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Nouvelle version en construction (1er dec. 2003) - l'ancien texte est disponible

Présentation générale
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Didier Lett
Genre et comportement
Jacques Paviot
Les cours
DenisePéricard-Méa
Les cultures de pèlerinages

Claude Gauvard et Yann Potin
Le Don
Claude Gauvard et Nicolas Offenstadt
L'information
Claude Gauvard et Robert Jacob
La justice
Jean-Patrice Boudet Magie,divination, poison Nicolas Offenstadt Les rituels

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LAMOP..Annuaire...Séminaires...Colloques...Bibliographie...Créations...Actualités...

 

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.Comportement et lien social 

Claude Gauvard


Vue partielle du manuscrit de la BN NAF 4811 fol.13v° reproduit à partir de l'édition de de l'ouvrage de Claude Gauvard, "De grace especial" Crime, état et société en France...Paris, Publ.  de la Sorbonne, 1991

Collaborations 
De nombreuses collaborations ont permis le rayonnement des recherches de l'axe sous des formes diverses : Les invitations au séminaire de professeurs étrangers et de chercheurs d'autres universités. ces collaborations ont pu avoir des prolongements sous la forme de publications d'articles parus en particulier dans la Revue historique ou d'aide à l'édition et à la traduction d'auteur étrangers comme David Niunberg ; organisation ou participation à des colloques : le colloque international : Le Petit peuple ou encore celui sur La justice en l'an mil, organisé par l'Association pour l'histoire de la justice qui a assuré le lien entre chercheurs et praticiens de la justice.
Les relations avec les institutions françaises à l'étranger
sont très régulières avec l'École Française de Rome et la casa Velasquez (dont quatre chercheurs de l'axe sont membres) et la Mission française en allemagne (envois réguliers de boursiers et participation à l'École doctorale d'été).
Les implications dans les revues scientifiques et les oeuvres de vulgarisation.
Les liens avec l'Institut universitaire de France 
Mme Gauvard, membre senior (1997) et participation aux activités de l'institut, en particulier à la Revue Le Temps des savoirs, paris : Odile Jacob
Autres membres
V. Beaulande
C. Bellanger
P. Boucheron
O. Canteaut
H. Carrier
M.  Charageat
F.Collard
J. Demade
T. Dutour
K.Fianu
F.Foronda
E. Gonzalez
S. Hamel
A. Lacour
O. Mattéoni
J.Mayade-Claustre
F. Minciaroni
J. Morsel
C.Piel
C. Pons
B. Sère
V.Toureille

PRÉSENTATION GÉNÉRALE

Ce thème regroupe les études sur les formes de comportements individuels et collectifs tels qu'ils peuvent être analysés par les historiens, essentiellement pour la fin du Moyen Âge (XIIIe-XVe siècles). On entend par comportements les attitudes qui insèrent l'individu dans la société, l'obligent à définir des normes, et par liens sociaux ce qui permet aux individus et aux groupes sociaux de tenir ensemble. La recherche s'inspire à la fois de l'approche anthropologique et juridique pour étudier les formes d'échanges (parenté, reproduction, alliances) ou de rejet (marginalité). Elle débouche sur une double réflexion, politique et sociale. Du point de vue politique, les comportements sont analysés par rapport à la sujétion, en particulier dans le royaume de France qui est le champ privilégié de la recherche, sans être exclusif (études sur l'Angleterre, l'Empire, la Castille et le royaume d'Aragon). Le but est de s'interroger sur les formes du consensus qui caractérisent la société de la fin du Moyen Âge, en particulier sur la notion d'unanimité réelle ou fictive qui est employée par la royauté, en sachant que cette société comporte des déséquilibres, des instabilités, voire des désordres. Mais, et c'est là l'un des acquis de la recherche qui est menée depuis quelques années, loin de s'opposer, équilibres et déséquilibres coexistent et se confortent. Du point de vue social, les comportements sont analysés par rapport à la discipline des meurs dont les mots d'ordre sont développés par l'État comme par l'Église, mais aussi par les villes. Dans la société de la fin du Moyen Âge qui reste fondée sur une opposition entre les nobles et les non-nobles, les groupes sociaux montrent des attitudes différentes face à l'idéal de paix. Il est mieux assimilé par les non-nobles que par les nobles qui sont attachés aux pratiques des guerres privées et de la vengeance et qui tendent même à faire de ces pratiques l'une des caractéristiques des privilèges nobiliaires. Les modèles de 
« civilisation des meurs » tels qu'ils ont été mis en avant par N. Elias ou par M. Weber doivent donc être critiqués. Les non-nobles ont, incontestablement, répondu de façon favorable au pouvoir et ils ont peu à peu intériorisé les normes qu'ils ont appelées « naturelles « et pris en main leur propre discipline des meurs.
Comment se produisent ces transformations ? Le pouvoir a-t-il imposé ses normes d'en haut ? Qui définit les normes ? Une étude fine des rapports entre le discours théorique et la pratique est indispensable pour comprendre la mise en place de la civilisation des meurs car il faut distinguer entre un discours des pouvoirs apparemment très coercitif et une réalité très souple. C'est-à-dire la loi et l'application de la loi, la coutume ou le droit et son application, la justice et les négociations de paix. Ces questions débouchent tout naturellement sur une étude de la vulgarisation des ordres, sur l'information politique, et sur l'existence des rumeurs et des stéréotypes. Le lien social est alors saisi dans sa constitution capillaire.
Le cadre collectif de cette recherche est le séminaire que Claude Gauvard dirige à l'Université de Paris-I depuis plusieurs années sur le thème « Le lien social à la fin du Moyen Âge», le mardi de 17h à 19h, par quinzaine .

DEPUIS 1994 : HISTORIQUE

Les recherches collectives ont été orientées vers les rapports entre rites et justice. Les travaux des différents membres, qui utilisent aussi bien les sources écrites que les images, ont surtout porté sur les rapports entre le droit et la société (coutumiers, contrats, jugements, expression de la peine), les gestes et les codes (application de la peine, rituels diplomatiques, comportements dans les hôtels princiers), l'affectivité et les émotions (dans le domaine judiciaire, les négociations de paix, la société de cour, la famille et la vie religieuse), les ruptures et les exclusions (cf. séminaire). Plusieurs séances ont abouti à la tenue de journées d'études qui ont donné lieu à publication :
Les rituels judiciaires, 3 décembre 1996 et 3 juin 1997, séances publiées.
Le cri au Moyen Âge, 29 février 2000 (UMR 9963, Villejuif et Institut universitaire de France), Publication en cours (Publications de la Sorbonne), sous la direction de D. Lett et N. Offenstadt.
Plusieurs séances de l'Ecole doctorale de Paris-I publiées dans la Revue Hypothèses (Publications de la Sorbonne) ont permis à certains membres de l'UMR de préciser les structures du lien social en en confrontant les points de vue des médiévistes avec ceux des historiens des autres périodes : Rites et rituels, Hypothèses 1997 ; Sociabilité des intellectuels, Hypothèses 1998 ; Ces obscurs fondements du pouvoir, Hypothèses 2000. Les membres de l'axe ont aussi travaillé en étroite relation avec les spécialistes de l'édition, de la codicologie et de la prosopographie, dans le cadre de l'UMR, et en particulier lors du Colloque Saint-Denis et la royauté 


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TRAVAUX : SITUATION DE 1997 À 2000

