthèses des points principaux de l'exposé).
Toutes les présentations ont été élaborées
par M. Maniaci. Le sujet du cours est la connaissance du livre manuscrits
depuis l'Antiquité jusqu'à l'introduction de l'imprimerie
; bien qu'axé principalement sur le monde occidental et byzantin,
le cours ne néglige pas une approche comparative avec d'autres aires
graphiques et culturelles. L'objectif est de donner des connaissances sur
les matériaux constitutifs et les techniques de fabrication du manuscrit
; des éléments destinés à faciliter l'observation,
l'usage des instruments de travail disponibles, l'évaluation de
l'état de conservation des livres ; la terminologie nécessaire
pour décrire concrètement les résultats de l'observation. 3.
Master
européen en conservation et gestion du patrimoine (M. Maniaci) Ce
master, organisé par un réseau d'universités italiennes,
françaises et espagnoles, est coordonné par l'Université
de Cassino. Il s'agit d'un programe d'études intégré
de quatre semestres qui aboutit à un diplôme délivré
en commun par toutes les institutions participantes. Son but est de former
des spécialistes dans la conservation, la gestion et la mise en
valeur du patrimoine culturel (d'une part archéologique et artistique,
de l'autre archivistique et livresque) depuis l'Antiquité jusqu'à
la Renaissance, en créant ainsi un nouveau profil professionnel
très demandé, à l'heure actuelle, sur le marché
du travail. Le master comporte à la fois des cours magistraux et
des séances de séminaire, et prévoit obligatoirement
un stage pratique dans un musée, bibliothèque ou chantier
de fouilles. Le programme a pris son départ en novembre 2000 auprès
des universités de Cassino, Sienne, Caen et Salamanque. M. Maniaciassure
un cours sur « informatique et bibliothèques », ainsi
que le secrétariat scientifique pour l'Université de Cassino. 4.
Cours
de codicologie organisé par la Fédération internationale
d'études médiévales (FIDEM) (M. Maniaci) Il
s'agit d'un cycle de 30 heures d'introduction à la codicologie,
à l'usage d'un groupe de doctorants issus de divers pays européens
et de divers horizons scientifiques qui jouissent d'une bourse annuelle
de la FIDEM. Les séances, qui ont lieu à Rome, se proposent
d'illustrer les principales orientations méthodologiques et thématique
de la codicologie, avec une attention toute particulière pour ce
qui a trait à la description des manuscrits. Des séances
pratiques ont eu lieu à la Bibliothèque Angelica. [1]Le
commentaire entre tradition et innovation.
Actes du Colloque international (Paris, 22-25 septembre 1999), M.
O. Goulet-Cazé, éd., Paris, 2000
[2]
P. Busonero - C. Federici - P. F. Munafò - E. Ornato - M. S. Storace,
L'utilisation
du papier dans le livre italien à la fin du Moyen Age in Ancient
and Medieval Book Materials and Techniques, (Erice, september 1992),
M. Maniaci - P. F. Munafò eds, Città del Vaticano 1993, 2
vol., I, pp. 395-450
[3]
Cf. aussi Nolite verberare facientem verba rara: I. E. Ornato,
N'ayons
pas peur des mots... II. E. Ornato - P. F. Munafò - M. S. Storace,
Proposte
terminologiche per lo studio della carta nel Medio Evo, «
Gazette du Livre Médiéval », 27 (1995), pp. 1-12
[4]
L. Gilissen, Prolégomènes à la codicologie. Recherches
sur la constitution des cahiers et la mise en page des manuscrits médiévaux,
Gand, 1977
[5]
Cf. F. M. Bischoff, M.-Maniaci, Pergamentgrösse-Handschriftenformate-Lagen-konstruktion,
« Scrittura e civiltà », 19 (1995), p. 277-319
[6]
Cf. Busonero P., L'utilizzazione sistematica dei cataloghi nelle ricerche
codicologiche: uno studio sulla fascicolazione nel basso Medio Evo,
«Gazette du livre médiéval», 27 (1995), p. 13-18
[7]
Cf. C. Bozzolo, E. Ornato, Pour une histoire du livre manuscrit au Moyen
Âge. Trois essais de codicologie quantitative, Paris, 1983².
[8]
Cf. L. Devoti, Aspetti della produzione del libro a Bologna : il prezzo
di copia del manoscritto giuridico tra XIII e XIV secolo, « Scrittura
e civiltà », 18 (1994), p. 77-142.
[9]
Cf. J.- H. Sautel, Essai de terminologie de la mise en page des manuscrits
à commentaire, « Gazette du livre médiéval
», 35 (1999), p. 17-31.
[10]
Zamponi S., La scrittura del libro nel Duecento, in Civiltà
comunale: Libro, Scrittura, Documento. Atti del Convegno (Genova, 8-11
novembre 1988), Genova, 1989, p. 317-354.
[11]
Pour sa vérification en ce qui concerne le livre juridique, cf.
D. Coq - E. Ornato, La production et le marché des incunables.
Le cas des livres juridiques, in Le livre dans l'Europe de la Renaissance
(Actes
du XXVIIIe Colloque international d'études humanistes, Tours, juillet
1985). Paris, 1988, p. 305-322
[12]
C. Bozzolo, La production manuscrite dans les pays rhénans au
XVe siècle (à
partir des manuscrits datés),«
Scrittura e civiltà », 18 (1994), p. 183-242.
[13]
G. Ouy, Simon de Plumetot (1371-1443) et sa bibliopthèque,
in Miscellanea F. Masai dicata, Gand, 1979, 2 vol., II, p. 353-381.
[14]
G. Ouy, C. Reno, Identification des autographes de Christine de Pizan, «
Scriptorium », 34 (1980), p. 221-238.
[15]
G. Ouy, Le songe et les ambitions d'un jeune humaniste parisien vers
1395, in Miscellanea di Studi e ricerche sul Quattrocento francese,
Turin, 1967, p. 355-407.
[17]
Cf. C. Bozzolo, Osservare per rifare il libro medievale, in Fondazione
per la conservazione e il restauro dei beni librari " Spoleto. Contributi
e testimonianze, éd. par M. C. Misiti, Spoleto, 2000, p. 29-30.
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