Les travaux s'articulent autour de plusieurs thèmes: 
Les cours princières (J. Paviot)
La justice (C. Gauvard-R. Jacob))
Rituels et lien social (N. Offenstadt)
Comportements affectifs, parenté et lien social (D. Lett)
Magie, divination, poison (J.-P. Boudet) 
Etant donné l'évolution des recherches, s'y ajoutent deux nouveaux thèmes :
Le don (Yann Potin). En effet, le don se détache de l'histoire des gestes ou de la Cour pour se développer dans un champ de recherche spécifique. Les recherches en cours montrent qu'il est au ceur des comportements politiques et du lien social. Son histoire ne peut être dissociée, à la fin du Moyen Âge, de celle de la pratique de la thésaurisation, de l'inaliénabilité du domaine en ce qui concerne le don royal, de la dette, et des signes de la reconnaissance.
L'information (C. Gauvard). Ce thème était en filigrane dans les recherches sur l'acculturation et les rituels. Il convient de le développer de façon systématique, en raison des thèses en cours.Actuellement la recherche collective la plus avancée porte sur les rituels, et en particulier sur les rituels judiciaires qui combinent les approches relatives à la justice et aux rituels. Mais les autres thèmes ne sont pas délaissés comme le montrent les thèmes traités au séminaire. Au lien conjugal qui a été l'objet d'étude du séminaire 1999-2000, succèdent «Les bons sentiments», en 2000-2001, séminaire qui privilégie une recherche sur l'amitié (vocabulaire, liens avec la parenté, signification politique). Plusieurs travaux sont achevés, aussi bien collectifs qu'individuels. Deux thèses des membres rattachés à cet axe ont été soutenues en 2000 : celle de Valérie Toureille sur Vol et brigandage dans le Nord du royaume vers 1450 -vers 1550 (2 décembre 2000) et celle de Nicolas Offenstadt sur Les gestes de paix pendant la guerre de Cent ans (4 janvier 2001). Leur publication est prévue. La thèse de Véronique Beaulande, L'excommunication dans la province ecclésiastique de Reims du IVe concile de Latran au concile de Trente (Reims, 22 décembre 2000), qui souligne la différence entre la théorie et la pratique judiciaire, celle de Boris Bove, sur Les échevins parisiens au début du XIVe siècle (Poitiers, 13 décembre 2000),qui met l'accent sur les rapports de parenté au sein des élites et tente une définition de l'honorabilité, celle de Louis de Carbonnières sur la Procédure devant la Chambre criminelle du Parlement de Paris au XIVe siècle (Paris II, 14 novembre 2000), qui ouvre sur les méthodes du Parlement au pénal, montre que notre axe entretient des rapports étroits avec les membres d'autres centres de recherches.Trois projets sont en cours de préparation qui réuniraient l'ensemble des équipes du thème :
" Les gestes profanes.Il semble que les gestes religieux ont été relativement bien étudiés (J.-Cl. Schmitt, H. Martin, N. Bériou), en particulier par les spécialistes des études liturgiques, mais les gestes profanes demandent une étude renouvelée par rapport aux travaux déjà anciens des folkloristes (R. Vaultier, Cl. Gaignebet). La diversité des approches historiques des membres de l'axe devrait permettre de mieux les définir par une analyse du vocabulaire et des images, par une typologie des gestes qui comprendrait les gestes affectifs, les gestes politiques, les gestes professionnels et les gestes magiques. Enfin, une large place devra être faite à l'évolution de ces gestes profanes trop souvent considérés comme immobiles et décrits dans le temps long. A terme, on peut espérer définir ce qu'est un espace public médiéval, du moins en France à la fin du Moyen Âge.
" L'amour et l'amitié : voir les travaux sur l'affectivité et le rapport de Didier Lett.
" L'honneur. Ce thème est le champ privilégié des recherches personnelles de Claude Gauvard, mais il peut donner lieu à des débats de façon à analyser le sentiment de l'honneur dans sa dynamique chronologique, par rapport aux états de la société et comme constitutif du lien social.

Genre et comportement


Responsable : Didier Lett

Membres : Martine Charageat Caroline Jeanne


Comportements masculins et comportements féminins. Les rapports sociaux de sexes au sein de la famille, de la parenté et de la société.


De l'intérêt de l'histoire du genre pour l'histoire des comportements médiévaux :

On ne peut s'intéresser aux comportements médiévaux sans faire intervenir la notion de "genre" (gender), c'est-à-dire de "sexe social". Dans la suite des travaux de déconstruction impulsés par Michel Foucault, tout historien sait aujourd'hui qu'il n'existe pas d'objets naturels... et de sexe fondé sur la nature. La différence homme/femme ne procède donc pas seulement d'un fait biologique mais relève d'une construction sociale et culturelle, objet d'histoire à part entière. Comme "on ne naît pas femme, on le devient" (Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, 1949), on ne naît pas davantage homme. La "valence différentielle des sexes" (Françoise Héritier) n'est pas un invariant culturel. L'articulation entre sexe et "genre" se modifie en fonction du système symbolique propre à chaque société (voir à ce propos les travaux de G. Herdt, Third sex, third gender, beyond sexual dimorphism in culture and history, New York, 1994).

Sur un plan historiographique et épistémologique, la gender history, définie comme l'histoire du rapport entre les sexes, doit beaucoup à la women's history. Cette dernière a permis en effet de "mettre en lumière les catégories du féminin et du masculin jusqu'ici étouffées sous un neutralisme sexuel ne profitant qu'au monde masculin"(Cécile Dauphin, Arlette Farge, G. Fraisse et alii..., "Culture et pouvoir des femmes : essai d'historiographie", Annales ESC, mars-avril 1986, 2, p. 274), incitant l'historien (ou certains d'entre eux) à prendre des distances à l'égard d'une histoire androcentrée et hétérocentrée. Poser le genre comme catégorie d'analyse, c'est refuser de faire une histoire "un peu bizarre, irréelle et bâtie de guingois" (Virginia Woolf, A Room of One's Own, paru en 1929, traduit en français par Clara Malraux en 1951) parce qu'elle a oublié la moitié de l'humanité et parce qu'elle a négligé le rapport des sexes. Non seulement "l'histoire c'est la science des hommes dans le temps" (March Bloch,Apologie pour l'Histoire rééd. 1974, p. 36) mais c'est aussi la science des hommes et des femmes et de leur relation (leur interaction telle que le définit E. Goffman) dans le temps.

Les derniers siècles médiévaux se situent en amont de la profonde mutation du XVIIIe siècle étudiée par Thomas Laqueur (La fabrique du sexe. Essai sur le corps et le genre en Occident, (éd. originale, 1990), 1992) où l'essor de la biologie et de la médecine entraîne une "sexualisation du genre" ou une "biologisation de la différence des sexes" (M Perrot, Les femmes ou les silences de l'histoire, Paris, Flammarion, 1998, p. 387). Les hommes du Moyen Age ont d'abord pensé la notion de genre en terme d'identité culturelle. L'identité physique y apparaît secondaire en ce sens qu'elle procède complètement du système idéologique en place. A partir du moment où n'existe pas de pensée de la biologie et de la médecine autonome par rapport au discours totalisant de l'Église, le genre domine le sexe. La femme médiévale possède un sexe inversé plus que différent de celui de l'homme. La distinction des sexes est de degré, non pas encore d'espèce.

Pour comprendre l'histoire de la construction sociale des catégories du masculin et du féminin, il convient d'être attentif aux écarts entre discours (émanant presqu'exclusivement des hommes) et pratiques, de mesurer comment les discours ont eu ou non un impact sur les comportements. La question n'est pas tant de savoir si les hommes et les femmes au Moyen Age sont différents mais de tenter de montrer comment ils apparaissent différents, autrement dit qu'est-ce qui apparaît comme du masculin ou du féminin, à quel moment le scripteur a recours à ces catégories ? Le discours médiéval donne à voir une domination totale de l'homme sur la femme : il s'agit d'un imaginaire, d'un mode de représentation du monde (la domination d'un sexe sur l'autre) qui, bien entendu, influe considérablement sur la réalité mais n'est pas la réalité. Aussi, faudra-t-il toujours faire la part des représentations et du social. C'est pourquoi centrer son attention sur genre et comportement, c'est s'intéresser autant au féminin/masculin qu'aux femmes et aux hommes. L'identité masculine ou l'identité féminine est le produit de l'imaginaire, des modes de pensée...mais aussi du réel.


Problématiques générales pour une histoire "genrée" des comportements médiévaux :

1) L'appartenance à l'un ou à l'autre sexe détermine des attitudes, des croyances, des comportements différents. Le but est donc de distinguer l'homme être sexué (vir) qui n'est pas une femme de l'homme être humain (homo) qui peut être un homme ou une femme. Il faut se persuader que les femmes ne sont pas des hommes comme les autres. Une catégorie de sexe ne se définit pas en soi mais dans et par sa relation à l'autre sexe. Il convient donc toujours de voir comment se définit et se représente chacun des deux sexes, mettre en lumière les catégories du masculin et du féminin, comparer et mettre en relation la situation des femmes et celle des hommes, montrer comment évoluent condition masculine et condition féminine.

Différences et distinctions ! Mais également similitudes. A la suite de ces analyses, ne peut-on pas arriver à conjoindre le féminin et le masculin pour saisir ce qui est foncièrement anthropologique (qui tient à l'être humain, qu'on soit homme ou qu'on soit femme). Il existe un code de comportements partagé par les deux sexes. "Non seulement une histoire de la différence sexuelle mais aussi une histoire des similarités sexuelles et des relations entre différence et similarité" (Fr. Thébaud, Ecrire l'histoire des femmes, Paris, ENS Editions, 1998, p. 129).

2) Il faut également analyser le mode de relation entre les hommes et les femmes : "Ébruiter l'histoire de la confrontation entre l'homme et la femme, de leurs rencontres et de leurs conflits" (Arlette Farge, : "L'histoire ébruitée" dans L'histoire sans qualités. Essais, Ch. Dufrancatel et Alii (Dir.), Editions Galilée, Paris, 1979, p. 15-39 (ici p. 37-38) ; "Prendre en considération à part égale le masculin et le féminin dans toute analyse historique et penser que les rapports qu'ils entretiennent peuvent être moteurs d'histoire" (P. Schmitt-Pantel, "La différence des sexes, histoire, anthropologie et cité grecque" dans M. PERROT (Dir.), Une histoire des femmes est-elle possible ?, Rivages, Paris, 1984, p. 98-119, p. 101.

La question est moins de montrer (c'est tellement facile ! ) la misogynie de l'époque médiévale que de s'interroger sur les raisons qui ont incité une société (les hommes) à développer autant un imaginaire où il y a une place si importante du rêve de la domination d'un sexe sur l'autre et comment le paysage social a été profondément marqué par ce rêve, les conséquences sur le jeu social du déséquilibre discursif des rapports de sexes.

3) Le fait de réduire pendant des siècles, l'histoire de l'humanité à l'histoire des hommes a masqué l'histoire des hommes en tant qu'homme. L'histoire du genre ouvre donc également de vastes perspectives à une histoire du masculin et de la masculinité (cf. essor des Men's Studies). Cette histoire doit aussi permettre de rendre l'homme visible en tant que être sexué (vir). Comme l'histoire des femmes avait proposé d'examiner les lieux et les temps de rencontres entre les femmes, là où les femmes affirment leur identité de femme, il faut aussi étudier (ce qui n'a pratiquement jamais été fait) les lieux et les temps où les hommes se voient, se montrent comme des hommes et défendent leurs intérêts d'hommes.

4) Il faut être vigilant à ne pas enfermer la gender history dans une théorie globalisante qui expliquerait tout mais réintégrer la pertinence d'autres types de relations socioculturelles et de confronter le rapport de sexes avec ces autre types de relations. Il conviendra donc de ne jamais perdre de vue que le genre est un critère de distinction parmi d'autres et qu'il convient, dans toute analyse, de ne jamais oublier les autres critères opératoires (âge, génération, ordre, classe, condition sociale, appartenance urbaine ou rurale, religion, nation, parenté...etc) et surtout d'analyser les articulations du genre à ces autres formes de distinction, de voir en quoi l'un domine les autres ; éviter le piège qui consisterait, à chaque fois, à affirmer que la notion de genre est déterminante pour analyser les relations sociales. Les écarts de comportements homme/femme ne doivent pas nécessairement être analysés par rapport à une identité féminine et masculine : ils peuvent relever d'autres principes de différenciations.

De nombreux membres de notre sous-axe ont centré leurs travaux sur le couple, la famille ou la parenté. C'est pourquoi, dans les années qui viennent, nous pensons en faire le terrain privilégié pour l'étude de "genre et comportements", sans pour cela négliger les rapports de genre dans l'ensemble du corps social.


Genre et système de parenté :

Dès 1978, Claude Lévi-Strauss notait l'existence d'une "correspondance frappante" entre parenté et rapport de sexes" (Paroles données, édité chez Plon en 1984). Une question essentielle est en effet de savoir s'il existe un rapport entre les systèmes de parenté et les relations entre les sexes. Ainsi, peut-on se demander si un régime matrilinéaire est vraiment plus favorable aux femmes, leur accorde un statut plus enviable qu'un système patrilinéaire ? La participation symbolique de la femme à la conception explique-t-elle un meilleur statut social ? Jack Goody a montré comment le processus de production et la transmission de la propriété dans une société donnée construit les groupes domestiques et les relations à l'intérieur de ceux-ci.

Différence de taille avec ce que l'on observait dans le système romain classique, pendant toute la période médiévale, la filiation et la transmission de biens matériels et symboliques se réalisent aussi bien par les hommes que par les femmes. Il s'agit d'une parenté dite cognatique ou indifférenciée ou bilatérale où chaque individu se rattache à la fois à la lignée de son père et à celle de sa mère. La conséquence est qu'en Occident, en théorie, une fille peut succéder à son père à la tête d'une seigneurie ou d'un royaume et les transmettre à ses enfants (fils ou fille). A partir des Xe-XIe siècles, ce système indifférencié subit une très forte inflexion patrilinéaire, phénomène sensible d'abord dans les milieux aristocratiques ("le temps du lignage") et se diffusant "de haut en bas" (Georges Duby). Le système de la fin du Moyen Age demeure cognatique mais dans la transmission des biens, la prééminence des hommes sur les femmes s'accentue et on assiste à l'essor d'une transmission préférentielle aux fils (aîné) perçu, en tant qu'homme, plus à même d'assurer les charges, de perpétuer un nom, un héritage, une renommée. "Le genre est la clé de la distinction entre agnation et cognation. Tandis que la cognation représente une conception de la parenté indépendante du genre, l'agnation fonde la parenté sur l'homme" (G. Potama, Annales 1993, p. 1025). La redécouverte de l'ensemble du corpus aristotélicien à partir du XIIe siècle tend à renforcer ce système de domination masculine. La parenté de la fin de l'époque médiévale serait-elle alors de plus en plus dépendante du genre ? On assiste, dans les modes de représentations (textes ou images) des systèmes de parenté, à une accentuation de la différence entre les éléments masculins et les éléments féminins.


Genre et famille

M. Perrot, Les femmes ou les silences de l'histoire, Paris, Flammarion, 1998, p. 386) écrit : "par sa nature duelle, la famille instaure la communication entre le public et le privé, puisqu'aussi bien elle appartient aux deux". L'histoire du genre doit permettre de changer le regard que l'on porte sur la famille en oubliant que la femme a, naturellement, une fonction de reproduction et d'élevage des petits enfants et l'homme une capacité à agir dans l'espace publique.

Au sein de la famille, il est fondamental de mettre l'accent sur les différences d'apports éducatifs selon le sexe de l'enfant ou encore sur les spécificités des fonctions paternelles et maternelles.


Genre et couple :

Georges Duby voyait la cellule conjugale comme "le champ clos où les deux sexes se font la guerre". Michelle Perrot (Les Ombres de l'Histoire... p. 355) abonde dans ce sens lorsqu'elle affirme que la famille serait le lieu de plus forte subordination de la femme, de tensions les plus visibles entre homme et femme, où cette dernière serait peu protégée par le droit. N'a-t-on pas là un "effet de source" ? Pour un couple qui se bat et qui laisse des traces dans la documentation, combien se taisent ou s'aiment en silence ?

Pour qui veut étudier les relations de genre à l'intérieur du couple, la première précaution à prendre est de savoir ce que l’historien désigne par ce terme très contemporain de « couple ». L’historiographie et les sources rendent difficile l’isolement de la cellule conjugale en tant que telle, face à la structure familiale. Le couple désigne l’homme et la femme qui mènent une vie commune par décision mutuelle. Cette cohabitation peut avoir lieu dans le cadre des liens du mariage, réalisés parfaitement ou non selon les rites de la doctrine canonique matrimoniale. La vie commune peut également se dérouler selon les « règles » du concubinage, lesquelles sont abordables très partiellement à partir des sources notariales, judiciaires et législatives. On peut alors se demander quand et dans quels termes un homme et une femme se considèrent-ils et s’appellent-ils mari et femme ? La reconnaissance de leur couple par les autres coïncide-t-elle avec leur propre définition? Cette dernière correspond-elle à celle des conjuges établie par l'Église ? N’est-elle pas en soi révélatrice des perceptions différentes de la réalité conjugale selon les genres ?

On le voit, la cellule conjugale offre un poste d'observation privilégié pour l'étude des relations de genre, pour observer comment les hommes ont tenté de contrôler la valeur de reproduction des femmes. Pierre Bourdieu a montré que cette domination n'est pas un invariant historique, mais "le produit d'un travail incessant (donc historique) de reproduction auquel contribuent des agents singuliers (dont les hommes avec des armes comme la violence physique et la violence symbolique) et des institutions, famille, Église, État, École" (La Domination masculine..., Seuil, 1998, p. 40-41). Dans ce domaine, le passage d'une histoire des femmes à une histoire du genre permet de sortir de la dialectique subordination/oppression. Il y a aussi, dans ce jeu de domination, des compromis, des acceptations, des formes inconscientes de reproduction sociale. Pour les faire émerger il convient de mesurer le degré d’acceptation et de passivité de la femme-épouse-mère. Les indices de refus ou de contournement de la domination masculine doivent être au carrefour de plusieurs analyses, celle des moyens (droit, justice), des motivations, des lieux et temps de leur manifestation et de leurs voies/voix d’expression.

Pour analyser cette domination, il convient également d'être particulièrement attentif à la terminologie : à l'emploi de dominus ou miles (catégories sociales) s'opposent ceux de domina, mater pueri ou uxor sua, faisant de la femme un être toujours subordonné ("fille de" puis "épouse de"), comme si le statut d'une fille puis d'une épouse était strictement relatif au père puis au mari, alors que celui de l'homme paraît être absolu. La femme est donc bien plus souvent désignée par un terme de parenté que l'homme ne l'est ; le féminin est davantage liée à la famille et à la parenté que ne l'est le masculin.

L'obligation de soumission de l'épouse se voit dans les conseils donnés par les pédagogues aux filles en âge de se marier, aux très nombreux portraits d'épouses idéales. Elle se perçoit aussi dans la manière dont évolue la représentation de la création d'Eve de plus en plus figurée sous domination de l'homme à partir du XIIe siècle (voir R. Zapperi, L'Homme enceint, l'homme, la femme et le pouvoir, Paris, PUF, 1983 et, en dernier lieu, J. Cl. Schmitt (Dir.), Eve et Pandora. La création de la femme, Paris, Gallimard, 2002). Elle se perçoit encore dans la difficulté pour la femme à transmettre des biens symboliques (nom, ressemblance..), en corrélation avec le glissement d'une théorie galéniste de la production de la personne à une conception aristotélicienne ou le "sperme" féminin ne joue plus de rôle. Elle se perçoit enfin en analysant les images des calendriers agricoles représentant le couple paysan au travail où l'on observe une forte répartition sexuée des activités. Aux hommes (les plus représentés) sont dévolues les activités de production (labours, semailles, moisson, culture de la vigne), aux femmes, les travaux de transformation (filage, tissage) ou les activités dans ou proche de la maison, tandis que moisson et fenaison (travaux non spécialisés) sont à la fois masculines et féminines. Dans les enluminures, l'action principale est toujours masculine, comme si le labeur féminin ne pouvait être qu'une activité d'appoint. Et surtout, l'appropriation par les hommes des outils leur permet d'exercer une domination sur les femmes. Le travail féminin est réalisé sans outils ou avec des instruments très simples.

Il convient enfin pour comprendre cette domination, d'être attentif aux termes d'adresse (groupes nominaux qui marquent presque toujours le début de discours, renvoyant exclusivement à la deuxième personne (l’allocutaire) dans le discours direct) qui circulent entre mari et épouse car ils délimitent des frontières, pour une société donnée entre supériorité/infériorité, distance/intimité ou formality/unformality. Sans bien savoir ce qu'ils sont dans la réalité, dans la littérature en tout cas, ils proviennent directement du mode de relation vassal-seigneur donc d'un modèle profondément masculin, guerrier, virile. L'épouse se trouve alors vis-à-vis de son mari dans la même position que le vassal à l'égard de son seigneur. Majoritairement l'épouse désigne son mari par "Mon seigneur...", "mon sire", termes qui incluent les notions d'autorité et de supériorité hiérarchique. Le mari, comme le "suzerain" donne à son épouse du "M'ami(e)". Le décalque d'un échange verbal féodo-vassalique dévoile des liens entre partenaires inégaux.

A l'intérieur de la cellule conjugale, il convient également d'étudier les jeux de séduction, les rapport amoureux et érotiques ainsi que les conflits. La notion de conflit conjugal reste encore floue pour l’historien. Les contours ne sont pas aisés à dessiner car il n’est pas évident que la société médiévale le reconnaisse systématiquement et partant, lui accorde une attention et une expression particulières.


Genre et relation adelphique :

Dans les textes narratifs, la relation frère-sœur est très souvent valorisée. A l'âge adulte, elle est d'autant plus forte que la relation mari-femme est distendue (exemples des fabliaux). Il convient de s'interroger sur les raisons de cette grande valorisation. Comme la relation compère-commère, il s'agit, dans la société chrétienne médiévale, du seul lien familial entre un homme et une femme de la même génération dégagé de contacts charnels. Au Moyen Age, la communauté des chrétiens est pensée comme un ensemble de frères et soeurs, sur le mode de la germanité.

Françoise Héritier dans ces travaux récents (en particulier, La mère et les deux sœurs) a montré combien le rapport de germanité est au centre des questionnements sur les problèmes majeures de la parenté (inceste, échange...) : "C'est le lieu primordial où s'expérimentent l'identité et la différence au sein d'une équivalence". La germanité paraît en effet être un lieu de rapport de sexe particulièrement égalitaire. La féodalisation des termes de parenté (observée plus haut dans le cadre de la cellule conjugale) n'est pas opérante dans les relations frères-sœurs. Tout se passe comme si, dans la relation adelphique (ou en tout cas dans sa représentation) la valence différentielle des sexes perdait de sa pertinence.

Bibliographie

Par ailleurs, Didier Lett est un des responsables du Séminaire pluri-périodes sur le genre de l'Université Paris I
Hommes, femmes, masculin, féminin. Les usages du genre en histoire


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Cours et la culture curiale
Jacques Paviot

Depuis le dernier rapport, le groupe d'études sur la cour a reçu quelques modifications et se compose maintenant de Patrick Boucheron, Elizabeth Gonzalez et Jacques Paviot, dont les rapports d'activité suivent, et d'Olivier Canteaut.
Patrick Boucheron : les cours d'Italie du nord
Après avoir étudié la politique édilitaire et monumentale des ducs de Milan dans leur capitale pour les derniers siècles du Moyen Âge, s'intéresse notamment à la place des architectes, artistes et ingénieurs dans les cours princières d'Italie du Nord au XVe siècle. Le riche corpus des correspondances et des lettres de nomination permet de reconstituer le jeu de la commande et de la recommandation, qui fait de la circulation des artistes, de cour en cour, mais également de la cour à la ville, et parfois même pour les ingénieurs sur l'ensemble d'un territoire, un enjeu politique et diplomatique déterminant. La place des artistes dans le système de cour est également abordée du point de vue des mutations induites dans la théorisation de la création artistique, mais aussi des possibilités nouvelles de légitimation de pouvoirs toujours en quête d'«avant-garde»  pour défendre leurs fragiles prérogatives.

Elizabeth Gonzalez : la cour des ducs d'Orléans
Elizabeth Gonzalez devrait bientôt terminer la thèse entreprise sur l'hôtel des ducs d'Orléans au XVe siècle. Cette étude permettra de souligner le rôle central joué par une institution située au coeur de la cour. Elle permettra également de dresser le profil des serviteurs ayant été au service des Orléans au cours de ce siècle. Près de 2000 d'entre eux ont ainsi été entrés dans la base de données constituée et parmi eux, 289 titulaires de l'office de chambellan font l'objet d'une notice biographique détaillée qui montre leur place stratégique au sein d'un hôtel princier.

Jacques Paviot, la cour des ducs de Bourgogne
Jacques Paviot a poursuivi son étude des États de France (les Honneurs de la Cour) d'Éléonore de Poitiers, en procurant aussi une nouvelle édition du texte. Un tel texte permet d'étendre l'étude aux rapports entre les ordonnances de l'hôtel et le cérémonial de cour, ou encore à la place et l'image de la femme dans une telle cour. Parallèlement, il s'intéresse à la production artistique à la suite de la peinture, la rédaction de manuscrits avec l'exemple de David Aubert, la poésie avec celui de Jacques de Luxembourg qui permet aussi d'aborder les liens entre les cours princières en France. Une étude de l'ordre de la Toison d'or met en relief les liens entre prince et noblesse régionale, entre politique et chevalerie. Pour l'avenir, un certain nombre de membres du LAMOP et de collègues travaillant sur les ordres de chevalerie à la fin du Moyen Âge, est apparue à Elizabeth Gonzalez et Jacques Paviot la nécessité de comparer le développement de ces ordres en Europe à la fin du Moyen Âge. Le thème qui nous semble central est celui du lien, entre prince et noblesse, entre prince et cour, entre prince et hôtel. Les personnes qui ont déjà donné leur accord ou pressenties sont :

" Elizabeth Gonzalez (LAMOP), le Porc-Épic et la cour d'Orléans ;

" Frédérique Lachaud (Paris IV), l'éperon comme affiliation à la chevalerie;

" Olivier Mattéoni (Paris I - LAMOP), l'Écu d'or et la cour de Bourbon ;

" Werner Paravicini (Institut historique allemand), les ordres allemands ;

" Jacques Paviot (Paris IV - LAMOP), Toison d'or et ordre de Saint-Michel ;

" Bertrand Schnerb (Lille III), Aspects politiques de l'ordre de la Toison d'or

" Malcolm Vale (Oxford), L'ordre de la Jarretière.

Olivier Canteaut 
Son doctorat entrepris sous la direction de Claude Gauvard porte sur Gouvernement et hommes de gouvernement sous les derniers Capétiens (1314-1328). Point de départ de cette étude, les mentions hors-teneur portées au bas de chacun des actes émis par la chancellerie royale nous font connaître les commanditaires réels des décisions prises au nom du roi. Leur analyse quantitative permet en outre une étude de leur activité respective. De là, il s'agira de comprendre le fonctionnement des rouages politiques et administratifs du gouvernement royal, mais aussi de cerner les équipes dirigeantes par le biais d'une étude prosopographique.

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Les cultures de pèlerinages
Denise Péricard-Méa

Comment le pèlerinage (en particulier celui de Saint-Jacques) modifie les liens que le pèlerin entretient avec son entourage ? Lors du grand pèlerinage, le «marcheur de Dieu» rompt toutes ses attaches antérieures (avec sa famille, sa parenté et son voisinage). Cette rupture n'efface pas le souvenir des liens. Comment la distance influe-t-elle sur la nature des relations que le pèlerin continue d'entretenir avec ses proches, géographiquement éloignés. Dans le même temps, le pèlerin crée des liens nouveaux (souvent éphémères) avec ceux qui ont choisi le même itinéraire que lui. Enfin, lors de son retour du grand pèlerinage, à l'intérieur des confréries d'anciens pèlerins, d'autres relations se nouent ou s'entretiennent. Beaucoup plus répandue que la relation avec Compostelle, la relation à saint Jacques se lit dans les multiples pèlerinages locaux qui lui sont consacrés:(concurrents ou compléments de Compostelle). S'y côtoient d'anciens pèlerins, des futurs pèlerins et la masse de ceux des simples dévots à saint Jacques. Ce sont eux qui ont constitué la grande masse du patrimoine jacquaire, tant architectural que mobilier, littéraire ou archivistique. Des sources émiettées demandent une coopération dans la recherche, coopération amorcée largement dans le cadre du LAMOP et prolongée par la création d'un site Saint Jacques  et Compostelle qui s'articule autour de quelques pistes de recherche :
" Le sanctuaire de Compostelle s'est imposé dans des contextes tributaires de la politique européenne et comment s'est constitué au fil des siècles un stock de documents médiévaux vrais ou faux. 

" Etude du légendaire commun à toute l'Europe. 

" Constitution d'un dictionnaire biographique des pèlerins ( ceux qui sont allés réellement à Compostelle, ceux dont on peut le supposer et ceux qui ont été inventés à différentes époques) 

" Inventaire et étude du patrimoine jacquaire français : tombeaux de saint Jacques,reliques, textes, monuments, pèlerins, livres de miracles, confréries, etc… Cette recherche, personnelle à l'origine, se met maintenant au service de la Structure de recherche. Cette dernière doit la systématiser et la prolonger au delà de la période médiévale. Le petit pèlerinage ou la procession sont souvent des moyens de renforcer les liens entre les membres d'une même communauté. Qu'il soit grand ou petit, le pèlerinage, en dernier instance, privilégie la relation avec Dieu. 

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Les usages du don
Yann Potin
Membres : Patrick Boucheron, François Foronda, Julie Mayade-Claustre

Perspectives de recherches
« Avant même de produire des biens ou des enfants, c'est le lien social qu'il importe d'édifier [au travers du don] » .
Alain Caillé résume ici brièvement ce que fut l'apport " considérable mais discuté " de l'euvre de Marcel Mauss quant à la saisie des significations sociales du don. La circulation des objets, des biens, des titres, des honneurs ou des privilèges participe au conditionnement et à la structuration des relations sociales qu'elles quelles soient : interdépendance ou domination, solidarité ou amitié, alliance ou conflit. 
La société médiévale semble avoir précisément placé au ceur de son système de valeur féodal une idéologie du don, relayée par la théologie de l'aumône. Mauss lui-même, fut sans doute un des premiers à établir un lien privilégié entre société féodale et pratique du don. L'Essai sur le don se referme en effet sur l'image de la Table ronde et de la sociabilité idéalisée des romans arthuriens.  L'engagement politique de Marcel Mauss "conseiller de Jaurès et de Blum " détermine en grande partie cette assimilation entre sociétés proto-marchandes et idéal de relations sociales pacifiques . Si la pratique du don demeure la caractéristique fantasmatique des sociétés dites traditionnelles, l'évaluation concrète de l'efficacité du modèle anthropologique reste à établir ; et ce d'autant que les frontières classiques entre les catégories du don et du marché ne cessent aujourd'hui d'être remises en cause . Trois perspectives de recherche, qui correspondent à la déclinaison de trois acceptions possibles de l'expression « usages du don », nous semblent pouvoir êtres envisagées, afin d'éclaircir cette collusion systématique : 
" Une évaluation des usages historiens potentiels des théories  anthropologiques du don. 
" Une étude des usages politiques et sociaux de l'idéologie chrétienne et féodale du don dans la société médiévale. 
" Des analyses concrètes et quantitatives de la part du don au sein des pratiques socio-culturelles des différents groupes qui constituent cette même société. 
La discussion sur le don finit par constituer une branche à part entière de l'anthropologie au cours du XXe siècle. Elle peut être saisie comme une longue exégèse " alternativement sereine et polémique " du texte de Mauss . Le corpus bibliographique disponible paraît démesuré, surtout lorsqu'il est étendu aux travaux d'outre-Atlantique. Il importe donc de le prendre en charge collectivement et de placer au ceur de la recherche commune une réflexion d'ensemble sur le statut des théories du don face aux travaux des historiens sur les sociétés dites pré-capitalistes, en y consacrant éventuellement des études spécifiques et en organisant des rencontres avec des anthropologues. Le problème de l'application et de l'historicité de ces modèles théoriques, bien que sans cesse posé et discuté au sein de la communauté historienne, n'a pas trouvé encore de règles de fonctionnement tempérées. L'historien semble en effet sans cesse osciller entre un usage sauvage et incontrôlé de l'anthropologie " qui confère de confortables profits symboliques au discours mais fragilise ses fondements méthodologiques " et une critique acerbe et radicale, qui tend à la xénophobie disciplinaire. 
Après Marc Bloch, Georges Duby a montré que les « attitudes mentales » du monde pré-féodal et féodal étaient gouvernées par « les nécessités de l'oblation» : « une intense circulation de dons et de contre-dons, de prestations cérémonielles et sacralisées, parcourt d'un bout à l'autre le corps social » . Des travaux récents ont mis en valeur l'effectivité de l'idéologie chrétienne et féodale du don entre les XIe et XIIIe siècles, notamment perceptibles au travers des échanges entre les morts et les vivants . En revanche, l'examen du devenir de cette idéologie au cours des XIVe et XVe siècles, alors que la société féodale est en cours de déstructuration et que l'État se développe, demande à être fait.
Cette dernière perspective de recherche correspond plus exactement aux différents travaux des membres du sous-axe. Dans le cadre des séminaires de l'École doctorale de l'université Paris I, une demi-journée intitulée « Donner et recevoir », coordonnée par Julie Mayade-Claustre, membre du sous-axe est prévue le 28 avril 2001 Elle permettra de faire un premier inventaire des champs de recherche en la matière.
Yann Potin 
Le trésor est une figure lexicale et institutionnelle généreuse. Synonyme de richesse absolue dans les textes littéraires et doctrinaux, il concentre les différentes formes d'objectivation de la valeur. La Sainte-Chapelle de Paris offre, dans la seconde moitié du XIIIe siècle, une image exemplaire de cette polarisation : auprès des reliques de la Passion et des saints, l'État royal conserve ses joyaux, ses archives et ses livres. Au XIVe siècle, les trésors peuplent l'ensemble des résidences royales, avec une mention spéciale pour le Louvre qui accueille les principales collections d'orfèvrerie et " depuis 1364 " la librairie du prince. Il s'agirait de savoir ce qui explique et légitime la réunion de ces objets, très hétérogènes dans leur matérialité comme dans leur fonction. Ils sont tous le signe d'une transcendance de la valeur strictement économique, dans la mesure où ils n'ont pas à proprement parler de prix. Le dénominateur commun est sans doute ailleurs. Chargés de symboles et de références au passé, ils sont les supports de la mémoire politique et sociale du pouvoir, de ses origines sacrées mais aussi des ses actes profanes. 
Les inventaires et les comptes permettent d'étudier la formation, l'organisation et la gestion de ces dépôts. La Chambre des comptes cherche à garder le contrôle de cette trésorerie particulière, en tentant d'imposer l'inaliénabilité des trésors. Le gouvernement par le don propre au roi, s'oppose à cette logique patrimoniale. Les trésors, y compris les archives, demeurent pour celui-ci le vivier sans cesse renouvelé d'une libéralité politiquement instrumentalisée. Les dons ne laissent pas toujours de traces documentaires visibles : il faut tenter de les saisir aux marges des registres de compte et d'inventaire ou parmi les rares mandements royaux conservés. Attribut privilégié et obligé du pouvoir dans l'imaginaire politique depuis le  haut Moyen Âge, le trésor domine implicitement la scène des relations curiales. En tant que mémorial et réserve des échanges et des dons entre le roi et sa cour, il conserve activement le souvenir des relations de domination et de fidélité. Les dons renouvellent, actualisent ou contredisent sans cesse les liens sociaux que le pouvoir tissent avec ses serviteurs, ses alliés et même ses ennemis.
Patrick Boucheron
[Voir le sous-axe « Sacré, souveraineté et théories politiques », dans l'axe «Genèse de l'État moderne »]. 
François Foronda
[Voir pour une présentation de la recherche et une liste des publications le sous-axe « Rituels »]
Julie Mayade-Claustre 
Sa thèse se donne pour objectif de comprendre ce qui se trouve derrière la notion de dette à la fin du Moyen Âge, à travers l'étude de l'action du roi de France en matière d'endettement des personnes privées. Il s'agit notamment d'étudier le sens et les mécanismes des grâces royales octroyées aux débiteurs, les lettres de répit, à partir de l'exemple de la prévôté de Paris. Quel est ce don royal particulier qu'est la grâce en matière de dette ? Ne crée-t-il pas une obligation, qui vient redoubler celle contractée par le débiteur envers son créancier ? L'obligation, ainsi transférée par la grâce sur la personne du roi, peut apparaître comme une notion pertinente pour saisir la relation qui se noue entre le roi et ses sujets. L'anthropologie du don peut ainsi aider à comprendre la construction politique à l'euvre dans le royaume de France à la fin du Moyen Âge : la construction de l'Etat moderne n'emprunterait-elle pas les chemins, déjà battus, des mécanismes de don-contre-don ?

Pour une présentation détaillée de ce thème et notamment sur la question bibliographique voir ici


Les rituels
Nicolas Offenstadt

Le programme «rituel» s'est structuré depuis 1995 autour de rencontres régulières de ses membres confrontés à d'autres collègues sur un thème d'une certaine ampleur qui permette à la fois l'intégration des différentes recherches et des avancées historiographiques précises. En 1996-1997, plusieurs séminaires ont été organisés sur les rituels judiciaires. Ils ont donné lieu à la publication d'un volume .Le second thème d'étude, à partir de 1998, traite des cris au Moyen Âge en leurs différents aspects. En collaboration avec le sous-axe «Comportements affectifs, parenté et lien social» (Didier Lett), plusieurs séances, dans le cadre du séminaire de Claude Gauvard et Robert Jacob, ont tenté de faire le point sur ce que l'on savait du sujet tout en proposant de nouvelles perspectives d'analyse. Les participants ont d'abord cherché à recenser le vocabulaire du cri, les situations au cours desquelles on criait. Après l'étape du recensement vint celle de l'analyse. Ils ont alors étudié les formes du cri, les sons et les gestes rituels qui les accompagnaient. Le groupe a travaillé sur l'opposition entre « cri spontané « et « cri normé « pour finalement constater sa faible valeur heuristique. Les fonctions sociales du cri ont été mises à jour et commenté. Les résultats de l'ensemble des travaux devraient être publiés aux Publications de la Sorbonne à la fin de l'année 2001. Les thèmes et contributions finales sont les suivants : 

- Didier Lett et Nicolas Offenstadt : Bilan des recherches sur le cri au Moyen Âge.
- Christine Bellanger : Le cri dans l'image.
- Florence Chave : Le cri du possédé
- Pascal Collomb : Cri et liturgie
- Thierry Dutour : Le cri public à Dijon.
- Murielle Gaude : Le cri des funérailles.
- Isabelle Guyot-Bachy : Le cri de guerre
- Sébastien Hamel : Le cri public à Saint-Quentin
- Robert Jacob : Le cri primal
- Christopher Lucken : Cri et littérature
- Valérie Toureille : Le cri du vol 
Deux historiens d'autres périodes ont bien voulu donner des éléments de comparaisons :
- Violaine Sebillotte : Le cri en Grèce ancienne
- Fabrice Virgili : Le cri dans la France de la Libération (1944-1945).
- Claude Gauvard : Conclusions et perspectives.

Ces recherches sur le cri vont amener plusieurs membres de l'axe à orienter leurs travaux vers l'information à la fin du Moyen Âge, notamment en ses aspects rituels. 
François Foronda : Parler au roi en Castille au XVe siècle. 
Ce sujet peut être considéré comme une tentative pour approcher la notion d'autorité, en interrogeant certains de ses aspects, spécialement la question des médiations, des interventions et des processus décisionnels. En d'autres mots, il s'agit de souligner les mécanisme infra ou extra-institutionnels qui font fonctionner le pouvoir monarchique. C'est l'accès au roi, à sa personne mais aussi aux organes de gouvernement qui définit l'ampleur thématique du projet doctoral, en considérant le pouvoir sous le primat d'une relation dont l'objectif est d'amplifier le consensus politique autour de l'institution royale. 
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La justice
Claude Gauvard et Robert Jacob

La participation aux activités collectives des chercheurs rassemblés par le LAMOP s'effectue surtout à travers le séminaire d'histoire médiévale, intitulé depuis 1998 « Communication et lien social », dont Robert Jacob assume la direction en collaboration avec Claude Gauvard (université de Paris 1). Ce séminaire a été successivement consacré aux liens de la parenté et de la famille (1999-2000), aux «bons sentiments» (2000-2001) et devrait être orienté, en 2001-2002, vers la rhétorique. Il constitue un lieu de rencontre privilégié avec des étudiants de troisième cycle et des chercheurs en thèse, ce qui donne l'occasion de participer à la direction de leurs travaux. En marge du séminaire ont été organisées deux tables rondes, la première sur les rites de la justice (juin 1997), dont les actes viennent de sortir de presse, la seconde sur «le cri» (janvier et juin 1999).
I Le jugement
Procédures pénales, décisions judiciaires, formes d'exclusion. Il est pour cela nécessaire de travailler en collaboration avec des juristes, de réfléchir à la différence entre la théorie et la pratique judiciaire médiévales, de comprendre dans quelle mesure le jugement est porteur d'exclusion.Cette étude est menée en collaboration avec des chercheurs français mais aussi étrangers, spécialistes de l'Histoire de la criminalité et du droit pénal, aux Etats-Unis, en Allemagne et en Autriche. Un bilan comparatif doit être établi avec l'ensemble des spécialistes de l'Europe du N.W. en novembre 2001 à Avignon. Rencontre organisée par l'Université de Florence, l'Ecole française de Rome et l'Université Paris-I-Institut universitaire de France sur les pratiques judiciaires. 
La réflexion sur le jugement et son obéissance suppose aussi une étude sur les moyens dont dispose la justice. Aucune synthèse n'est actuellement disponible. Claude Gauvard a esquissé un premier bilan pour la partie médiévale dans, Histoire de la police en France (en collaboration), col. Bouquins, Lafont à paraître, avec le concours des Hautes Etudes de la Sécurité Intérieure.
II Les types de crimes et de criminels
Claude Gauvard dirige des thèses de doctorat d'histoire sur ce thème. En particulier, F. Minciaroni (Cours manoriales anglaises),Valérie Toureille, pensionnaire de la Fondation Thiers, (Vol et brigandage en France du Nord, vers 1450-vers 1550, thèse soutenue), C. Pons, allocataire de recherche, Paris-I, (L'adultère en France du Nord à la fin du Moyen Âge), A. Lacour (Les guerres privées en Vermandois dans la première moitié du XIVe siècle).
Martine Charageat 
Elle prépare une thèse intitulée Les crimes de meurs dans le royaume d'Aragon, de Jaime 1er au Concile de Trente. Ce travail de recherche est mené principalement à partir d'archives judiciaires dont l'essentiel provient des archives diocésaines de Saragosse. Elles permettent d'étudier, au travers des conflits matrimoniaux, les comportements des hommes et des femmes dans le domaine des rapports conjugaux et extra-conjugaux, ainsi que face et à l'intérieur du système judiciaire. Martine Charageat a animé un séminaire à la Casa Velazquez (le 29 juin 1999) intitulé «Matrimonio y sexualidad : normas, practicas y transgresiones en la Edad Media y principios de la Epoca Moderna» 
Julie Mayade-Claustre.(cf.supra)
Le but principal de sa recherche est d'évaluer l'action de la justice à l'égard des débiteurs, et en particulier d'éclairer, d'un côté, l'usage de la contrainte par corps par la justice royale et, de l'autre, celui des lettres de répit par la chancellerie royale.
Kouky Fianu 
Elle a entrepris une recherche sur Faussaires et falsification dans le royaume de France (XIVe-XVe siècles). Cette étude des procès impliquant la falsification permet d'interroger le discours des autorités publiques et d'en dégager les arguments utilisés pour affirmer le rôle croissant de l'écrit dans la pratique judiciaire, mais aussi sa forme cohésive dans la société en général.
III L'acculturation juridique
Cet aspect recoupe en partie la recherche menée sur les rituels judiciaires. L'acculturation juridique intéresse surtout Claude Gauvard qui, dans ses travaux tente de mener une analyse des réactions de l'opinion devant l'utilisation du droit et les décisions des juges. Du point de vue pénal, il s'agit de comprendre comment les justiciables acceptent le jugement prononcé par les autorités judiciaires et quels liens la décision des juges entretient avec la vengeance. Cette recherche tente aussi de donner sa place à l'infrajudiciaire et de mieux étudier le recul de la vengeance .Cette partie de la recherche de l'axe s'enrichit d'une réflexion chronologique ample, d'une réflexion méthodologique pour distinguer pauvres, marginaux et criminels, et d'une réflexion sur les méthodes judiciaires médiévales. Dans cette perspective, plusieurs rencontres ont été ou vont être organisées, en partie financées par l'Institut universitaire de France : 
" Le petit peuple dans l'Occident médiéval : novembre 1999, Montréal, colloque organisé par P. Boglioni, R. Delort et C. Gauvard. Une grande attention a été portée aux mots qui désignent les couches inférieures de la société, donc aux critères de distinction sociale. Le colloque débouche sur une meilleure compréhension de l'honorabilité.
" L'enquête au Moyen Âge : printemps 2003, Rome. En collaboration avec André Vauchez et l'Ecole française de Rome. Il s'agit d'étudier les principaux secteurs où s'affirme l'enquête, religieux, administratifs, judiciaires, pour mesurer sa place du point de vue du développement des pouvoirs et de l'acculturation politique. Pourquoi l'enquête ? Qui réclame l'enquête ? Quelles sont les limites de son exercice ?


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Robert Jacob
Au cours des dernières années, les recherches de Robert Jacob ont été réorientées. Le domaine de l'histoire de la famille, sans jamais être abandonné, est passé au second plan par rapport à deux thématiques nouvelles que les circonstances l'ont appelé à développer en priorité et qui resteront au centre de ses préoccupations dans les années qui viennent. Il s'agit d'abord du rôle du jugement de Dieu dans la formation de la fonction de juger en Europe occidentale. Une hypothèse de travail, énoncée il y a une dizaine d'années, amenait à réévaluer la part qu'il a prise dans la genèse des cultures judiciaires médiévales. Il poursuit l'exploitation à travers diverses études sur les rites, l'image et les pratiques de la justice. 
En second lieu, la nécessité de repenser les rapports entre histoire du droit et histoire sociale, particulièrement sensible pour un juriste qui a choisi de s'intégrer à un laboratoire d'histoire sociale, l'a conduit à reconsidérer la problématique de ce que l'on pourrait appeler les «formes premières» du droit. Entendons les formes que le droit peut prendre dans des sociétés sans Etat ou dans lesquelles l'État naissant ne saurait prétendre encore au monopole de l'émission des normes juridiques. Le concept de «droit coutumier», par lequel les sciences juridiques, depuis le XIXe siècle, tendent de rendre compte de cette première émergence, me paraît très insuffisant. C'est pourquoi il en a entrepris une critique systématique, démarche qui s'est révélée à l'épreuve d'assez longue haleine. A sa suite se pose la question de savoir par quelles voies pourrait se renouveler l'appréhension des formes archaïques du droit, dès lors que serait reconnue l'insuffisance de l'idée de coutume. L'alternative qu'il propose se trouve dans une anthropologie historique de la parole d'autorité comme constitutive de la norme. Exposons brièvement ces différents thèmes.
1. Le jugement de Dieu et la fonction de juger dans l'espace européen.
Le projet d'une histoire du jugement de Dieu de la fin de l'Antiquité au XIIIe siècle s'est dessiné au début des années quatre-vingt-dix, à l'occasion d'un premier groupe de contributions qui s'efforçaient de situer la pratique du serment judiciaire dans la perspective de l'anthropologie comparative. Il s'est poursuivi à travers une série d'études, en particulier : - une analyse d'ensemble de la procédure et des mécanismes de la décision judiciaire à l'époque franque, visant à y montrer la prégnance du serment et la montée en puissance de l'ordalie ,
" une étude de la formation de l'ordalie de la croix, épisode déterminant puisqu'il marque l'avènement du judicium Dei comme modalité paradigmatique de la décision de justice, en conséquence immédiate de la politique judiciaire des carolingiens ,
" l'étude du lexique de l'acte de juger en moyen français, qui témoigne de la distinction entre une «grande justice» (divine) et une «petite justice» (humaine), distinction qui s'estompe au XIIIe siècle avec le recul de l'ordalie et la rationalisation de la justice ,
" l'examen de la permanence de l'idée de jugement de Dieu dans la genèse médiévale de la déontologie judiciaire .
Par ailleurs, la réflexion sur le jugement de Dieu nourrit aussi les recherches qui se poursuivent dans les deux domaines connexes, de l'image et des rites de la justice d'une part, de l'histoire comparée de la formation des systèmes juridiques et judiciaires européens de l'autre. La suite attendue des recherches devrait comprendre:
" un essai sur la théodicée et les rites judiciaires du bas empire romain, - un essai de chronologie des rituels de l'ordalie médiévale,
" une étude des rapports entre ordalie et légitimité politique au haut Moyen Âge 
" l'examen des projections de l'idéologie carolingienne du jugement de Dieu dans la littérature, en particulier dans la littérature hagiographique.
L'idéal serait de mener à bien ces études et, à un horizon encore indéterminé, de les réunir en un livre de synthèse sur l'histoire du jugement de Dieu.
2. La coutume, mythe de l'enfance du droit.
La réflexion critique sur la coutume a fait l'objet d'interventions au séminaire d'histoire médiévale de l'université de Paris 1 en 1997 et surtout, en 1999-2000 et 2000-2001, d'un séminaire tenu à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales au titre d'une «conférence complémentaire». Les premiers résultats ont donné lieu à deux publications, très partielles, l'une et l'autre sous presse .Schématiquement, les conclusions pourraient se résumer ainsi. Le concept moderne de coutume naît avec l'école allemande du début du XIXe siècle (Historische Rechtsschule), qui, dans le contexte très particulier de son éclosion, en vient à voir dans la coutume le «stade de l'enfance» (Jugendzeit, Kindheitsstufe) de tout système juridique. L'idée se diffuse ensuite dans tout le champ de l'histoire et de l'anthropologie juridiques, tandis que les administrations coloniales en font une pierre d'angle de la régulation normative qu'elles imposent aux colonisés. Or, le concept repose sur des équivoques, aujourd'hui de plus en plus fréquemment dénoncées, qui imposent une reconsidération systématique. En fait, l'école allemande s'est bornée à conférer un statut scientifique et universel à une construction intellectuelle, le «droit coutumier» qui n'avait été auparavant qu'un instrument forgé par la doctrine savante de l'Europe médiévale aux fins de donner relevance à la sécrétion de normes en dehors des corpus écrits. L'histoire de cette construction intellectuelle impose de remonter assez haut. C'est à la rhétorique grecque qu'il est revenu de systématiser, aux fins de l'argumentation, l'antithèse de la «loi écrite» et de la «loi non écrite», puis de faire de la coutume un des stéréotypes de la seconde. Longtemps tenu à l'écart de la jurisprudentia romaine, ce topos y pénètre à la fin de l'empire, après avoir déjà imprégné le langage des Pères de l'Église. Dès l'aube du Moyen Âge, la coutume est partout présente dans les sources appelées à constituer les deux grands corpus romain et canonique.
C'est aux temps scolastiques que s'élabore la théorie classique de la coutume, comme être mixte de droit et de fait, à la fois social et juridique, un instrument mis à la disposition des élites de l'Église et de l'État pour habiliter, tout en la contrôlant, la création de normes en dehors des textes. L'histoire de la coutume au Moyen Âge central est alors, non celle de l'émergence de normes auparavant enfouies au fond de la conscience populaire, mais d'un processus d'interaction entre appareils d'États et pratiques sociales. Une histoire d'ailleurs très différente en Angleterre, en France et en Allemagne, tant par le degré de reconnaissance du «droit coutumier» que par les configurations dissemblables qu'il épouse. Dans ce concert, la France de Saint Louis apparaît comme le laboratoire par excellence de la doctrine savante des commentateurs.
3. Droit et parole : pour une anthropologie historique de la parole normative
Dissipée l'illusion coutumière, il faudrait envisager d'ouvrir de nouvelles voies d'accès aux phénomènes de normativité, ou, comme on voudra, au «prédroit» ou au droit d'avant le couple Etat-écriture. (Il ne s'agit pas, bien entendu, d'étudier le contenu des énoncés normatifs, mais leur mode de formation et de validation, ce qui correspond à la notion traditionnelle de «source» du droit.) Dans cette perspective, Robert Jacob propose de développer l'étude des rapports de la norme et de la parole, thématique dont l'intérêt est suggéré par quantité d'éléments mais qui a été très rarement abordée par les historiens du droit (sans doute en raison de la prégnance de la coutume ou d'un de ses avatars, la «tradition orale»). Dans un premier temps, il a posé le problème en creux, à partir du non-droit et de ses représentations médiévales comme exclusion d'une parole sociale. Il en est résulté deux articles respectivement consacrés au rituel de l'exclusion et aux représentations de l'exclu, banni ou fou . Il espère revenir sur ces questions aussi bien dans le champ des études médiévales que dans celui de l'anthropologie comparée, tant il est clair que l'association de la norme et de la parole est sensible dans quantité de cultures, tout en ayant été très peu étudiée.


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Magie, divination, poison
Jean-Patrice Boudet 
membres : Franck Collard et Nicolas Weill-Parot

Rapport d'activités 1996-2000
L'édition critique du Recueil de Simon de Phares a paru en 1997, le commentaire en 1999. Jean-Patrice Boudet également collaboré à l'Histoire culturelle de la France, t. I, Le Moyen Âge, Paris, Seuil, 1997, et co-dirigé, avec Hélène Millet et au sein de l'UMR, une anthologie commentée de l'euvre d'Eustache Deschamps . Je propose, dans un article publié en 2000 au sein d'un recueil d'études offert à Jean-Louis Biget  une nouvelle interprétation de la série de tapisseries de la Dame à la Licorne, fondée sur la conception des six sens exprimée en particulier par Jean Gerson: article en ligne. Les recherches actuelles portent essentiellement sur la magie rituelle à la fin du Moyen Âge et Jean-Patrice Boudet prépare un ouvrage de synthèse sur l'astrologie, la divination et la magie en Occident (XIIe-XVe siècles). Dans ce cadre, il a notamment réalisé une enquête globale sur cette sorte de théurgie chrétienne qu'est l'ars notoria, et élaboré une édition et une étude critiques des condamnations de la magie prononcées par la Faculté de théologie de l'Université de Paris en 1398. J'ai reçu, en 1997, la médaille de bronze du CNRS.
Projet de recherche 2000-2004
Dans le cadre d'une habilitation à diriger des recherches, Jean-Patrice Boudet compte consacrer mes travaux dans les prochaines années aux domaines suivants :
I. L'élaboration d'un ouvrage de synthèse intitulé Astrologie, divination et magie en Occident (XIIe-XVe siècles), ouvrage qui devrait être structuré autour des huit points suivants : 
" Inventaire et typologie des sources : judiciaires, normatives, doctrinales, techniques, scientifiques, historiographiques et littéraires ; les livres et textes de magie, conservés et disparus.
" Inventaire et typologie des techniques, des pratiques et des rituels : une large palette entre classification des sciences et anthropologie religieuse.
" Nature et surnature : agents naturels (astres, pierres, simples, etc.) et interlocuteurs surnaturels (esprits, anges et démons).
" Les acteurs : les théoriciens, les praticiens et leurs juges ; l'opposition litterati et illitterati et l'idée d'» infra-monde clérical » (Richard Kieckhefer), hommes et femmes.
" Leurs motivations : le pouvoir, la maladie, l'amour et la haine, la fuite dans le rêve et l'utopie.
" La promotion sociale, politique et culturelle de deux moyens de prédiction : astrologie et géomancie.
" Les condamnations de la magie et de la divination (1277,1398,1494…)
" La genèse médiévale de la chasse aux sorcières : chronologie (1250-1500), géographie, tentative d'interprétation
II. En plus des deux communications sur le Liber sacratus et les who's who démonologiques, actuellement en cours de rédaction, je compte travailler sur quatre dossiers relatifs à la magie, à l'astrologie et à la symbolique de l'État :
" « Le plus ancien manuscrit de la Clavicule de Salomon » .
" « Magie et illusionnisme à la fin du Moyen Âge : les Annulorum experimenta du Pseudo-Pietro d'Abano ».
"  « Giovanni da Legnano et la genèse de son interprétation astrologique du Grand Schisme d'Occident ».
"  « Le roi-Soleil dans la France médiévale », en préparation pour le colloque sur Le Soleil et la Lune au Moyen Âge, Micrologus, Vicence, septembre 2001.
III. Dans le prolongement de ma collaboration au Lexique de la langue scientifique (Astrologie, Mathématiques, Médecine...). Matériaux pour le Dictionnaire du Moyen Français (DMF) " 4, j'ai enrichi dans de notables proportions mon lexique de la langue scientifique et technique en moyen français, relatif à l'astronomie, à l'astrologie, à la divination et à la magie. Ce lexique sera intégré au Dictionnaire de la Langue scientifique du Moyen Âge, dirigé par Claude Thomasset, professeur de littérature française médiévale ((Université Paris IV).
IV. Enfin, j'ai entrepris, en collaboration avec Luc Ferrier, une traduction française du Liber judiciorum de l'astronome-astrologue Raymond de Marseille (v. 1140), dans le cadre de la publication, par les soins de Charles Burnett et d'Emmanuel Poulle, des euvres de Raymond de Marseille, à paraître aux Presses du CNRS.
Nicolas Weill-Parot, maître de conférences à l'Université de Paris VIII, est conseiller scientifique de ce programme.


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L'information
Claude Gauvard
Avec Nicolas Offenstadt, Kouky Fianu, Xavier Nadrigny

L'ouverture de ce thème est lié aux recherches les plus récentes de divers doctorants et, de façon générale, à celle que Claude Gauvard mène sur l'opinion publique, parallèlement aux recherches sur la justice. Cet aspect a donné lieu à des publications sur la circulation des nouvelles et la rumeur. Plusieurs communications resteront inédites, celle qu'elle a faite en janvier 2000 à l'Ecole nationale de la magistrature sur Quelques manifestations de l'opinion publiques à la fin du Moyen Âge ou celle que j'ai faite sur Information et pratique du pouvoir en France à la fin du Moyen Âge, dans le cadre des rencontres des pays francophones (mai 2000). La communication faite lors de la journée d'études de l'Ecole doctorale d'Histoire (mai 2000) sur La rumeur et les gens de guerre est publiée dans Hypothèses 2000.
Plusieurs maîtrises ont été consacrées à l'étude de l'information, en prenant pour source les registres de délibération des villes : Châlons, Troyes, Reims, Amiens. La thèse de l'Ecole nationale des chartes de Xavier Nadrigny a repris ce sujet pour la ville de Toulouse et ses résultats sont très encourageants. Son auteur a pu mesurer la vitesse d'arrivée des nouvelles, le poids budgétaire des nouvelles, les conséquences de l'information pour le développement d'une hiérarchie des villes et leur constitution en réseau. Ces thèmes méritent d'être approfondis et, pour Toulouse, Xavier Nadrigny envisage de poursuivre son étude dans le cadre d'une thèse de doctorat d'Histoire. Il reste aussi beaucoup à faire pour étudier les rituels de l'information et les hommes qui en sont chargés. De ce point de vue, le thèmes de l'information recoupe celui des rituels, comme le montre la table-ronde sur le Cri, ainsi que les travaux de Nicolas Offenstadt.Outre cette publication qui met l'accent sur les rituels de communication, cet axe sera amené à participer à deux rencontres internationales : 
" Comment construire une histoire de l'information ? ateliers de Bordeaux, 8-9 juin 2001, qui unit des spécialistes historiens de l'Antiquité jusqu'à nos jours et des anthropologues. La rencontre doit insister sur les mots qui désignent l'information, le rôle du pouvoir et les espaces d'information.
Information et nouvelles : colloque de Montréal-Ottawa, dir. Michel Hébert et Kouky Fianu, mai 2002. J'assurerai l'introduction du colloque et plusieurs membres de notre axe y feront une communication.


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